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France-Maroc : Antoine Griezmann, l’aspirateur bleu
Comme lors de chaque rencontre livrée au cours de la troisième Coupe du monde de sa vie, le numéro 7 des Bleus n’a pas marqué, mercredi soir, face au Maroc. Le Mâconnais avait mieux à faire : il avait une équipe à sortir du pétrin, une palette défensive à colorer et un nouveau match à illuminer. Il est plus que jamais le patron de cette équipe de France.
Et soudain, Antoine Griezmann s’est arrêté de courir. Il a alors ouvert les bras et s’est mis à enlacer deux frères de lutte : Ibrahima Konaté et Raphaël Varane. Le contrôleur de la seconde demi-finale de cet hiver qatari, le Mexicain César Ramos, venait de siffler trois fois et d’envoyer l’équipe de France vers une deuxième finale de Coupe du monde consécutive, la quatrième de l’histoire du pays. Sans hasard, puisqu’il n’en existe aucun à ses hauteurs, le numéro 7 des Bleus a choisi de fêter cet accomplissement en compagnie de ceux avec qui il s’est le plus sali, mercredi soir, dans un stade Al-Bayt submergé par des vagues rouges étourdissantes. Le bordel était annoncé et il n’a pas raté son rendez-vous. Griezmann non plus, lui qui, il y a plus de quatre ans, avait pris un pied monumental en passant sa nuit à harceler des Belges sur une pelouse de Saint-Pétersbourg.
Le joueur de l’Atlético a cette fois commencé sa soirée en venant apparaître dans le dos de Sofyan Amrabat et sous le nez de Jamad El Yamiq, envoyé au tapis par le jeu de corps de son adversaire tricolore, puis en regardant une frappe contrée de Kylian Mbappé retomber sur Theo Hernandez. À cet instant, Antoine Griezmann a puni la décision de Walid Regragui de d’abord habiller son Maroc en 5-4-1 plutôt qu’avec son 4-1-4-1 habituel – il y est revenu à la suite de la sortie de Saïss après vingt minutes de jeu – et a lancé une soirée d’où l’équipe de France est sortie vivante en surfant, souvent à l’arraché, sur les secousses à l’aide d’un plan que les coupeurs de tête de l’Atlas n’avaient jamais rencontré (contrôle de la possession, mais bien plus d’occasions concédées que face à l’Espagne et au Portugal). On a alors pensé que le plus dur était fait, que cette demi-finale allait s’éteindre comme la première, mais on a été gâté : les Lions de Regragui, qui ont peiné à vraiment piquer lors du volet inaugural de la rencontre malgré de chouettes intentions et malgré Ounahi, une nouvelle fois phénoménal, n’ont pas lâché le steak et ont secoué les Bleus jusqu’à la dernière seconde. En vain, grâce en partie à Griezmann, qui s’est de nouveau amusé à faire une conférence sur la science défensive.
La répartition des 48 ballons touchés par Antoine Griezmann, dont une grande majorité dans sa zone préférentielle : celle où est née le premier but français du soir.
De passage cette semaine face aux micros, Raphaël Varane était clair : « Si le rôle d’Antoine a un peu changé durant cette Coupe du monde, il a toujours les mêmes qualités. Il peut couvrir beaucoup de terrain, il met toujours beaucoup de cœur, il a toujours sa justesse technique et il continue de donner le tempo des matchs par ses passes, ses déviations. Il permet d’accélérer un match ou, au contraire, de temporiser. » En d’autres termes, dans la galaxie bleue, celui qui est devenu contre l’Angleterre le meilleur passeur de l’histoire du pays est le mec qui est chargé de contrôler l’interrupteur. Et mercredi soir, après avoir allumé la lumière, Antoine Griezmann, qui n’a toujours pas marqué dans cette Coupe du monde et n’a d’ailleurs plus fait trembler de filets avec les Bleus depuis plus d’un an, l’a éteint à plusieurs reprises en multipliant les allers-retours entre le rond central et sa surface pour filer un coup de main à des coéquipiers en galère. Il n’a surtout jamais perdu sa lucidité au cours de la rencontre, ce qui fait plus que jamais de lui le boulon central, sans doute plus encore que Kylian Mbappé, de cette aventure 2022. Les chiffres accompagnent même l’impression visuelle, puisque si Griezmann a offensivement créé quatre occasions, il a surtout contré un tir, intercepté deux ballons et en a récupéré neuf (!), sans compter qu’il a aussi dégagé trois bombes d’une surface où Ibrahima Konaté a également régné en maître.
L’esprit du 10
Avant de sortir sa calebasse à maté et de mettre sa bombilla dans le bec à quelques jours de défier l’Argentine, le MVP de cette rencontre frénétique, qui s’est encore une fois occupé de beaucoup de choses, est venu concéder : « En 2018, je pleurais après la Belgique. Là, je suis plus concentré et j’ai davantage les pieds sur Terre pour préparer le match de dimanche. Les Marocains m’ont quand même impressionné. Ils nous ont posé beaucoup de problèmes, notamment en seconde période. Tous les matchs sont compliqués, ça se joue à rien, mais il faudra s’en servir. » Une photographie restera au-dessus des autres : on y voit Griezmann qui, à la 62e minute de jeu, lève le bras et alerte Didier Deschamps au sujet d’un déséquilibre que l’animation défensive française ne peut plus assumer après 35 minutes traversées sans grand contrôle. Moins de deux minutes plus tard, le sélectionneur répondra par l’entrée de Marcus Thuram à la place d’Olivier Giroud, ce qui aura permis de recaler Mbappé dans l’axe et de soulager le côté gauche de l’édifice tricolore pour une dernière demi-heure où tout n’a pas été non plus parfait.
« Ce qu’on est en train de faire est assez exceptionnel. Ça nous a encore fait du bien de souffrir, de voir qu’il n’y a rien de simple, et maintenant, il reste le plus beau match du monde à jouer », a également lâché l’aspirateur français, moins émotionnel qu’en 2018. C’est ce qu’on appelle la force de l’expérience, le calme des grands, la sagesse bienvenue du héros qui est repassé devant Lionel Messi en haut de la pile des joueurs ayant sorti le plus de passes clés depuis le début du tournoi et qui traverse ce Mondial en redessinant à sa manière le rôle du numéro 10. Ce qu’il en disait avant la Pologne : « Je ne suis pas un joueur qui va tirer cinquante fois par match. J’essaie surtout de trouver la meilleure solution parce que l’équipe a besoin de moi dans le cœur du jeu, pour faire le lien entre les défenseurs et les attaquants. Je ne vais pas me casser la tête. Je veux plutôt trouver mes attaquants, les mettre dans de bonnes situations, et aider ma défense quand on n’a pas le ballon. » Sans Pogba et sans Kanté, l’équipe de France avait besoin de ce Griezmann pour poser des mailles aux côtés de Rabiot, Tchouaméni et Fofana. Walid Regragui connaissait toutes les qualités du talisman français et l’avait évoqué mardi en conférence de presse. Il n’a finalement pu qu’applaudir le roi des cuisiniers bleus.
Par Maxime Brigand, à l'Al-Bayt