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France-Algérie par ceux qui l’ont vécu

Par Adel Bentaha, Adrien Candau et Andrea Chazy / Photos : IconSport
France-Algérie par ceux qui l’ont vécu

Le 6 octobre 2001, le premier France-Algérie de l'histoire du football s'arrêtait à la 76e minute de jeu à la suite de l'envahissement de la pelouse du Stade de France par plusieurs supporters des Fennecs. Vingt ans plus tard, ce qui devait constituer le symbole de la grande réconciliation entre les deux nations reste leur seule et unique confrontation balle au pied*. Retour sur un immense rendez-vous manqué, avec ceux qui l'ont vécu au stade.

Le casting

Marie-George Buffet : ministre de la Jeunesse et des Sports du gouvernement Jospin de 1997 à 2002.Rachid Djebaili : ex-international algérien qui fêtait sa première sélection avec les Fennecs face aux Bleus ce 6 octobre 2001.Mouloud Haddad : historien et sociologue, spécialiste de l’espace Euro-Méditerranée, présent au stade ce soir-là.Karim Kerkar : ex-international algérien (7 sélections).Mehdi Méniri : ex-international algérien (23 sélections, 2 buts).Pierre Peyronnet : ex-journaliste bord terrain pour TF1, aujourd’hui rédacteur en chef de BFM TV.Lilian Thuram : ex-international français recordman de sélections chez les Bleus.


La mise en forme du projet

Marie-George Buffet : À la suite d’une rencontre avec mon homologue algérien de l’époque, Abdelhamid Berchiche, nous avions émis l’idée de montrer que le sport pouvait être un instrument de solidarité entre deux peuples à l’histoire commune, mais tragique. On voulait créer ensemble un événement autour des relations entre ces deux pays. La FFF et son président Claude Simonet ont été facile à convaincre.

L’Algérie sortait d’une période extrêmement difficile tandis que la France entrait dans un nouveau cycle politique. Comme souvent, le football débarquait en sauveur.

Mehdi Méniri : On nous a annoncé la programmation de ce match un mois avant la date. Pour notre équipe nationale, alors dans le creux de la vague, affronter les champions du monde et d’Europe en titre était inespéré. Il y avait tout de même deux lectures à avoir : la première était sportive et la seconde d’ordre diplomatique. Cette rencontre n’a pas été arrangée pour le simple « amour du sport » comme a pu le laisser entendre le discours infantilisant de certains dirigeants. L’Algérie sortait d’une période extrêmement difficile (la décennie noire, NDLR) tandis que la France entrait dans un nouveau cycle politique (les élections présidentielles de 2002, NDLR). Comme souvent, le football débarquait en sauveur.

Lilian Thuram : Pour moi, c’est vraiment une rencontre à forte portée politique et après le 11-Septembre, ce match était une chance. Bien évidemment, il y avait beaucoup de raccourcis par rapport à ce qu’il s’était passé aux États-Unis. Trop de personnes disaient que ces attentats étaient la faute des musulmans. Ce match France-Algérie arrivait donc au moment opportun. Nous savons tous que nous avons besoin de recréer des liens entre la France et l’Algérie.


L’avant-match

Pierre Peyronnet : Le matin du match, Pascal Praud et moi-même sommes convoqués par le directeur des sports de TF1, Frédéric Jaillant. Il nous dit : « Il y a des informations du ministère de l’Intérieur sur de possibles débordements. Si c’est le cas, Praud tu prends la main sur le commentaire général et Pierre, toi, sur ce qu’il se passe près de la pelouse. » Il s’agissait du premier France-Algérie de l’histoire, avec une attente exceptionnelle autour de cette rencontre. La présence de Zinédine Zidane rendait l’événement encore plus symbolique.

Méniri : Le brouhaha d’avant-match était beau ! La seule chose qui pouvait à la rigueur inquiéter les autorités, c’était une menace terroriste. Nous étions juste après le 11-Septembre et les mouvements de foule étaient sous surveillance constante. Les tribunes présidentielles étaient garnies de personnalités politiques. Le contingent était impressionnant et, disons-le, cela ressemblait à une cérémonie ministérielle.

