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Francesco Toldo : « Les Bleus nous ont battu à la fin grâce à leur puissance physique »
Dernier rempart de la sélection italienne à l'Euro 2000 – et surtout cauchemar des Oranje en demi-finales de la compétition –, Francesco Toldo a marqué de son empreinte l'édition belgo-néerlandaise. Un championnat d'Europe qu'il n'aurait pas disputé sans la blessure de Gianluigi Buffon, mais qui lui a permis de devenir « Toldone » (le grand Toldo) et un héros national. Entretien avec le légendaire portier de l'Inter et de la Fiorentina.
Tu gardais un bon souvenir de cet Euro 2000 malgré la défaite en finale face à la France. C’est toujours le cas vingt ans après ?Oui, toujours. Même si cet Euro 2000 s’est terminé par une défaite face à la France à l’ultime minute, j’ai un très bon souvenir de cet Euro. Le football est une discipline sportive comme le basket, le volley, la gymnastique ou l’athlétisme. Quand les athlètes de ces dernières disciplines arrivent deuxièmes aux J.O, ils sont contents. Ils décrochent une médaille d’argent, et pour moi, une médaille d’argent ça a une belle valeur. Bien sûr, ça reste moins bien sportivement qu’une médaille d’or, c’est indéniable. Je suis content de la manière dont nous nous sommes montrés lors de l’Euro 2000, et ce, même si toute l’Italie aurait évidemment voulu que l’on aille au bout. Dans la vie, il faut savoir gagner, mais aussi savoir perdre.
Qu’as-tu appris de cette expérience qui s’est soldée par cette défaite en finale face aux Bleus ?Au départ, forcément, tu sors en colère du dernier match. Parce que tu veux gagner et seulement gagner. Surtout quand tu es dans le match, que tu mènes au score… Mais par la suite, avec le temps, tu as une vision plus globale. Tu réfléchis, et tu dis : « Ok, ça s’est quand même bien passé. » Nous ne sommes pas arrivés derniers non plus.
Comme en 1982 ou plus tard en 2006, la Nazionale a été sévèrement critiquée avant le début de la compétition. Quand elle ne gagne pas, la Nazionale est toujours critiquée. On est entrés dans la compétition en étant très critiqués, mais notre sélectionneur Dino Zoff a été capable de bien en parler et de gérer cela. Des nations comme l’Italie, la France ou d’autres sont mitraillées de critiques. Ça fait partie du jeu.
Il y a des moments qui n’ont pas aidé. Notamment, pendant les qualifications, ces deux matchs nuls contre la Biélorussie.C’est vrai. Aussi car, aujourd’hui, tu ne trouves plus de compétition où une équipe bat facilement toutes les autres. Les équipes sont de plus en plus proches en matière de niveau. Regarde, lors de notre saison du triplé avec l’Inter (en 2009-2010, N.D.L.R.), on gagne à Kiev en Ligue des champions à la dernière minute grâce à un but de Sneijder. C’est révélateur.
Dino Zoff était bien plus que ton sélectionneur, puisque c’était aussi ton idole quand tu étais plus jeune. Il t’avait même signé un autographe.Oh, Dino Zoff. J’étais encore petit, j’avais 15 ans, et l’été, je faisais des extras pour gagner un peu d’argent. Je suis allé faire le service dans un gros hôtel de Padova qui a été inauguré en présence de Dino Zoff qui était l’un des clients. Ce jour-là, il m’a signé un autographe que j’ai toujours aujourd’hui. Derrière, j’ai fait ma carrière de gardien de but. Je l’ai même affronté par la suite lorsqu’il était entraîneur, puis président de la Lazio. Lorsque nous nous sommes retrouvés en sélection, je lui ai évidemment reparlé de ce moment. Il se rappelait avoir signé des autographes ce jour-là, mais évidemment pas de moi. C’était mon idole. Quand Dino Zoff te parle du métier de gardien de but, et qu’en plus, tu es toi-même gardien, tu l’écoutes, car ses paroles valent de l’or. Lors des entraînements, c’était toujours quelqu’un de calme, qui venait parler aux gardiens pour qu’ils essaient de s’améliorer. Après, il ne faisait pas de nous non plus un cas particulier, car il était sélectionneur, et les gardiens qui arrivent en sélection sont déjà confirmés.
Comment Dino Zoff t’a-t-il annoncé que tu serais le gardien titulaire pour l’Euro ?Il n’a pas eu besoin de me le dire, ça s’est un peu fait naturellement. Dès le moment où Buffon s’est blessé face à la Norvège (une semaine avant le début du tournoi, N.D.L.R.), j’ai su que je serais promu numéro un. Tout simplement car en sélection, les postes sont doublés, et il m’a juste apporté de la tranquillité avant le début du tournoi. J’ajoute aussi qu’il a été un exemple de loyauté sportive, d’honnêteté intellectuelle, de bravoure et de gestion de groupe durant la compétition.
