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France-Pologne : Entretien croisé avec Ludovic Obraniak et Damien Perquis
Tous deux nés en France, mais passés sous la tunique de la sélection polonaise, Ludovic Obraniak et Damien Perquis portent un regard critique sur le jeu proposé par les Orły dans ce Mondial. Entretien croisé avec deux hommes dont les cœurs vont balancer ce dimanche.
Quel bilan tirez-vous des trois premiers matchs de la Pologne ?Damien Perquis : Le projet de jeu m’a surpris par rapport à la qualité de l’effectif. Je crois que c’est un groupe qui n’est pas forcément en accord avec le plan du coach, mais qui s’y plie. Je retiens surtout la pauvreté offensive et la forme de Wojciech Szczęsny aussi. On peut quand même être soulagé en se disant que c’était soit la Pologne soit le Mexique qui allait passer avec l’Argentine. Tout est bien qui finit bien, même avec cette tactique-là.
Ludovic Obraniak : Il y a une certaine forme de satisfaction dans le sens où passer une poule de Coupe du monde, ce n’était pas arrivé depuis une éternité (depuis 1986, NDLR). Ça, c’est quand même une fierté. Mais pour moi, c’est l’équipe la moins emballante de ce Mondial, c’est ce que j’ai vu de plus mauvais. J’ai regardé quasiment tous les matchs, et en matière de jeu, c’est la plus minimaliste. Honnêtement, dans ce groupe-là, j’ai pris plus de plaisir à voir jouer l’Arabie saoudite. C’est dû à la philosophie du sélectionneur : branle-bas de combat, Lewandowski devant, on compte sur sa maestria et celle de Zieliński pour essayer de renverser la vapeur.
C’est un crève-cœur pour vous ?LO : On ne va pas se mentir, on n’a jamais été une équipe spectaculaire non plus. Mais auparavant, on avait plus de constance, de séquences de possession, on était moins arcbouté sur notre but. Le pic de jeu a eu lieu à l’Euro 2016, où la Pologne sort contre le Portugal en quarts. Il y avait une nouvelle génération avec Milik, Zieliński et d’autres gamins qui arrivaient à maturité. On peut dire ce qu’on veut de Kuba Błaszczykowski, mais c’était un feu follet. Grosicki pareil. On avait des mecs qui avaient de la vitesse et la notion du un-contre-un. Là, dans l’équipe actuelle, t’as pas un mec qui peut jouer sur un côté, qui va vite. Ils sont bons, Szymański et Świderski, mais ce ne sont pas des garçons qui peuvent te faire basculer un match en Coupe du monde. Défendre, ça, ils le font bien. En matière de mérite, je ne suis pas sûr que la Pologne mérite sa place au second tour. Je suis peut-être un peu sévère…
DP : Je ne te trouve pas sévère, Ludo. Au contraire, je trouve ça lucide, c’est la vérité. Et ce n’est pas parce qu’on a porté ce maillot qu’on ne peut pas dire la vérité. En revanche, là où je ne te rejoins pas, c’est quand tu dis qu’on défend bien. Tu ne peux pas bien défendre quand tu vois que Szczęsny est ton meilleur joueur et qu’il a fait une vingtaine d’arrêts. En plus de ça, derrière, on te dit que le plan de jeu, c’est de ne pas prendre de but… À un moment donné, il y a une logique quelque part.
LO : Je te rejoins, mais tu peux te dire qu’avant l’Argentine, tu n’as pas encaissé de but. Je te parle juste de faits, de statistiques.
DP : Tu n’as pas encaissé, mais t’as un penalty sauvé par Szczęsny contre l’Arabie saoudite, et sur les 30 premières minutes, s’il y a 1 ou 2-0, ce n’est pas volé. Contre le Mexique, en première mi-temps, ils se prennent un feu, c’est une catastrophe.
LO : La frustration, elle vient aussi en se disant que sur le banc, t’as l’attaquant de la Juventus (Milik) et celui du Milan il y a peu et qui claque encore des buts en Serie A (Piątek). Il faut essayer, au moins !
