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Franck Conte : « Balotelli, c’est une épée de Damoclès au-dessus de notre tête »
Peintre et street artist, Franck Conte est supporter de l'OM depuis son enfance à Agen. Désormais installé à Marseille, l'ancien étudiant en beaux-arts dissémine des fresques olympiennes sur les murs de la cité phocéenne. Après Luiz Gustavo, Sakai, Payet, Mandanda et Mario Balotelli, c'est au tour de Thauvin d'être élevé au rang de divinité.
Tu es né en Lot-et-Garonne, un département davantage réputé pour le rugby. Comment es-tu devenu supporter de l’OM ? Quand tu nais à Agen, tu n’as pas de chance. Ce n’est pas une grande ville avec une identité forte, il n’y a ni la montagne ni la mer. Et, surtout, il n’y a pas de football. La seule chance que tu as, c’est que tu peux t’auto-déterminer. Quand j’étais minot, j’ai tout de suite flashé sur Chris Waddle. Mes voisins étaient supporters de l’OM et c’est comme ça que j’ai commencé à supporter l’OM. Ça tient à peu de choses : tu demandes le maillot de Waddle comme cadeau et c’est parti. Ma passion pour le football en général est arrivée plus tard, quand j’étais en terminale. Chez moi, personne n’aime le ballon rond, je suis le seul.
Tu vis à Marseille depuis deux ans. C’est ton amour de l’OM qui t’a poussé à y habiter ? Je ne sais pas, il y a plusieurs facteurs. Je vivais à Toulouse et j’avais envie de vivre dans une plus grande ville. J’ai aussi habité à Pau, Grenade, Lisbonne pendant deux ans, puis Paris avant de redescendre à Toulouse.
J’ai toujours su que j’habiterais un jour à Marseille. L’heure était venue, cette ville m’appelait.
Qu’est-ce qui t’a emmené à vivre en Espagne et au Portugal ? J’arrivais à la fin de mes études d’art quand je suis parti vivre en Andalousie. Là-bas, j’étais callejero(artiste de rue en français), je vendais des dessins dans la rue. C’était un peu la débrouille et beaucoup plus la bohème qu’à Lisbonne où je suis allé avec un plan plus élaboré pour optimiser mon travail de peintre. En fait, je me suis vraiment professionnalisé depuis que je suis à Marseille. J’étais enfin prêt.
Là-bas, la ferveur du foot était comparable à celle présente à Marseille ? Je suis allé à l’Estádio José Alvalade XXI du Sporting Portugal, mais j’étais davantage supporter du Benfica, car c’est le club le plus populaire de la ville. Les soirs de match, tout le monde est là : hommes, femmes et enfants. Les femmes, c’est ce qui est le plus marquant en fait. Tout le monde porte le maillot du club, la ville vibre au rythme du football, et tu retrouves ça à Marseille, en effet.
Le football est un élément central de tes œuvres depuis tes débuts ou c’est venu plus tard ? C’est drôle parce que ma première peinture date de 98 et c’était un stade aux couleurs de la France et du Brésil. C’était une peinture à moitié abstraite et à moitié figurative, c’était ma toute première. À part ça, je ne suis revenu au football qu’à Marseille.
Avec le street-art, peindre un joueur de foot à Marseille, ça fait sens. Alors qu’à Toulouse, non. Ma source d’inspiration est à chercher du côté des icônes religieuses, en fait.
D’où l’auréole derrière ta peinture de Luiz Gustavo ?Tout à fait. Le football à Marseille, c’est une religion. Il y a toutes les religions, mais celle qui unit tous les Marseillais, c’est l’OM. Cet été, après un voyage en Grèce où j’ai flashé sur l’iconographie orthodoxe, j’ai eu l’idée de peindre des icônes et donc des joueurs de foot. Le premier que j’ai peint, Luiz Gustavo, a une auréole jaune autour de la tête et j’ai gardé cette idée du cercle au fil de mes fresques. Je ne mets pas beaucoup en avant ce côté religieux, mais l’idée provient de là.
Tu as continué ta série avec Sakai, Payet et Mandanda. Pourquoi ces trois joueurs-là ? La fresque de Luiz Gustavo a fait un petit buzz en fait. À partir de là, j’ai été contacté par le club, qui était intéressé pour faire un petit portrait vidéo pour parler de ma passion pour l’OM. En fin de compte, ça a lancé une série, et comme pour chaque série, il faut aller au bout. J’ai ensuite peint Hiroki Sakai parce que c’est mon préféré. Ensuite, je suis rentré dans cette série d’hommages à l’égard de joueurs qui ont marqué le club. En fait,
ce projet de fresques provient de la saison dernière, car c’était la première fois de ma vie de supporter que j’aimais tous les joueurs de mon équipe. Je n’avais aucun grief à faire contre personne, et j’étais même très content de Rudi Garcia. C’est avec ce sentiment-là que j’ai commencé ma série, et cette saison plombe un peu mon histoire finalement. Pour le coup, je commence vraiment à en détester quelques-uns.