Buffet : Il n’y avait aucun élu de droite le jour du match. Même le président Chirac n’est pas venu. Nous avions eu une discussion à Matignon quelques jours avant et d’après les RG, les choses se déroulaient plutôt bien. Alors, est-ce que l’Élysée a eu d’autres informations, qui ont amené le président de la République à ne pas être présent ? Je n’en sais toujours rien, mais sur le coup, on s’en était étonné.

Rachid Djebaili : Avant cette rencontre, on avait joué deux matchs amicaux (contre le FC Zürich le 25 septembre et contre l’US Créteil le 4 octobre, NDLR). À Créteil, les spectateurs étaient entrés sur le terrain à la fin du match pour essayer de récupérer des maillots. Ça nous mettait dans l’ambiance et ça nous permettait d’appréhender ce France-Algérie d’une autre manière. Le 6 octobre, c’était la première fois que ma maman mettait les pieds dans un stade. Quand je jouais à Besançon, elle ne venait jamais, mais là, elle tenait absolument à être présente.

Beaucoup se souviennent des sifflets entendus durant La Marseillaise, mais personne n’a souligné les acclamations réservées à Zinédine Zidane ou Thierry Henry par exemple.

Buffet : On était loin du match violent ou d’une guerre des banderoles. Il n’y avait d’ailleurs aucune banderole politique… A posteriori, on peut toujours se dire qu’on n’a pas pris les mesures de sécurité suffisantes. Certains disaient qu’il aurait fallu annuler le match, mais le contexte est à prendre en compte. On est après le 11-Septembre et notre raisonnement avec le ministère des Sports c’est de dire : « L’Algérie n’a rien à voir avec les attentats, donc on maintient le match ». On s’est quand même posé la question en raison de la forte émotion internationale, mais annuler la partie pour ça, c’était une aberration.

Mouloud Haddad : Devant les portes du stade, certains militants en profitaient pour distribuer des tracts de revendication après le Printemps berbère. En tribunes, beaucoup se souviennent des sifflets entendus durant La Marseillaise, mais personne n’a souligné les acclamations réservées à Zinédine Zidane ou Thierry Henry par exemple. Les joueurs étaient les garants de ce spectacle exceptionnel, mais tout ce que l’histoire a retenu c’est le négatif.


La Marseillaise sifflée

Buffet : Je n’ai pas été surprise qu’il y ait eu des sifflets pendant La Marseillaise, compte tenu de l’histoire de nos deux peuples. Est-ce que je pensais que cela prendrait cette ampleur ? Non. Une telle manifestation de masse exprimant une colère, un rejet de l’hymne national, je ne m’y attendais pas.

Djebaili : Nous, les joueurs de l’équipe d’Algérie, on s’est tous regardés, dépités. On ne comprenait pas. Pour nous, cela devait être une fête. On ne voulait pas que ça se termine en eau de boudin. Donc, là, tu te dis : « C’est mal parti ».

Karim Kerkar : J’étais surtout gêné pour les joueurs et les supporters français. Tu comprends que les spectateurs expriment maladroitement leur colère vis-à-vis de conditions sociales loin d’être faciles. Sauf que ce n’était ni le moment, ni l’endroit pour le faire à mon sens. L’hymne est un élément suffisamment solennel pour être respecté.

Quand on siffle La Marseillaise, ce n’est pas qu’on a un problème avec ce chant, mais bien un problème avec la France. Ce problème, c’est une volonté d’être reconnu et d’être aimé.

Thuram : Au moment des hymnes, je ne suis pas surpris. Peut-être du fait de ce que j’avais vécu : je suis né aux Antilles, puis j’ai grandi en banlieue parisienne. Pour moi, quand on siffle La Marseillaise, ce n’est pas qu’on a un problème avec ce chant, mais bien un problème avec la France. Ce problème, c’est une volonté d’être reconnu et d’être aimé. Ce que ces sifflets expriment c’est : « Pourquoi vous ne nous reconnaissez pas ? Pourquoi vous nous rejetez ? » En grandissant en banlieue parisienne, mes amis et moi-même avons eu ces questionnements. Il y a alors une réelle difficulté à se présenter comme Français, car nous ne sommes pas considérés comme des Français à part entière. Nous avons toujours senti ce mépris, on nous perçoit comme étant « des étrangers » . Pourquoi ? Derrière ces sifflets, il y a une demande de reconnaissance et de respect.