DP : Dans la construction du jeu, tu peux quand même espérer mieux que ça. T’as Zieliński qui passe son temps à défendre… Tu ne peux pas lui demander, quand il récupère le ballon, d’avoir la lucidité et la justesse technique pour servir Lewandowski qui, lui, se sera déjà fatigué à avoir fait des appels pour rien. C’est ça qui me dérange. Tu mets un dispositif tactique qui va à l’inverse de ce que t’as fait pendant la Ligue des nations ou pendant les qualifications pour le Mondial.
Quels changements aimeriez-vous voir face à la France ?LO : J’aimerais au moins voir un trio offensif. Pour avoir les meilleurs joueurs à leur meilleur poste, c’est le système à trois derrière qui te permet d’avoir une assise technique dans le camp adverse, en jouant avec deux pointes et Zieliński derrière eux. Après, tu peux aussi bétonner si t’as envie, t’as Krychowiak, Bielik et cinq défenseurs. Mais au moins, t’auras des possibilités avec du jeu direct ou des longs ballons, ce qui n’est pas infamant quand tu joues l’équipe de France. Tu ne vas pas commencer à te la raconter à repartir de derrière. Mais si tu décides de jouer plus direct, tu ne peux pas jouer comme maintenant avec Lewandowski seul dans le rond central. Ce qu’a fait Son sur le but de la Corée (contre le Portugal, NDLR), Lewy est incapable de faire ça. Il a besoin d’une assise de jeu, de ballons qui arrivent dans les 30 dernières mètres. Il reçoit des casse-croûtes, il ne peut rien faire.
DP : Pour moi, s’ils ne jouent pas en 3-5-2, ils vont en prendre comme aux boules. Tout va dépendre de l’animation du milieu de terrain. Contre l’Argentine, ils ont bétonné l’axe, et Messi a réussi à trouver des ballons dans le dos de Cash et Bereszyński. Même Acuña a touché quatre ou cinq ballons dans la surface, alors qu’il est arrière gauche ! Et si tu repasses dans un système à trois derrière, je préférerais voir Zalewski piston gauche, car il a un vrai pied pour les centres. Ça t’apporterait une bonne assise quand t’as le ballon, et quand tu ne l’as pas, tu repasses en 5-4-1 avec Milik qui vient faire les efforts.
LO : Après, on parle d’un point de vue offensif, car on a envie que ce match soit équilibré et que la Pologne existe dans ce match-là. Mais si je me mets à la place du sélectionneur, et si je réfléchis comme lui, je ne laisse jamais Mbappé et Dembélé en un contre un avec Cash et Bereszyński.
Michniewicz a dit qu’il n’avait « pas les joueurs pour faire le jeu ». Comprenez-vous ses propos ? DP : Moi, ce qui m’a choqué, c’est plutôt sa conférence de presse après le Mexique. Quand il dit qu’ils ont joué ce match pour ne pas le perdre, je trouve que c’est complètement fou de dire ça. Tu ne peux pas jouer contre le Mexique et te dire que tu ne veux pas gagner ce match-là à tout prix. C’est peut-être ton match le plus important ! Car après, tu joues l’Arabie saoudite, tu peux te retrouver à six points, t’es qualifié et tu n’as pas le souci de te dire qu’il faut faire un résultat contre l’Argentine. Le problème, c’est que lui-même dit qu’ils vont défendre. Et en plus, ils le font mal, c’est ça qui est dérangeant.
LO : C’est très réducteur de dire qu’on n’a pas les joueurs pour faire le jeu, ce n’est pas vrai. Le petit Kamiński, c’est un joueur de ballon. Piątek et Milik savent jouer avec leurs pieds, ce ne sont pas des bourrins. Repartir de derrière, ok, c’est un peu plus compliqué, mais quand t’es dans le camp adverse, tu peux demander à Krycho de faire remonter ton bloc, à Zieliński de tourner autour de Lewandowski. Là, tu vas te procurer des occasions !
DP : Et je ne vais rien vous apprendre, mais le plus important, c’est les deuxièmes ballons. Le jeu au pied de Wojciech est impeccable. Il peut mettre la balle devant, il va se passer quelque chose, ce ne sont pas non plus des pieds nickelés… C’est quand même grave de dire ça de ton équipe.
