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Francesco Acerbi, étoile furtive
À la fois meilleur stoppeur et premier relanceur d'une Lazio qu'on n'avait plus vue aussi forte en Serie A depuis un bon bout de temps, Francesco Acerbi est devenu une vraie référence défensive, sans prévenir et sans faire de bruit. Retour sur l'histoire d'un type revenu d'un cancer, et qui a commencé à aimer le football au moment où il pensait qu'il ne pourrait peut-être plus jamais le pratiquer.
Même à Rome, son nom est rarement cité en premier, quand on parle de la Lazio. Avant lui, il y a les astres locaux, ceux dont le rayonnement flatte les mirettes des tifosi, à coups de buts, dribbles et passes décisives. Francesco Acerbi n’est pas Ciro Immobile, Sergej Milinković-Savić ou Luis Alberto. Même en Nazionale, où il ne cumule que sept sélections depuis sa première apparition en 2014, le joueur est éclipsé par l’envahissante doublette Chiellini-Bonucci. Non, décidément, Francesco Acerbi ne brille pas. Le bonhomme est plutôt de ceux qui rayonnent discrètement, un peu à part du tintouin médiatique. Un petit coin d’ombre où sa lumière, discrète et diffuse, s’est rapidement propagée, pour régénérer l’arrière-garde laziale.
Le duelliste
Pour se rendre compte de la valeur de ce type-là, il faut notamment éplucher les feuilles de stats. La saison dernière, Opta traduisait en chiffres ce que les supporters de la Lazio voyaient journée après journée, sur le terrain : en 35 apparitions en Serie A lors du précédent exercice, Francesco Acerbi n’a été dribblé que six fois. Personne ne fait mieux en Italie, où on a fini par comprendre qu’Acerbi est tout simplement un duelliste hors pair. À la fois très performant en un contre un, comme capable d’annihiler plus subtilement une menace avant qu’elle ne se présente grâce à son sens de l’anticipation, le Laziale use d’un art de la défense versatile. Sa qualité de relance est aussi remarquée, puisque c’est lui, au sein du 3-5-2 de Simone Inzaghi, qui amorce le plus souvent la première passe vers les milieux et les attaquants. Et voilà comment la Lazio, 4e de Serie A la saison dernière, s’est hissée au rang de seconde meilleure défense de la Botte derrière l’Inter, avec à peine 42 pions encaissés.
Cette réussite n’était pas programmée, loin de là. Naturellement doué, Acerbi n’a pourtant débuté dans l’élite qu’à 24 ans, au Chievo, après avoir zoné de longues années en Serie C et B, avant de s’engager à l’AC Milan en 2012. Quelques mois plus tard, en février, il perdait son père, et avec lui, la seule source de motivation qui l’avait emmené au plus haut niveau : « Je jouais pour mon papa. Il se souciait beaucoup de ma réussite, peut-être trop. Certainement plus que moi, confiait le joueur dans une interview au site L’Ultimo Uomo en février 2020. Le fait est, qu’une fois qu’il est parti, je n’avais personne pour qui jouer. Je ne le faisais certainement pas pour moi. »
La fiesta triste
À Milan, le joueur s’entraîne machinalement, mais déraille dès qu’il quitte le pré. « Je n’avais pas le mental d’un professionnel. Je n’avais aucun respect pour moi-même, je n’avais aucun respect pour mon travail, je n’avais aucun respect pour ceux qui me payaient. Souvent, j’arrivais sur le terrain enivré, sans m’être remis de la veille. Cela me convenait bien parce que, physiquement, j’ai toujours été fort. Je n’avais besoin de dormir que quelques heures et je me débrouillais sur le terrain quand même. » Prêté au Chievo une demi-saison par les Rossoneri, Acerbi pense même un temps dire stop : « Je voulais arrêter de jouer. Je n’étais plus intéressé, je ne trouvais plus de stimuli. J’avais l’habitude de le dire au téléphone à ma mère, et elle, la pauvre, elle ne savait pas quoi me dire. » Son transfert à Sassuolo à l’été 2013 remettra sportivement à l’endroit sa carrière. Mais pas sa vie privée. Même quand on lui diagnostique un cancer, qui le tiendra éloigné plusieurs mois des terrains, Francesco ne change pas tout à fait ses habitudes : « Je ne voulais pas donner la victoire à la maladie. Je tapais des poings sur la table, je me mettais à crier à la maison, seul :« Sors de mon corps, va-t’en ! »Mais, fondamentalement, j’ai continué à mener ma vie habituelle. Les soirées, les boissons. J’ai donc réagi à la maladie, en continuant à sortir jusqu’à 7 heures du matin. »
« Sans la maladie, peut-être que j’aurais arrêté »
La chimio lui fait un temps perdre tous ses cheveux, mais le joueur, véritable force de la nature, se remet vite. Au début de l’exercice 2014-2015, il devient un titulaire inamovible du Sassuolo d’Eusebio Di Francesco, qui sera l’équipe poil à gratter de la Serie A lors des saisons à venir. Ce n’est qu’à contretemps que le cancer d’Acerbi finira par le changer radicalement : « Un an après ma maladie, quelque chose m’est arrivé. Je me suis endormi un soir, comme si de rien n’était, et le matin, je me suis réveillé, assailli de terreur… Je me suis mis à penser aux inquiétudes que j’ai pu avoir, aux opportunités que j’avais gâchées, aux années perdues, aux soirées d’excès… J’ai dû aller voir un spécialiste pour surmonter ces peurs. J’ai donc commencé à emprunter un chemin qui m’a amené à m’améliorer en tant qu’homme. En comprenant et atténuant les aspects de ma personnalité qui pouvaient me faire sombrer, j’ai débloqué certaines de mes limites. »
La vingtaine bien tassée, le joueur devient enfin un professionnel assidu. Désormais convaincu « de la puissance de son esprit », Acerbi fait du rab à l’entraînement et calme ses ardeurs nocturnes. À l’été 2018, il signe à la Lazio, pilotée par Simone Inzaghi, où il est aujourd’hui considéré comme le défenseur le plus régulier et précieux de l’effectif. Vainqueur de la Coupe d’Italie en 2019, puis quatrième de Serie A un an plus tard, la grande tige a atteint ce qui ressemble à une forme d’apogée et contemple désormais son parcours avec philosophie : « Sans la maladie, j’aurais fini par faire carrière en Serie B, ou peut-être que j’aurais arrêté. Heureusement, quelqu’un là-haut m’a aimé et m’a fait subir ca. Sans cela, j’aurais mal fini. » Mais Francesco Acerbi n’a pas mal fini. Ce mercredi soir, il défie même l’Atalanta, dans ce qui s’annonce comme un sommet de la Serie A. Le genre de matchs où l’Italie du football peut espérer le voir dispenser sa science de la défense, pour de nombreuses années encore.
Par Adrien Candau
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