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France-Ukraine : les limites du commentaire sportif…
En se qualifiant pour la Coupe du Monde au terme d'un renversement de situation exceptionnel, les Bleus viennent de mettre à mal un exercice qui occupe une grande place dans le petit monde des médias français : le commentaire d'après-match, par des spécialistes revendiqués.
Rêve de prophétie auto-réalisatrice et rétropédalage
« La France entière gerbe sur l’équipe de France. Et aujourd’hui, ça va être la faute de Pierre Ménès, Pascal Praud, Daniel Riolo, et quelques mecs qui ont un peu de burnes dans ce métier où personne n’en a » . Pierre Ménès en avait gros sur la patate mardi soir sur i>TELE après le match. Il ne voulait surtout pas que soit reproché à lui et ses acolytes d’avoir critiqué l’équipe de France juste avant un exploit historique. Pas à eux, pas maintenant, pas de cette manière… Tout sauf ça ! Eux (ceux qui ont des burnes) ne se faisaient après tout que l’écho du… peuple de France en disant de façon à peine cachée « tout haut ce que tout le monde pensait tout bas » . Le nouveau point godwin du commentaire sportif français. Outre la prétention maladroite du propos, c’est la volatilité du contenu qui interroge. De « ça fait des années qu’on vous le dit » à « c’est pas notre faute si tout le monde les déteste, on se fait le relais d’un ras-le-bol national » , en passant par « si ça a pu leur servir pour se rebeller » , les « spécialistes » n’hésitent pas à dire aujourd’hui tout et le surlendemain son contraire pour les besoins des talk-shows qu’ils tiennent, pour les médias avec lesquels ils collaborent et les blogs qu’ils alimentent. A annoncer fièrement pour ensuite nier l’avoir dit. Après tout, ils sont payés pour ça, donner leur avis. Et qu’il se fasse entendre le plus loin possible, par le plus de personnes possible. C’est qu’ils entretiennent des rapports flous avec leur objet d’étude affiché : le football. Se revendiquant tour à tour icônes populaires, tribuns, journalistes, chroniqueurs, acteurs du foot français, simples amoureux du football ou relais médiatiques sans influence, ils sont perdus face aux contradictions et aux propres limites de leurs personnages médiatiques. Face à leurs propres incohérences. Et il est donc amusant de voir comment leurs discours diffèrent, se succèdent et évoluent avec une facilité déconcertante en fonction de la posture ou du costume choisi sur le moment, qui leur permet d’avoir réponse à tout, tout le temps et de retomber sur leurs pieds à chaque fois. Avec un aplomb à toute épreuve.
Les limites de l’exercice
Mais les limites de l’exercice sont à trouver dans son existence même. Commenter un match quelques minutes après sa fin, à chaud, amène inévitablement à la conclusion facile et hâtive. Et alors que les prises de recul et les propos modérés sont du coup bienvenus et attendus, les commentateurs s’engouffrent bien souvent tête baissée dans les pièges qu’un match peut leur tendre, pour le plus grand plaisir des téléspectateurs, auditeurs, lecteurs et surtout, surtout, de leurs directeurs d’antenne. Pour preuve, leur longévité (ce sont les spectateurs qui font les chroniqueurs, pas l’inverse), les réactions en chaîne suscitées par leurs sorties, le buzz créé sur les réseaux sociaux (cf. la vidéo de la sortie de Pascal Praud après Ukraine-France), etc. Plutôt que d’appeler à la raison et de rappeler que la dictature du court terme nuit au football, dont la réalité est pourtant souvent à interpréter dans le temps long, le commentateur plombe, valorise, fait et défait. Quitte à se contredire en permanence. Faire l’actualité : une raison de vivre finalement un peu triste. Surtout quand la méta-analyse subjective et sociale s’en mêle comme lors de France-Ukraine. Pour le meilleur et on l’a vu, pour le pire. Oui, en proposant deux matchs diamétralement opposés, en chantant la Marseillaise mercredi soir au milieu d’un Stade de France en ébullition quatre jours après un match raté en Ukraine, les Bleus ont rappelé deux-trois choses sommaires : un match peut se perdre et se gagner. Et la réalité d’une rencontre sportive n’est pas toujours quantifiable, explicable et ne touche pas toujours à la rationalité. Le commentaire sportif (en France dans ce cas précis) vient une nouvelle fois de l’apprendre à ses dépens. Ses acteurs principaux aussi. A l’inverse, Didier Deschamps va pouvoir en profiter. Il vient en effet de gagner une immunité médiatique bienvenue pour construire. Avant que la machine s’embraye. Et reparte.
Par Antoine Mestres