Votre premier tour face à la Turquie, la Belgique et la Suède est parfait. Vous attendiez-vous à un tel départ dans la compétition ?Nous étions préparés à affronter de grandes nations, et nous étions sur le point de devenir une grande équipe. Les critiques avant le premier tour nous ont soudés, et on avait quand même de grands joueurs : Nesta, Del Piero, Cannavaro, Totti… Et tous les autres, en fait. On était un groupe qui se chambrait beaucoup et qui a grandi ensemble. Certains comme Del Piero ou Totti faisaient beaucoup de blagues, d’autres étaient plus tranquilles. Par rapport à ce qui se disait parfois à l’extérieur, les critiques, on s’en moquait. Et on a compris que c’était le cas réellement lorsque l’on a joué les Pays-Bas. C’était déjà les demies, mais c’était un match très difficile. On était à 10 après l’exclusion de Zambrotta, et après ça, les Pays-Bas ont eu la possession du ballon la plus longue de l’histoire. (Rires.)
Quelques mois avant la compétition, ton ami Alberto Ferrarini t’avait prédit que tu ferais une grande compétition. Alors que tu n’étais pas titulaire en sélection. Raconte-nous cette anecdote. On s’était déjà vus dans un restaurant au Noël de 1999. Il m’avait prédit que je serais le gardien titulaire de la Nazionale et que je ferais une grande compétition. Je n’y croyais pas à ce moment-là, bien sûr. C’est un grand ami qui travaillait avec pas mal de joueurs en Serie A sur l’aspect de la motivation. Il avait fait des études à ce sujet, et c’est quelqu’un qui réussit à comprendre beaucoup de choses de toi. On s’est amusés ensemble à prévoir ce qui se passerait le jour d’après. La veille d’Italie-Pays-Bas, on s’est appelés au téléphone. J’étais bien sûr en mise au vert, lui était à la maison. Je me rappelle qu’on avait pensé que le match se terminerait aux tirs au but, que j’arrêterais tous les penaltys. Bien sûr, c’est arrivé parce que j’ai fait un beau tournoi et que cette année était belle pour moi. J’ai pu montrer sur le terrain ma force, ma sérénité et ma tranquillité.
La veille de la demie, il paraît que tu as observé les choix des tireurs néerlandais sur ordinateur.Oui, c’est vrai. Pendant la compétition, on avait très peu de temps libre. Le peu qu’on avait après le repas le soir, on en profitait pour observer nos adversaires. C’est quelque chose qui te vient naturellement, lorsque tu es loin de chez toi, tu es focus sur l’objectif. C’était les premières années où on commençait à regarder les caractéristiques de l’adversaire via des CD. Qui pouvait tirer, où… On avait les DVD et on regardait tout cela. Je savais que De Boer allait tirer sur ma gauche. J’avais absolument tous les choix de tirs préférentiels des Hollandais en tête. Le seul que je n’ai pas su deviner, c’était Kluivert. Il a mis son premier penalty sur le poteau en cours de match, et a marqué le second ensuite lors de la séance de tirs au but. Kluivert, les penaltys, il savait très bien les tirer.
C’est un match fou. Vous êtes rapidement à 10 contre 11 à la suite de l’exclusion de Zambrotta. Et quelques minutes plus tard, tu détournes le penalty de Frank de Boer, avec un saut incroyable à la clef.Je fais un saut incroyable, car, tout de suite, je repense à ce qu’on s’est dit au téléphone la veille avec mon ami Alberto. En plus, j’ai tous les tifosi italiens qui sont derrière le but à ce moment-là. Forcément, ça m’a donné envie de fêter un peu cela avec eux, puis ensuite avec mes coéquipiers. Après finalement, même s’ils ont passé leur temps à attaquer, ils n’ont pas eu tant d’énormes occasions que ça. Ils n’ont pas été à la hauteur dans le dernier geste.
