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France-Belgique, les origines
La France et la Belgique se sont croisées plus de 70 fois, que ce soit en compétitions officielles ou amicales. Voici près de 124 ans, les deux sélections s'affrontaient même pour leur première prestation internationale. Un match nul 3-3 qui servira d'acte fondateur, quelque peu apocryphe et flatteur.
1er mai 1904. Un jour pas encore férié (il faudra attendre 1919 pour qu’on puisse se reposer le jour du travail). Au stade du Vivier d’Oie dans les parages de Bruxelles, un arbitre anglais s’apprête à donner le coup d’envoi d’un match de football-association (par opposition au football-rugby, qui a alors encore clairement l’ascendant sur son frère ennemi). L’homme en noir ne songe pas une seconde qu’il écrit une page d’histoire.
Cette rencontre est pourtant la première rencontre officielle internationale des deux protagonistes, à savoir la France et la Belgique. En ce moment crucial, les Bleus se présentent en blanc alors que leurs opposants portent déjà fièrement un rouge qui deviendra diabolique. Le nul final 3-3 permet aux 22 héros de se partager le trophée offert par Évence Coppée (un nom qui parlera aux salariés de Libération), ingénieur belge qui fit fortune dans le charbon, pour honorer l’amitié entre les deux peuples. Avant bien évidemment de craquer pour une tournée des caves, le sport santé n’étant pas encore à la mode.
Officiel ou pas ?
À en croire les annales officielles, cette modeste confrontation – qui attire néanmoins 1500 spectateurs – inaugure la grande épopée de nos onze Tricolores. Demeure tout de même un doute pour de simples raisons administratives. À l’époque, les amoureux du ballon rond sont éparpillés dans de nombreuses structures et organisations, dont les patronages cléricaux en guerre contre la gueuse (comprenez la république laïque), les amicales périscolaires, l’USFSA (l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques), les coopératives ouvrières et les universités populaires. Cette équipe de France provient des rangs de l’USFSA et essentiellement de ses clubs parisiens.
Or, la FIFA ne sera fondée que quelques jours plus tard, le 21 mai 1904, avec comme président un certain Robert Guérin, journaliste, par ailleurs présent lors de la rencontre en Belgique (autour de laquelle de nombreuses discussions sur la constitution de la Fédération internationale se sont tenues). Par la suite, la maison mère ne reconnaîtra que le CFI (Comité français interfédéral), vénérable ancêtre de notre FFF, instauré à l’initiative du « catholique » Charles Simon pour unifier les footeux. L’USFSA, qui demeure dans son splendide isolement, gardera néanmoins la mainmise sur les sélections aux JO.
Les médias, déjà…
Toutefois, et c’est peut-être le plus important, ce match permet de commencer les chroniques officielles de notre football national sur une note positive avant que s’enchaînent les défaites. Le journal des débats politiques et littéraires le soulignera déjà dans son édition du 15 janvier 1922 avec amusement à l’occasion de la quatorzième confrontation entre les deux formations à Colombes. « Le palmarès n’est pas très glorieux pour nous » , est-il écrit, citant notamment les 7-0 puis 5-0 en 1905 et 1906.
D’ailleurs, le jour dit, personne ne prend vraiment conscience de la postérité de l’événement. La presse généraliste se penche en priorité sur les résultats des élections municipales ou la raclée que les Japonais infligent aux Russes en Mandchourie. Le Matin de Paris ne consacre qu’un entrefilet informatif : « À Brussels, dimanche dernier, l’équipe de Belgique et l’équipe de France ont fait match nul 3 à 3. » Les journaux spécialisés, quant à eux, se focalisent sur les championnats militaires de cross-country. La Vie au grand air glose de son côté sur la large victoire 6-1 des pros de Southampton au Parc des Princes contre « l’équipe de France amateur » devant 5 000 spectateurs, alertant sur la tentation – pour rattraper pareil retard – de suivre l’exemple de la perfide Albion. En bref, d’instaurer le professionnalisme chez nous. L’anathème tiendra trente ans.
Une rencontre loin d’être anecdotique
Le match n’est pas anecdotique pour autant. Il illustre la montée en puissance du sport et son rôle désormais important dans le bal des nations, voire des nationalismes qui s’apprêtent à embrasser le Vieux Continent. Même le foot fut timidement intégré dans les JO en 1900 en démonstration (ce qui permit à Georges Garnier, un des gars du onze tricolore ce 1er mai 1904, d’être vice-champion olympique au sein de l’effectif du Club français qui disputait le tournoi des anneaux). Le football, qui compte une petite dizaine d’années de présence sérieuse en France depuis le championnat de l’USFSA en 1894, a besoin de monter en grade et en gamme. Le choix des Belges s’avère aussi bien géographique (bien que les Bleus aient dû emprunter le train de nuit) que technique, car bien plus abordable sportivement qu’une confrontation contre des Britanniques intouchables pour les continentaux (en avril 1909, les Three Lions écrasent par exemple la Belgique 11-2).
Quelque part, le nul était presque programmé. Le Petit Journals’en réjouit d’ailleurs le lendemain : « C’est un succès pour l’équipe française qui, au dernier moment, avait été privée des services de deux de ses meilleurs joueurs. » En effet, en plus du Havrais Charles Wilkes incapable de rejoindre ses camarades, Georges Bayrou et Pierre Allemane sont forfaits, retenus sous les drapeaux. Émile Fontaine est en revanche du voyage. Comme un certain Louis Mesnier, qui inscrit le but liminaire tricolore à l’international. L’année suivante, les Bleus remportent leur première victoire contre les Suisses. Et en 1998, une première Coupe du monde. Et en 2018…
Par Nicolas Kssis-Martov