Buffet : Je pense que ces sifflets témoignaient quand même de quelque chose dont on ne prend pas toujours la mesure. À savoir, que l’histoire de nos deux pays restent dans les mémoires, y compris dans celles de ces jeunes générations d’origine algérienne. Parce que certains membres de leurs familles ont été victimes de la guerre d’indépendance, d’autres d’avoir été du côté de la France comme les Harkis… Cette histoire, je pense, n’a toujours pas été digérée… La banalisation de cette période par la reconnaissance des fautes de chacun et surtout de la France n’est pas encore vraiment faite. Ça reste dans les mémoires, dans l’actualité, et les gens ont trouvé les moyens d’exprimer ça.


Zidane, l’homme du match

Djebaili : C’était ma première sélection officielle avec l’Algérie. Au Stade de France, face aux Bleus. J’avais l’impression d’être dans une autre dimension. Tout le match, j’attends le moment où je vais entrer en jeu. Quand ça arrive enfin (à la 66e minute, NDLR), c’est un truc de ouf. C’est comme dans un rêve. Je me dis : « J’espère que ma mère ne va pas me réveiller pour me dire d’aller à l’école. » (Rires.)

Buffet : J’ai vécu le match comme j’ai vécu toute la Coupe du monde 1998 : je regardais davantage les tribunes que le match en lui-même. Chaque minute sans incident, c’était gagné. Puis, j’attendais la minute suivante. J’étais tendue. J’avais la responsabilité de ce match. Pour être honnête, j’y pense encore aujourd’hui.

Haddad : L’un des paradoxes de cette rencontre se nomme purement et simplement Zidane. Au milieu de tout ce brouhaha lié à La Marseillaise, beaucoup oublient de souligner que seul Zinédine Zidane a été ovationné par les deux camps. Lors de son entrée sur la pelouse, à la fin des hymnes et sur chaque contrôle de balle, une clameur s’emparait de tout le stade.

Zidane, ce jour-là, j’avais l’impression qu’il jouait sur une jambe. Il n’avait pas envie (Rires.).. Les gestes les plus simples, on avait l’impression qu’il faisait exprès de les rater.

Haddad : C’était lui, le véritable trait d’union entre ces deux peuples à l’histoire commune, qui s’aiment autant qu’ils peuvent parfois se détester. Il faut impérativement souligner le rôle qu’a eu Zidane à ce moment-là. D’ailleurs, en plein envahissement du terrain, on pouvait voir certains joueurs algériens courir pour lui demander un autographe. Son calme légendaire et l’aura qu’il pouvait véhiculer tranchait nettement avec la gravité des événements que l’on a par la suite voulu sous-entendre.

Djebaili : Zidane, ce jour-là, j’avais l’impression qu’il jouait sur une jambe. Il n’avait pas envie (Rires.).. Les gestes les plus simples, on avait l’impression qu’il faisait exprès de les rater. C’est ce que j’ai ressenti au bord du terrain, avant d’entrer en jeu. Quand tu es Franco-Algérien, il y a cette injonction permanente à choisir entre les deux pays. On veut nous imposer un modèle. Alors que moi, par exemple, je kiffe la France et je kiffe aussi le pays de mes origines. Et je pense que c’est pareil pour Zidane.


La 76e minute et l’envahissement de terrain

Méniri : Il restait un quart d’heure à jouer. J’étais près de ma surface, aux côtés de Youri Djorkaeff et Robert Pirès. Au début, on voit cette jeune fille qui entre sur la pelouse. Tout le monde se met à rigoler, car les agents de sécurité n’arrivaient pas à l’attraper. Et puis, un deuxième spectateur, puis un autre sont entrés. On a alors compris que ça allait être le bordel.