Cet Italie – Pays-Bas a été une véritable opposition de style…(Il coupe.) C’est devenu une opposition de style après l’expulsion précoce de Zambrotta. On a mis en place le catenaccio parce que nous étions à dix contre onze après 30 minutes de jeu et continuer sur ton plan de base face aux Pays-Bas avec un joueur en moins, tu es mort. Notre plan de jeu n’était pas juste de défendre, et puis basta. Tu ne remportes pas de trophées en jouant comme cela. On a eu deux-trois contre-attaques à jouer, mais le jeu hollandais était l’un des meilleurs au monde. Ils ne balançaient jamais le ballon, jouaient tout en mouvement…
Comment as-tu vécu la panenka de Totti, de là où tu étais ?Je ne le savais pas ! Totti l’avait dit au reste de l’équipe au moment d’aller défier Van der Sar. Je ne pouvais pas l’imaginer. Quand je le vois faire la panenka, et la réussir, je comprends que nous sommes les plus tranquilles. Et qu’eux sont sous pression. Quand tu fais ce geste, tu es obligé de surprendre le gardien. Il doit s’attendre à ce que tu tires fort ou que tu places ton ballon. Mais pas à une panenka. Peu de joueurs peuvent le faire, à ce moment-là d’un tournoi. Ton pied doit être froid, morbide. Quelques secondes avant que Totti ne caresse le ballon, Van der Sar se dévoile et choisit un côté. Quand tu es gardien et que tu subis un tel geste, partir avant te condamne définitivement.
Cet Italie-Pays-Bas a été l’un de tes matchs références en Nazionale, non ? L’un des matchs les plus regardés, je trouve. Parce que l’une de mes caractéristiques tout au long de ma carrière était d’arrêter des penaltys. Que ce soit en Champions, en Serie A, en Coppa Italia… Mais ce match-là, les Italiens étaient devant leur télé, et la visibilité était mondiale. J’aimais me dire à moi-même que quand un attaquant ne devait pas marquer, il ne marquerait pas.
Cette partie a-t-elle changé ta carrière d’une façon ou d’une autre ?Non, pour la simple et bonne raison que je n’étais pas non plus là par hasard. Tu disputes ce match, car cela fait plusieurs années que tu évolues à un haut niveau en Serie A. J’étais en sélection depuis 1995, si ça n’avait pas été ce match-là, ça aurait été un autre. J’avais les qualités pour être là. Moi, j’ai poursuivi à la Fiorentina la saison suivante. C’est vrai qu’un match comme celui fait contre les Pays-Bas attire les recruteurs des grandes équipes. Mais j’avais envie de continuer à Florence où je me sentais bien et où on me faisait confiance.
Et puis, il y a cette finale face à la France.En finale face à la France, on a pratiqué un football assez ouvert d’ailleurs. Mais nous nous sommes écroulés, car nous étions physiquement brisés par cette demie face aux Oranje. On a plus de force en seconde période. J’ai revu la finale, et on joue plutôt bien jusqu’à ce que l’on commence à piocher sur le plan physique. Les Français avaient une condition physique optimale et un jour de repos en plus. On méritait peut-être plus de gagner face à la France que face aux Pays-Bas, d’ailleurs. Mais l’équipe de France, durant les trois compétitions que j’ai jouées en 1998, 2000 et 2002 (il était aussi dans le groupe en 1996, N.D.L.R.) a toujours été forte physiquement et composée de grands champions. À chaque fois, ils ont eu des débuts difficiles pour ensuite se reprendre en cours de compétition et bien finir derrière. Ils ont à chaque fois bénéficié d’une grande préparation physique.
Sur le but de Wiltord dans les dernières secondes du temps réglementaire, on sent que tu penses pouvoir l’arrêter immédiatement après que le ballon est entré. C’est le cas ?Non, je ne pensais pas comme cela. Son tir ne pouvait pas être arrêté. Quand un attaquant tire entre les jambes d’un défenseur, neuf fois sur dix, c’est but. Álvaro Recoba faisait tout le temps cela. C’était un joueur qui tirait très bien, mais la plupart de ses buts ont été marqués par des tirs entre les jambes d’un défenseur. Parce qu’un gardien ne peut pas envisager que le ballon passe à cet endroit. Mais cette finale, en réalité, on la perd à quinze minutes de la fin. C’est à ce moment-là que l’on plonge physiquement. La France avait toujours le ballon, et la seule chose que nous pouvions faire, c’était de tenter de les bloquer. Ils nous battent à la fin grâce à leur puissance physique.
Quand tu encaisses le but de Wiltord, le match est plié ? Forcément que tu n’y penses pas sur le moment, et que même si la France vient d’égaliser, tu as encore l’envie de ramener ce trophée à la maison. Mais derrière, la rencontre a basculé en faveur des Français. Après l’Euro 2000, je suis allé chez ma future femme avec laquelle je me suis marié une semaine après la fin de la compétition. Je m’y suis reposé une vingtaine de jours, sans jamais parler de football.
Propos recueillis par Andrea Chazy