D’ailleurs, comment ça se fait que Sakai soit ton joueur préféré ?Sakai c’est le gars sûr, le joueur irréprochable en matière de combativité, d’humilité, et il répond toujours présent. Tu le mets à gauche, il fait le boulot. J’ai flashé sur lui. Je me rappelle une action où il perd son duel à l’épaule avant de se tauler. Il aurait pu faire le mec qui a mal ou qui essaye de gratter la faute mais non, il se relève, et il va au combat. Évidemment, en tant que supporter, on adore ce genre de gars. C’est peut-être aussi dû au fait qu’il soit japonais. On aime bien l’exotisme à Marseille.
Dans tes fresques, chacun des joueurs est hors de son costume de footballeur. C’est un choix en lien avec l’iconographie orthodoxe que tu évoquais ?En fait, esthétiquement, je ne m’inspire pas tellement de l’iconographie orthodoxe.
L’idée de l’idole, c’est plus de jouer sur le côté football-religion, et de créer des lieux de pèlerinage. Ce que je suis en train de réussir à faire, parce que je reçois des photos de personnes qui cherchent les fresques pour se prendre en photo devant. L’objectif, c’était de créer des idoles que les supporters vont adorer. Esthétiquement, je fais plus confiance à mon imagination et à mes inspirations, comme la BD par exemple. Je projette ce que chaque joueur m’inspire. Luiz Gustavo, c’était la classe. Sakai, c’était le samouraï. Payet, c’est le professeur au tableau qui enseigne des gestes techniques aux minots. Et Mandanda, il est représenté en divinité, un peu façon Dragon Ball, en lévitation. C’est une sorte de divinité céleste.
Venons-en à Mario Balotelli que tu as peint en Joker dernièrement. Pourquoi pas en Dr Jekyll et Mr Hyde ? C’était ça, l’idée ? Ouais. Le Joker, ça lui va vraiment bien, il est tellement taré. On reste quand même assez proche de la BD avec cette peinture. Je l’ai inscrite dans un hors-série parce que je ne l’aurais pas mise dans ma série.
Parmi les supporters, certains n’ont pas très bien pris que Mario Balotelli ait déjà un portrait. Faire le portrait de quelqu’un, il y a vraiment quelque chose d’honorifique derrière. Et effectivement, dans ma série, j’ai peint des joueurs qui ont, au moins, montré leur fidélité envers le club.
Mais un commerçant t’a pourtant demandé de peindre Balotelli sur le store de son commerce…Oui, voilà. Là, c’était un contrat. Le troisième élément, c’est que la fresque est sur le rideau d’un commerce, donc il n’est visible que la nuit. À l’inverse, ma série est obligatoirement visible sur les murs de la ville, en permanence. C’est pour ça aussi que Balotelli est un hors-série, il n’est pas dans les préceptes que je me suis imposés.
Tu crois que c’est l’attaquant qui vous manquait ? Franchement, l’histoire Balotelli m’avait soûlé. Depuis le début, je ne savais pas trop quoi en penser. C’est un joueur tellement imprévisible. Avec lui, ça passe ou ça casse, surtout vu comment on est fébriles. Puis finalement, Balotelli arrive et tu te rends compte que tu n’avais pas d’attaquant depuis un an et demi.
Je ne sais pas si c’est l’attaquant qu’il nous fallait, mais c’est un attaquant, point. On en a enfin un, et ça change tout.
C’est aussi un joueur dont le caractère colle plutôt bien avec l’image du club. Tu le vois devenir une idole du club dans les années à venir ? Franchement, il a toutes les qualités qu’il faut. Son côté fantasque, on adore ça en tant que supporter. Avant lui, le dernier à être comme ça, c’était Barton. C’est évident que ce genre de joueurs apportent un truc, ils sortent un peu du cadre du football, et ils vont au-delà. C’est important et c’est le type de personnages qui sont rapidement aimés ici. Après, Balotelli c’est une épée de Damoclès au-dessus de notre tête. Son délire, c’est de conquérir puis, une fois qu’il a conquis, il s’emmerde.
C’est un peu comme un mec qui veut séduire une femme, qui couche avec avant de se barrer. Du coup, il s’en lasse, il pinaille.
Rudi Garcia doit-il partir en fin de saison ? Garcia est forcément responsable du parcours de cette saison. Il y a certains joueurs qui ne sont pas dans le coup et on se demande pourquoi il les fait jouer. Je pense notamment à Adil Rami ou Caleta-Car. Les deux nous ont coûté pas mal de points. Après, il est allé nous chercher un Strootman rouillé, alors que c’est le deuxième plus gros transfert du club. Garcia commence à accumuler beaucoup d’erreurs. Donc bien sûr qu’il doit partir à la fin de la saison. Si demain, Zubizarreta signe à Arsenal et que dans deux ans, on s‘aperçoit que le recrutement des Gunners est de la folie, là, on ira le chercher où il est. De toute façon, c’est pas un mec qui arrive à passer le cap des trois ans.
Donc il n’aura pas droit à sa fresque dans les rues de Marseille ? Eh non. En plus, j’avais annoncé la fresque de Garcia dans Marseille en début de saison, mais seulement s’il ramenait un titre. Et là, c’est raté.
Quelle va être ta prochaine fresque ? J’en ai fait une de Thauvin ce jeudi. Il est en agent double sous le nom de Florian Double Double Thauvin, en référence à la stat du basket. Il a marqué plus de dix buts et a délivré plus de dix passes décisives.
Propos recueillis par Maxime Renaudet