Peyronnet : Quand tu vois cette jeune femme pénétrer sur la pelouse et que derrière elle les stadiers sont devenus les trous du gruyère, l’envahissement de la pelouse est inéluctable. Vu qu’on avait ce scénario en tête, je me dis sur le coup : « On y est » .

Cette spectatrice est immédiatement venue vers les bancs de touche. On ne comprenait pas vraiment ce qu’il se passait, mais on savait qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter.

Kerkar : Cette spectatrice est immédiatement venue vers les bancs de touche. On ne comprenait pas vraiment ce qu’il se passait, mais on savait qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. Elle voulait surtout enlacer les joueurs de l’équipe d’Algérie. Ceux qui ont suivi étaient également très jeunes et, en les voyant courir, nous avons vite compris qu’ils cherchaient surtout à amuser la galerie. Certains disaient qu’ils voulaient mettre fin au match à cause du score (4-1)… Ça me faisait un peu sourire.

Méniri : Finalement, il n’y a eu aucune panique. Certains joueurs se sont dirigés vers le tunnel. On s’est regroupé et on a décidé de les rejoindre. Nous avons longtemps cru que la rencontre reprendrait, car les spectateurs ont été évacués assez rapidement, mais il n’en a rien été. Sur les écrans géants, ils montraient les représentants politiques. Ils avaient tous un air grave. On avait perdu.

Haddad : J’ai très vite compris que le match ne reprendrait pas, car les stadiers ont laissé place aux CRS sur la pelouse, ce qui était un fait rarissime, surtout en France. Tu te sens envahi d’un sentiment de gêne vraiment pesant. Je me disais: « Ils ont encore gâché un beau moment ! » Tu vois ton pays d’origine affronter ton pays de naissance, qui a la meilleure équipe de football au monde, et tout ce que tu penses à faire, c’est tout gâcher…

Buffet : Dans les minutes qui ont suivi l’envahissement de terrain, c’était la désolation. La fête était complètement loupée : on avait voulu faire quelque chose de beau avec le sport et on n’avait pas réussi. Il y a aussi eu des incidents en tribune présidentielle, notamment avec Elisabeth Guigou (visée par des projectiles, NDLR), qui est sortie très rapidement de l’enceinte. Mais c’est le seul moment où on peut dire qu’il y a eu des actes de violence.

Haddad : On a vraiment grossi le trait de ces événements. Certains sont même allés jusqu’à parler d’émeutes. Mais on était vraiment loin de tout ça. Une majeure partie de ces personnes étaient des jeunes d’une vingtaine d’années qui ne savaient même pas quoi faire une fois sur la pelouse. Le comportement de ces jeunes était désolant et totalement nuisible à l’ambiance qu’il y avait ce jour-là, mais il faut absolument souligner le fait qu’aucune violence – qu’elle soit physique ou verbale – n’a été à signaler. Je regardais attentivement le comportement des joueurs et aucun, en particulier chez les Bleus, ne semblait paniquer. Je me souviens même de Lilian Thuram qui attrape l’un des spectateurs pour lui faire la leçon.

Lilian et ce gamin, je ne vois que ça. Quand le gamin vient sur lui pour lui demander son maillot, qu’il le prend et qu’il le sermonne, c’est une image incroyable.

Peyronnet : Lilian et ce gamin, je ne vois que ça. Quand le gamin vient sur lui pour lui demander son maillot, qu’il le prend et qu’il le sermonne, c’est une image incroyable. Il a un regard dingue de colère. C’était l’image qu’il ne fallait surtout pas que ces gamins renvoient.

Thuram : Ce garçon, je veux lui parler pour lui dire : « Sais-tu ce que tu es en train de faire ? Tu te tires une balle dans le pied ! » Quand vous voyez ces jeunes entrer sur le terrain, vous comprenez tout de suite qu’il y a des partis politiques qui vont se servir de cet événement. Vous savez déjà quelle grille de lecture vont avoir certaines personnes. Je m’attends à entendre des paroles méprisantes : « Regardez, vous avez vu ? C’est toujours les mêmes ! » Le gamin avec qui je parle, il n’est peut-être même pas Algérien. Voire pas d’origine algérienne. D’ailleurs, j’avais donné un entretien dans les jours qui ont suivi dans L’Équipe pour rappeler notamment : « N’oubliez pas que ce sont des Français ».

