- Mondial 2022
- Demies
- France-Maroc (2-0)
France-Maroc : égalité sur les Champs-Élysées
Sensationnelle sur la pelouse, la rencontre entre les Lions de l’Atlas et les Bleus a aussi procuré son petit lot d'émotions sur les Champs-Élysées ce mercredi soir. Les supporters des deux nations ont fêté comme il se doit cette soirée fantastique sur la plus belle avenue de Paris.
22h15. Paris. « Pour nous, la soirée commence maintenant. Demain, on a posé un jour, tranquille, c’était impossible de ne pas fêter ça avec les potes. » Jérémy, 46 ans, parle fort d’une voiture à une autre pour se faire entendre entre les innombrables klaxons qui animent la plus belle avenue du monde. « Là, le plan est de rejoindre un collègue qui vient de finir le taf un peu plus haut sur les Champs-Élysées, vers l’ambassade de Belgique, reprend le père de famille. Ensuite, on sortira le champagne ensemble. » Pour connaître la profession de Jérémy et de ses collègues, on repassera. « En fait, on est que deux à avoir posé un RTT. Les autres hésitaient en fonction du score, et finalement, ça sent l’arrêt maladie demain matin. Donc pas respect pour le patron qui va se retrouver bien seul demain, on va éviter d’en parler », se marre le quadragénaire. Après quelques minutes de discussions et un petit verre proposé d’une Opel Corsa à une autre – complètement à l’arrêt sur le rond-point le plus connu de l’Hexagone, car la foule est alors trop excitée pour rester sur les trottoirs -, la circulation reprend et la fête continue.
CRS, Montblanc et bataille navale
« Tout se passe bien. Ça aurait pu être plus compliqué, et là, à part deux-trois feux d’artifice mal dirigés, on est tranquilles. Espérons que ça dure comme ça. » Avec un grand sourire comme pour dire qu’il est loin d’être déçu de porter le costume ce soir, un des membres des forces de l’ordre atteste du calme des festivités. Pour l’occasion, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin avait dévoilé plus tôt dans la semaine un dispositif renforcé. Celui-ci a mobilisé 10 000 policiers partout en France, dont la moitié uniquement à Paris. Ils sont tous là. Parqués entre la boutique Disney et la Fnac, à l’ouest de l’avenue, les 5000 agents observent patiemment les supporters français exulter. Un peu plus haut sur cette allée, ils sont déjà bien mobilisés. « Alpha 1, il va falloir que vous redescendiez vous équiper pour protection en C7 », balance l’un d’entre eux. Pour mieux s’organiser et agir sur cette énorme place, les CRS ont sans doute quadrillé les lieux, et se situent comme sur le plateau d’une bataille navale. « On a des incidents devant le Montblanc. »
À quelques pas de l’Arc de Triomphe, la vitrine de la célèbre papeterie est prise pour cible par des supporters et des feux d’artifice, explosant sur les portes de la boutique. « En vrai, ça me fait franchement rire,explique Anas, 19 ans, fan des Lions de l’Atlas. On voit des gens heureux, des drapeaux partout, des petits pétards. Si le pire de la soirée, c’est des feux d’artifice sur des stylos, ça va… » Ni une, ni deux, le Marocain récupère son frère, debout sur l’arrêt de bus Charles de Gaulle – Étoile des lignes 31 et 341, juste en face de Montblanc, et part retrouver d’autres copains un peu plus loin. « On sort la tête haute, lance l’un d’eux, ne souhaitant pas du tout s’arrêter sur l’incident que viennent de vivre ses potes. « Nous sommes les pires supporters du monde. On aime cracher sur tout le monde et foutre le bordel dès qu’il y a une défaite. Mais là, on ne peut qu’être fiers, c’est la première fois qu’on se retrouve à applaudir une défaite », se marre-t-il. « En revanche, va falloir qu’on parle de la chatte à DD », reprend Anas, qui n’a toujours pas digéré l’élimination plus tôt dans la soirée.
Victoire française, marocaine et algérienne
22h54. Voilà une heure tout pile que les Bleus ont validé leur ticket pour Lusail, et l’avenue des Champs-Élysées est complètement remplie. Impossible de circuler, le moindre mobilier urbain et moyen de transport, à commencer par les véhicules, devient un perchoir improvisé, d’où les plus téméraires lancent des chants repris par des supporters enfiévrés. Un fumigène par ci, un autre par là. Entre une Marseillaise et Freed From Desire, un groupe d’Algériens attire l’attention devant la bijouterie Bulgari. Ils sont six ou sept, le maillot des Fennecs sur le dos à débattre de manière presque virulente. « Vous n’avez rien à faire là ! », lance une adolescente et supportrice marocaine. « Boooooouuuuu ! Vous avez pris un but de Kolo Muani ! », se moquent les autres. Et quelques secondes plus tard, comme un symbole, Zachary, un homme d’une trentaine d’années avec un chapeau tricolore sur la tête et du maquillage bleu, blanc, rouge sur les joues, débarque et calme les esprits : « Ce soir tout le monde a gagné ! Toi, vous et moi ! » Un poil éméché, mais avec un rire contagieux, Zachary siffle la fin de la discussion.
Pendant plus de deux heures, la fête bat son plein, et les sourires sont sur toutes les lèvres. Aux alentours du monument, l’ambiance fraternelle règne partout : sur des deux roues, en double file ou sur les trottoirs. On peut apercevoir un passager tendre un drapeau rouge quand le conducteur lève une main avec un petit drapeau français. Beaucoup sortent des décapotables parées de rouge et souvent munis de la tunique à coq pour chanter et rigoler avec les autres. Et complètement bloqué sur le rond-point, un couple s’énerve. « Mon cœur, tu as vu comment la tour Eiffel est belle, elle scintille ! », pointe du doigt la jeune femme, assise sur le rebord de la fenêtre côté passager d’une Fiat Panda. « Qu’est-ce qu’on s’en fout de la tour Eiffel ! Elle est en finale de la Coupe du monde, elle ? Je crois pas ! » Une réponse qui fait rire les deux amoureux une poignée de secondes plus tard. Minuit. Pour une partie des fêtards, il est l’heure de rentrer de manière à être en forme demain au travail. Pour les autres, il s’agit de suivre Jérémy, qui doit certainement être en train de sabrer une nouvelle bouteille de champagne quelque part sur l’avenue.
Par Matthieu Darbas, en Opel Corsa sur les Champs