Il semble ne pas y avoir un grand engouement autour de cette Pologne-là. C’est aussi ce que vous ressentez ?DP (au Qatar, en tant que consultant pour beIN Sports, NDLR) : Ici, il n’y a personne. J’ai rencontré quelques journalistes polonais, on en a discuté. Contre l’Argentine, il devait y avoir 200 ou 300 supporters. Ce qui est aussi dit en Pologne, notamment dans la presse, c’est que tout le monde est déçu de ce que propose l’équipe. Mais c’est ce que l’entraîneur veut, c’est à son image. Et lui, je n’ai pas l’impression qu’il va changer sa philosophie. Je le trouve maladroit dans sa communication. Après, à sa décharge, il prend la suite de Paulo Sousa… Et pour avoir vu Krycho cette semaine, apparemment, humainement il est top, car il est très rassembleur et très proche de ses joueurs. C’est la seule chose positive que j’ai pu entendre de lui.
LO : Je pense aussi qu’il y a un désintérêt de cette sélection à cause du jeu proposé. Les résultats ne sont pas si mauvais, ils arrivent à s’en sortir, il y a toujours un but sur coup de pied arrêté, une contre-attaque… Si la Pologne passe une heure et demie dans son camp contre la France, elle va prendre des buts, c’est sûr. Contre l’Argentine, elle a voulu verrouiller l’axe. Messi l’a fait exploser en deux actions. Devant, t’as quatre mecs qui ont l’habitude de jouer dans les grands clubs. Je ne dis pas de tous les mettre, mais au moins deux… Ce désintérêt est lié à ça. L’équipe nationale, tu ne la vois pas souvent, et quand tu la vois, elle n’attaque jamais. À un moment donné, tu n’as plus envie de regarder. Et ce sélectionneur, il ne dégage pas une aura. Je ne cache pas que je regarde moins la Pologne, car ça fait souvent 0-0 ou ça gagne 1-0 petitement sur un coup du sort.
Tactiquement parlant, sur quoi la France va-t-elle devoir appuyer pour faire mal ?LO : Il va falloir que Griezmann et Rabiot soient dans le dépassement de fonction, comme l’ont fait Messi et Fernández. Il faut des mecs de seconds rideaux pour faire exploser le bloc polonais. Car les Polonais vont laisser Mbappé prendre le ballon et vont l’attendre à deux sur son pied droit. Mais ils ne pourront pas être partout, car Giroud va aussi monopoliser l’attention de Glik et du deuxième central. La France doit créer une brèche à l’intérieur, et après, tout sera plus facile.
DP : Je suis d’accord. Il leur faut des joueurs capables de déstabiliser la défense. Rabiot, par ses courses, peut le faire en venant dans la surface. Pourquoi pas voir aussi Mbappé beaucoup plus proche de Giroud pour laisser davantage le couloir à Theo, car il adore ça. Mais la chose primordiale pour la France sera la patience.
LO : C’est très juste ce que dit Damien, car sur ses trois buts, Mbappé en met deux en venant comme un deuxième attaquant dans le dos des centraux. Il leur faudra de la diversité dans leurs attaques : un coup les piquer dans l’axe, un coup sur les côtés avec les un-contre-un, les centres vers Giroud… Une fois qu’ils mettent le premier but, ils peuvent les enquiller comme des perles après.
Et à l’inverse, dans quel secteur la Pologne peut rivaliser ?LO : Il faut pointer Varane. Il n’est pas à son meilleur niveau, tout le monde le voit. S’il y a un point faible dans cette équipe, c’est le côté droit de cette défense. J’adopterais un jeu très direct sur les 20-25 premières minutes en mettant Milik ou Piątek au duel avec lui, et Lewandowski et Zieliński autour. En revanche, s’ils décident de repartir de derrière, je ne donne pas cher de la peau des Polonais, car ils n’ont pas une grande qualité de relance.
DP : Ils ne repartiront pas de derrière… À part Kiwior qui a un pied gauche, ils n’ont pas les joueurs pour. Comme Ludo disait, ils doivent remporter les seconds ballons. Et pourquoi pas jouer dans le dos de Theo en contre-attaque, car il laisse souvent des trous, même si Upamecano fait une super compétition et qu’il est capable de compenser. Après, concernant Varane, on l’a vu sur le but de la Tunisie… C’est criant de son état actuel, il n’est pas à 100%.