Haddad : La France et l’Algérie avaient trouvé un terrain d’entente qui alliait réconciliation symbolique et sens de la fête. Mais il a fallu qu’une bande d’incorrigibles gâche tout. La pire sensation, c’était de comprendre que les habituels amalgames allaient tout de suite être faits sur la jeunesse, l’immigration, les banlieues, l’intégration etc. C’est le premier sentiment dont je me souvienne. Cette sensation d’impuissance où, malgré toi, tu donnes du grain à moudre aux gens qui n’attendent que de t’enfoncer.


L’après-match

Aucun signe de la part des personnalités politiques, françaises ou algériennes. Ils ont géré cela dans leur coin et c’est tant mieux ! Le mythe du « black-blanc-beur » était déjà loin derrière nous.

Méniri : Dans le vestiaire, on se regardait d’un air béat, gêné. Je retiens cependant l’attitude de la plupart des joueurs français qui n’ont porté aucun jugement de valeur. En revanche, dans les jours qui ont suivi, nous avons eu droit à un festival de journalistes venus nous interroger. À part ça, aucun signe de la part des personnalités politiques, françaises ou algériennes. Ils ont géré cela dans leur coin et c’est tant mieux ! Le mythe du « black-blanc-beur » était déjà loin derrière nous.

Djebaili : Ma mère a quand même réussi à me faire rire après le match. Je pensais qu’elle allait être déçue, mais elle m’a dit : « Tant mieux, parce que 4-1, ça faisait déjà beaucoup ! » Une de mes sœurs n’a pas dormi de la nuit et il a fallu que je l’appelle pour la rassurer. Même si je n’ai joué que 10 minutes, ce qui compte, c’est l’intensité du moment que tu passes sur le terrain. Et moi, l’intensité, elle était au maximum. Quelques heures après le match, on s’est même pris dans les bras avec Zidane en boîte de nuit. Nous étions au VIP sur les Champs-Élysées. Patrick Vieira avait prévenu Jean-Roch qu’il y avait certains joueurs de l’équipe d’Algérie. Il est venu nous chercher et nous sommes entrés pour faire la fête.

Thuram : Bien sûr, après le match, j’étais en colère. Contre les jeunes, les partis politiques et la perception médiatique. J’étais en colère car j’avais l’impression que cet événement allait laisser une cicatrice dans l’imaginaire collectif. J’avais 29 ans, je connaissais depuis longtemps la portée politique du foot. J’ai compris que cet événement allait nourrir et réveiller certains préjugés dans la société : « Ce sont les musulmans. » C’est ce qu’on fait encore aujourd’hui. Ce match-là a nourri ce rejet profond que certains ont de l’Islam.

S’il y avait eu un envahissement de terrain lors d’un match face à la Belgique ou la Suisse, on aurait seulement parlé du mauvais comportement des supporters. Mais avec l’Algérie, ça devenait politique.

Buffet : Dès le mardi, lors des questions d’actualité (à l’Assemblée nationale), nous nous sommes rendu compte du phénomène d’instrumentalisation de cette rencontre. S’il y avait eu un envahissement de terrain lors d’un match face à la Belgique ou la Suisse, on aurait seulement parlé du mauvais comportement des supporters comme à Lens ou Marseille en 98. Mais avec l’Algérie, ça devenait politique. Pour moi, c’était même plus difficile à vivre que l’affaire du contrôle antidopage à Tignes, où j’avais été huée par les médias, car je dérangeais les grands joueurs français. Là, quelque part, on se sentait responsable des réactions envers nos compatriotes d’origine maghrébine.

Haddad : Les jours suivants ressemblaient à un feuilleton. Nous étions au mois d’octobre, mais les élections présidentielles du mois d’avril 2002 revenaient d’un seul coup au premier plan. Cette rencontre a été l’un des catalyseurs de l’argumentaire républicain qui te poussait à choisir ton camp : soit tu étais du côté français, soit du côté des fauteurs de troubles algériens. Le raisonnement était binaire et tout le monde était mis dans le même sac.


