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Kolo Muani, le tour du monde en 44 secondes
Il avait amené sa tête d'ange au Qatar pour faire le nombre, découvrir le très haut niveau et amener un peu de sa bonne humeur au sein de ce groupe France hors du commun. Quarante-quatre secondes après son entrée en jeu ce mercredi soir dans une demi-finale de Coupe du monde, Randal Kolo Muani a fait basculer son destin dans une autre dimension : celle des mythes du football tricolore.
Le bon sens – et le conservatisme à la Didier Deschamps – aurait voulu que ce soit Kingsley Coman (45 sélections, une dizaine de titres de champion en Europe, et une participation à tous les matchs lors de ce Mondial) qui tombe le survêtement, ce mercredi soir aux alentours de 21h38, alors que le tableau d’affichage du stade Al-Bayt affichait une avance d’un petit but pour les Bleus face au Maroc. Mais contre toute attente, au moment où Ousmane Dembélé s’est dirigé vers son banc, c’est le numéro 12 de Randal Kolo Muani qui est apparu sur les écrans du monde entier, à la 79e minute de cette demi-finale de Coupe du monde. Jusqu’ici, la compétition de RKM – invité de dernière minute – se résumait à du banc, 90 minutes de récréation lors du match des coiffeurs contre la Tunisie avec une frappe déviée en dehors du cadre et une contribution indirecte au but – refusé – d’Antoine Griezmann, ainsi que quelques timides apparitions lors des vidéos inside de l’équipe de France, principalement lors des parties d’Uno. Surtout, l’ancien Canari n’avait encore jamais connu la joie d’un but avec le maillot frappé du coq (celui des grands du moins), du haut de ses trois sélections.
Le tap-in du peuple
Cette fois-ci, il n’aura fallu qu’une seule touche de balle, dans la minute suivant cette sortie de banc, pour faire parler la poudre comme il l’avait déjà fait à quinze reprises en club depuis le début de l’année civile. Juste le temps de regarder Aurélien Tchouaméni, Youssouf Fofana, Marcus Thuram et Kylian Mbappé se démener au milieu des Lions de l’Atlas, et de se faire oublier dans le dos de Yahya Attiatallah pour profiter d’une tentative ratée de Kyk’s contrée par Ez Abde et placer l’un des plus beaux tap-in de l’histoire du foot français. Un alignement des astres – et pas de la défense marocaine – qui relève du miracle et s’inscrit directement parmi les contes que la génération 2016-2022 racontera aux suivantes. Et une vraie prouesse, quand on se souvient que l’impressionnant Yassine Bounou n’avait été vaincu qu’une seule fois dans ce Mondial, avant ce match.
44 – Randal Kolo Muani (44 secondes) est le 3e remplaçant le plus rapide à inscrire un but après son entrée en jeu dans l’histoire de la Coupe du monde derrière Richard Morales ?? en 2002 (16 secondes) et Ebbe Sand ?? en 1998 (26 secondes). Rapide. pic.twitter.com/FXMlMPiTA0
— OptaJean (@OptaJean) December 14, 2022
C’est souvent ça, avec Randal Kolo Muani : quelques secondes suffisent pour tomber amoureux. Pour ses agents, ce fut lors d’une rencontre lambda U17 sur un terrain de Torcy, en 2015 ; pour les supporters de l’US Boulogne, lors des premiers rushs professionnels de la pépite face à Avranches, Quevilly-Rouen ou Laval, à l’automne 2019 ; pour ceux du FC Nantes, à l’occasion d’un match à la Beaujoire contre Nîmes ou d’un déplacement au stade Louis-II à l’été 2020, début d’une très intense love story. Pour Thierry Henry, il aura suffi d’une séquence de lévitation dans la surface du stade Raymond-Kopa, à Angers en septembre 2021, pour avoir le béguin. Logique que les fans de l’Eintracht n’aient, eux non plus, pas eu besoin de beaucoup de temps pour se rendre compte que leur saison 2022-2023 serait frissonnante avec Kolo Muani dans leurs rangs, en témoignent ses deux pions décisifs inscrits en fin de campagne de C1 quelques semaines avant le Qatar.
44 secondes to none
Ce mercredi de décembre, des larmes ont dû couler en Loire-Atlantique, en Seine-et-Marne, dans le Pas-de-Calais, mais surtout dans son fief à Villepinte, soit tous les endroits où le wonder kid a laissé le souvenir d’un bonhomme doué, adorable et foutrement attachant. De son parcours tortueux jusqu’à ses 22 ans au toit du monde à 24 balais, l’ascension du garçon est aussi foudroyante que l’a été cette entrée en jeu, alors que l’on pensait que sa convocation au pied levé pour le Mondial serait la dernière étape de cette année 2022 complètement folle vécue par l’attaquant, qui amenait Nantes à soulever la Coupe de France il y a sept mois de cela. Il aura d’ailleurs pris soin d’inscrire la réalisation la plus importante de sa carrière à la 44e seconde de son match, clin d’œil évident au cinquième département de la Bretagne.
Après coup, le héros du jour s’est dit « très fier de (ses) coéquipiers, content d’avoir tué le match. Je ne réalise pas encore. Le coach m’a dit de faire les efforts, jouer sur ma vitesse et le un-contre-un. Sur le but, je vois Kylian partir à gauche, j’ai senti le coup et il y a eu de la réussite. Dans le vestiaire, tout le monde était heureux. Il y a vraiment beaucoup d’amour.[…]Certains m’ont charrié, mais c’est normal. » On l’a également vu bégayer quelques mots au micro de beIN : « Rêve de gosse… Je suis encore en plein rêve.[…]Je ne réalise pas ce qu’il se passe, c’est un truc de malade. » Waldemar Kita avait tout faux ; mais ça, on le savait déjà. Randal Kolo Muani a quelque chose que les autres n’ont pas ; mais ça, on le savait déjà.
Par Jérémie Baron, ému
Propos recueillis par MR à Doha, sauf mention