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France-Portugal à Pontault-Combault, la ville voit rouge
Au moment où la France célébrait la victoire des Bleus face au Portugal, il est une ville où le résultat était moins bien accueilli. À Pontault-Combault (Seine-et-Marne), où vit une importante communauté portugaise, cette dernière s’était réunie pour voir le match de manière conviviale, avant que la soirée ne dégénère.
Près de Champigny-sur-Marne, où des bidonvilles accueillirent dès les années 1950 des milliers d’immigrés portugais, de nombreuses communautés se sont éparpillées au fil des décennies. C’est le cas à Pontault-Combault, où l’on ne compte ni les commerces tenus par des Portugais, ni les noms de boîtes aux lettres à l’accent chuintant. À l’occasion des matchs de la Seleção, une grande partie de cette communauté se réunit à la Pastelaria Nela, un bar-restaurant du centre-ville bien connu des locaux lusophones. Le match est encore loin d’avoir commencé que déjà, la patronne franco-portugaise de l’établissement, s’active entre le bar et les tables. « C’est super d’accueillir tout ce monde, même si ça nous demande beaucoup de travail », plaisante-t-elle. Épaulée par une équipe de serveuses habillées aux couleurs de la sélection portugaise, « Nela » sert ses clients tantôt en portugais, tantôt en français. Dehors, comme dedans, on s’active. Le match n’a pas encore débuté que plusieurs voitures décorées en rouge et vert klaxonnent devant le restaurant. En même temps, des dizaines de jeunes ramènent leurs propres chaises de jardin pour s’installer devant les écrans de chez Nela. Tous ont sorti leurs plus beaux maillots et leurs plus grands drapeaux portugais.
Le football, exception d’une communauté entre deux cultures
Quelques minutes avant le début du match, de rares voix se font entendre pour accompagner les Bleus qui entonnent la Marseillaise. Mais lorsque commence l’air d’A Portuguesa, l’hymne portugais, c’est toute l’assemblée qui chante à pleins poumons. Signe que l’écrasante majorité des supporters présents sont acquis à la cause portugaise. C’est le cas de Jérémy, né en France de parents franco-portugais. « Je suis derrière le Portugal, ça a toujours été comme ça. Je ne saurais pas l’expliquer, avoue-t-il. Quand la France gagne, je suis heureux aussi, mais c’est différent. » Mais pendant la rencontre, pas de sentiment. Les incursions de Rafael Leão, puis les frappes de Bruno Fernandes font se lever l’ensemble de la salle. Et quand Pepe reprend le ballon à Kylian Mbappé ou à Marcus Thuram, un « ouf » collectif de soulagement se fait sentir.
Durant plus de deux heures d’une rencontre interminable où aucune des deux équipes ne parvient à faire la différence, les clients de Nela trompent le stress en blaguant avec leurs voisins de table. Certains viennent entre amis, d’autres en famille ou en couple. C’est le cas d’Anaïs et de Laetitia, dont le maillot bleu de l’équipe de France fait presque tache au milieu du rouge portugais. « Elle est pour la France, moi pour le Portugal, explique Anaïs. C’est un peu la guerre à la maison, mais on fait avec ! », taquine-t-elle. Après 120 minutes improductives, les deux sélections s’apprêtent à se départager aux tirs au but. En attendant la séance, plusieurs dizaines de supporters portugais sortent prendre l’air. L’ambiance est à la fête, et pendant quelques minutes, une scène de danse folklorique s’improvise sur le pavé, au rythme de la mélodie et des paroles de Linda de Suza. Une chanteuse entre deux cultures. Comme eux.
La fête est finie
Après que le poteau du malheureux João Félix a installé un silence de cathédrale dans la Pastelaria Nela, la France élimine le Portugal grâce à des tireurs qui trompent tous Diogo Costa. L’ambiance chaleureuse du lieu laisse aussi place à la panique et à la violence. Dans la rue, une cinquantaine de jeunes viennent chambrer pacifiquement les déçus de ce quart de finale. D’autres les provoquent, et la soirée dégénère sur l’avenue Charles Rouxel. Plusieurs supporters portugais sont pris à partie et certains répliquent. Les ambulanciers et sapeurs-pompiers sont dépêchés sur place pour évacuer les quelques blessés, dont au moins deux dans un état préoccupant, suivis par des policiers venus contenir la foule au centre-ville.
Déjà perturbée par la défaite, cette fin de soirée a du mal à passer pour Jérémy. « Franchement, si c’est le Portugal qui gagne ce soir, on n’assiste pas à tout ça. C’est triste », regrette le jeune homme. La gérante, elle, baisse les rideaux de son restaurant où se réfugient une vingtaine de ses clients. « C’est censé être un évènement festif et finalement, tout le monde défonce tout le monde, déplore la gérante. J’ai même un gamin qui est venu derrière le bar pour prendre un couteau à pain pour ressortir avec ! À l’Euro 2016, on n’a pas eu ça une seule fois. C’est une première. » Malgré une soirée doublement amère pour Nela et les siens, on boit un dernier verre offert par la maison. Pour essayer de garder le cœur à la fête et de positiver. Parce qu’après tout, on est aussi fier d’être français, au sein de la communauté portugaise de Pontault-Combault. Alors tant mieux si les Bleus continuent leur épopée européenne.
Par Amaury Gonçalves, à Pontault-Combault
Tous propos recueillis par AG.