En attendant un autre France-Algérie

Peyronnet : Ne pas réussir à réorganiser un France-Algérie donne le sentiment d’un immense raté. Et pour le coup, selon moi, c’est de la faute de ces gamins. L’envahissement du terrain n’est jamais quelque chose d’anodin et ils sont tombés dans le piège alors que c’était une première historique. Ce n’est jamais la responsabilité unique d’un individu, je me souviens que le service de sécurité était défaillant, qu’on avait laissé entrer des gens sans billet… C’est une frustration terrible.

Méniri : Je pense qu’il est impossible de programmer un France-Algérie pour le moment, hormis sur terrain neutre ou en compétition officielle. Chacun y va de sa théorie en disant que c’est plus facile en Algérie car la présence militaire empêcherait les incidents. Mais c’est faux. Le climat social s’est clairement détérioré et faire jouer ce genre de match en France ou en Algérie relève de l’utopie. Les tensions sociales se sont accentuées et font aujourd’hui le jeu des extrêmes.

Buffet : Encore récemment avec l’affaire des visas, on voit que les rapports politiques entre la France et l’Algérie ne sont pas assainis. D’ailleurs, le fait qu’il n’y ait pas eu un seul autre match en vingt ans, c’est quand même hyper révélateur. Cela semble attester de la crainte qu’engendre encore la possibilité d’une rencontre sportive entre les deux pays.

Plus il y a de France-Allemagne ou de France-Algérie, plus les liens se solidifient dans l’imaginaire collectif.

Haddad : Depuis 2001, il y a une sorte de « stratégie de l’évitement » des deux côtés. Comme si on avait l’impression qu’une simple partie de football entre la France et l’Algérie pouvait faire ressurgir toutes les tensions inhérentes aux politiques des deux territoires. Malgré tout, je pense que le précédent du « 6 octobre 2001 » rend paradoxalement cette rencontre encore faisable aujourd’hui. Désormais, l’un et l’autre pays savent à quoi s’en tenir en matière de sécurité. En rejouant ce France-Algérie, on clôturera définitivement le chapitre de ce triste match.

Peyronnet : Je trouverais ça extra de voir un France-Algérie dans les prochains mois au stade de France. Ce serait un magnifique symbole. On n’est pas obligé de toujours penser que ce sera une catastrophe. Ce serait terrible qu’on n’arrive jamais à remonter ce match-là. Même si ce serait prendre un risque énorme. Car tu n’es jamais à l’abri d’un débordement, on le voit assez dans nos stades de Ligue 1 depuis le début de saison.

Thuram : J’espère qu’il y aura très bientôt un match France-Algérie ou Algérie-France. Pour cela, il faut une volonté politique. Jouer un France-Allemagne, ce n’est pas comme jouer un France-Ukraine. Plus il y a de France-Allemagne ou de France-Algérie, plus les liens se solidifient dans l’imaginaire collectif. Ne serait-il pas très intéressant d’organiser chaque année des matchs France-Algérie entre les sélections de jeunes ?

Kerkar : Il faut absolument rejouer ce match ! Beaucoup disent que c’est plus aisé de le faire en Algérie car les supporters locaux « savent mieux se tenir » . Cela ne me semble pas forcément vrai, mais pourquoi pas ? Et puis, le peuple algérien serait ravi de pouvoir accueillir l’équipe de France chez lui Cela dit, je reste convaincu que la France reste la meilleure option. D’abord pour permettre aux spectateurs français de venir en nombre et surtout pour clore une fois pour toute cet insupportable mythe autour des jeunes de banlieues.

Dans cet article :
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Dans cet article :

Par Adel Bentaha, Adrien Candau et Andrea Chazy / Photos : IconSport

* Un autre France-Algérie a eu lieu le 6 septembre 1975 à Alger, en finale des Jeux méditerranéens (remportée 3-2 par les Algériens), mais cela concernait des équipes d'amateurs et non les sélections A.

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