LO : Et je dirais même que j’ai plus confiance en une charnière Konaté-Upamecano que Varane-Upamecano. Face à la Tunisie, le taulier derrière, c’était Konaté.
DP : Attention Ludo, il a été le taulier aussi car Camavinga était à la ramasse tactiquement. Il était très fort dans les un-contre-un, mais c’est surtout car le pauvre Camavinga n’était pas à son poste et qu’il a déjoué.
Côté polonais, comment mieux faire exister Lewandowski ?DP : Il faut que la Pologne existe dans les 35 derniers mètres adverses. C’est là où il excelle. Dans les déviations, dans le jeu dos au but. Ce n’est pas un Benzema qui vient à 50 mètres de son but et qui joue entre les lignes. Il n’a pas été bon car il n’a pas été servi, ok, mais il a aussi manqué son penalty contre le Mexique. Contre l’Arabie saoudite, sa passe décisive est un peu chanceuse, son but arrive d’une erreur défensive adverse, et il a aussi raté un face-à-face. Pour moi, il n’est pas bien dans sa compétition. Mais Deschamps l’a bien dit : il ne lui en faudra pas trois ou quatre…
LO : Damien a donné une partie de la réponse. Pour moi, il rate car il est émoussé à cause des replis qu’il doit faire. Il a des courses à effectuer qu’il ne faisait pas au Bayern et qu’il ne fait pas au Barça. Il joue un peu contre-nature, il lui faut plus de soutien et arrêter de l’envoyer à la mailloche. Il a besoin de mecs qui bossent pour lui, c’est pour ça qu’un deuxième attaquant est primordial.
Et comment la défense française peut le museler ?DP : La vigilance, c’est le plus important. Un coup, il peut apparaître dans ton dos, et la demi-seconde où tu l’as perdu, il sera en train de marquer. Upamecano s’est entraîné avec lui, donc il connaît tous ses points forts. Mais si je devais axer un discours auprès des défenseurs, c’est de toujours l’avoir à l’œil, car il est très malin, et dans la surface, tu peux vite ne plus l’avoir dans le rétro.
LO : S’il joue seul devant, j’enverrais Upamecano le « tabasser » en un contre un avec Varane en couverture. S’ils sont deux, c’est déjà plus dur, car il sera toujours à l’opposé ou dans le dos. Mais de toute façon, on ne muselle pas un mec comme ça. C’est surtout comment essayer de le minimiser.
En cas de séance de tirs au but, pensez-vous que la Pologne devient favorite au vu de la forme de Szczęsny dans l’exercice ?DP : Il aura l’avantage psychologique, car il en a déjà sorti deux dans la compétition. Ludo ne me contredira pas : la Pologne a toujours eu des grands gardiens. J’espère qu’ils n’iront pas jusqu’aux penaltys, mais c’est clair que ça peut jouer dans les têtes françaises.
LO : Inévitablement… 85 penaltys, 27 arrêtés, vous imaginez le délire ? C’est un tiers, c’est énorme. Forcément, quand tu veux prendre le ballon et aller tirer, la cage te paraît tout de suite moins grande.
Pour finir sur une note personnelle, ça sera forcément un match particulier pour vous, non ? Vous avez un pronostic en tête ?DP : Pour moi, c’est un peu du 50-50. Ça m’embêterait que la Pologne n’aille pas au bout… Donner un score, c’est pas facile, j’aime bien voir les compos pour me faire une idée, même si on peut déjà s’attendre à une attaque-défense.
LO : C’est difficile de se positionner. J’ai 34 sélections avec la Pologne, Damien en a 14, on est attachés à ces gens-là. On a joué avec certains, je revois des personnes du staff qu’on a connues à notre époque. J’ai plus de connivence avec la sélection polonaise qu’avec la sélection française. Néanmoins, je me sens français et polonais à la fois. C’est la première fois où, quoi qu’il se passe dans un match, je serai content. Mais je ne peux pas donner de pronostic au désavantage de la Pologne…
Propos recueillis par Alexandre Lejeune