- Mondial 2022
- Demies
- France-Maroc
France-Maroc : Dayot Upamecano, qui peut le stopper ?
Épatant à la première relance et au duel dans cette Coupe du monde, Dayot Upamecano étonne et détonne. La progression est stupéfiante, et voilà le natif d'Évreux lancé pour de bon sur la route du très haut niveau. Jusqu'où ?
Souviens-toi, Copenhague. 25 septembre dernier. Face aux Danois, l’équipe de France joue sa survie en Ligue A de la Ligue des nations. Mais là n’est pas franchement l’essentiel. Dans cette configuration bien particulière, il s’agit surtout du dernier match des Bleus avant France-Australie, première rencontre de la Coupe du monde 2022 58 jours plus tard. L’ultime répétition et la dernière chance pour faire battre le cœur de Didier Deschamps et entendre son nom sur TF1 début novembre. En défense, le trio Benoît Badiashile (1 sélection), William Saliba (7 sélections) et Dayot Upamecano (9 sélections) est aligné. Ce qui coïncide d’ailleurs avec la dernière de la défense à trois de DD. La défaite est cinglante (0-2) face à une équipe que les Français affronteront au Qatar.
Pas au niveau et souvent dépassé malgré une entame convaincante, Dayot Upamecano pioche une fois de plus avec le maillot bleu. Depuis sa première cape en septembre 2020, l’Ébroïcien montre trop de fébrilité, avec des approximations éliminatoires pour le très haut niveau et un Mondial. Convoqué par Deschamps pour la Coupe du monde, avec, dans sa besace, il est vrai, des copies maîtrisées avec le Bayern, Upamecano a enfilé le costume d’un titulaire. Avec les résultats collectifs, et surtout les prestations individuelles qui vont avec. « J’ai eu des mauvais moments avec l’équipe de France, ne s’est pas caché l’intéressé en conférence de presse la semaine passée. Je n’ai jamais pensé que c’était fini. J’ai toujours continué à travailler. J’ai toujours dit que j’allais revenir dans cette équipe. » Aujourd’hui, il n’est pas hors sujet de dire que le défenseur de 24 ans fait partie du top 5 des meilleurs Bleus au Qatar depuis un mois.
Les bizutages ratés de Dayot
Septembre 2020-décembre 2022, le chemin est rapide à l’échelle du foot, mais la progression est explosive. Avec une accélération en 2022, sous la houlette de Julian Nagelsmann qui l’accompagne depuis le RB Leipzig. « Il est très protocolaire, dessine Romaric Bultel, l’un de ses premiers formateurs à Évreux. Il passe les étapes une par une. Une fois que c’est validé, il ne fera jamais marche arrière. Ce sont deux à trois années à chaque fois. Il se donne des challenges. Il a besoin de prendre le temps, d’être épanoui. » C’est ça, Dayot, ou Dayotchanculle, son prénom intégral, donné par ses parents à la naissance pour rendre hommage à son arrière-grand-père, roi d’un village en Guinée-Bissau, d’où est originaire sa famille. Upamecano a besoin de ce temps d’adaptation et doit résister à des débuts parfois hésitants. Il se souvient forcément de sa première avec Liefering, où il était parti se développer en Autriche avant d’intégrer le Red Bull Salzbourg. Là-bas, pour son bizutage, il écope d’un carton jaune dès la 20e avant d’être remplacé à la demi-heure de jeu.
À Leipzig, il y a ce remplacement – tactique, disait-on – au bout de 31 minutes pour sa première titularisation en Bundesliga. Ce naufrage absolu avec le Bayern à Mönchengladbach (0-5) quelques mois après son arrivée. « Il avait un profil de carrière bien établi, félicite Patrick Guillou, qui scrute la Bundesliga chaque week-end pour beIN Sports. C’est un message pour les jeunes qui se fourvoient dans des choix où ils privilégient l’argent au fait de jouer. » Et Guillou de dresser le constat suivant : « À Leipzig, par exemple, ils ont accepté qu’il fasse des erreurs. La force mentale qu’il a, c’est qu’il se remet en question et croit en ses capacités. Si on croit qu’il a pris un coup au menton, il n’est pas sonné et continue d’avancer. » Dans France Football, Dayot Upamecano ne disait pas mieux : « Je savais que je n’étais pas le meilleur, que je devais travailler plus que les autres pour réussir, mais je savais également que mon mental était meilleur que celui des autres. Ça, c’est vraiment ma force. »
Upamecano et l’opéra
Avancer pour progresser toujours plus petit à petit. Jeune papa, évènement qui change toujours beaucoup de choses question maturité d’un sportif et d’un homme, installé dans sa maison en Bavière, avec tout un staff autour de lui (chef cuistot, ostéopathe, etc.), Upamecano a également vu une évolution majeure : sa communication et son parler n’ont plus rien à voir. Celui qui était moqué à l’école pour son bégaiement a longtemps souffert de ça. De quoi renforcer une carapace et sa discrétion en début de carrière. Mais il suffit de l’écouter en zone mixte après les rencontres ou en conférence de presse pour comprendre combien Upamecano a bossé ce domaine. Rendant son langage corporel nettement meilleur. On sent chez lui une confiance sur et en dehors du terrain pas toujours visible par le passé. « Je ressentais le besoin de travailler ma voix pour davantage diriger ma défense. On a travaillé avec un monsieur qui faisait de l’opéra », expliquait-il à L’Équipe. Pour être capable aujourd’hui de savoir élever la voix comme envers Kylian Mbappé face au Danemark. « Je vois toujours le même qu’avant, promet Romaric Bultel. Mais avec plus d’assurance. Il a gagné en maturité. C’est devenu un homme confirmé, bon dans sa communication. Je l’entends avec sa voix un peu rauque, enrouée. Aujourd’hui, il fait plaisir à entendre et à voir. Quand il prend la parole, c’est posé, dynamique, constructif, c’est agréable. »
« Il a travaillé toute sa vie pour ces moments »
Une confiance en club qui transpire plus que jamais sur le terrain depuis le début de l’exercice 2022-2023. On se souvient quand il matchait Erling Haaland au sprint en préparation. Mais aussi de sa masterclass face au Barça en Ligue des champions. Les erreurs et les sautes de concentration marquent moins que ses duels gagnés et son assurance. « Il s’est bonifié dans la gestion de l’infériorité numérique, apprécie Patrick Guillou. Au Bayern, il a souvent des 1 contre 2 et tout le temps des 1 contre 1, avec une énorme profondeur à gérer dans son dos. Plus globalement, la progression est constante. D’un point A à un point B situé très, très haut. Les marches sont conséquentes, mais il les a montées deux par deux. »
Mais n’allez pas croire qu’à 24 ans, il ne profite pas de l’instant présent. « Il a travaillé toute sa vie pour ces moments, souffle un proche. C’est spécial, il est tellement content de ça. » Concentration de tous les instants et faculté appréciable et appréciée de casser les lignes adverses, Dayot Upamecano donne le sentiment d’être parti pour tout casser, et pour longtemps. « Au Bayern, quand tu côtoies Thomas Müller, Robert Lewandowski et les autres, tu te dois d’être à ce niveau d’exigence, note Guillou. Forcément, tu te bonifies et tu peux prétendre à aspirer encore à autre chose. L’insouciance laisse place à l’expérience et à la maturité. » Das Biest (la bête), son surnom en Allemagne, est vraiment prête à manger du Lion de l’Atlas.
Par Timothé Crépin
Tous propos recueillis par TC, sauf mentions