- Mondial 2002
- Fiasco des Bleus
- Partie 3/5
France 2002 : des Bleus champions du monde… du business
Jean de la Fontaine moquait les travers de présomption, de suffisance et d’arrogance, souvent châtiés en fin de fables. C’est dans la perspective d’une Coupe du monde 2002 « gagnée d’avance » que la France a cédé à une irrépressible et déraisonnable euphorie collective. Au point de grandement contaminer ses Bleus chéris, enivrés en outre par les sollicitations mercantiles excessives et piégés par leur instrumentalisation politique...
« C’est vous qui avez eu l’idée de tout ce cirque ? C’est complètement débile d’avoir mis cette deuxième étoile ! Vous vous prenez pour qui ? On n’est pas la dream-team ! » Furax, Lilian Thuram apostrophe l’un des responsables marketing d’Adidas. Juste avant le France-Belgique de ce 18 mai 2002, leur équipementier historique a déployé dans les travées du Stade de France un immense maillot bleu floqué de deux étoiles ! Certaines tuniques de double champion du monde sont même déjà prêtes à être commercialisées. À la veille du départ de l’équipe de France au Japon, tout un pays communie dans une arrogance et une mégalomanie des plus joyeuses…
L’Angleterre en 8es !
Cette rencontre inamicale remportée 2-1 par des Diables rouges surmotivés et qui parasite la préparation des Bleus déjà exténués a donné lieu à une cérémonie nocturne d’après-match interminable : pour cet au revoir à l’équipe de France, 2000 figurants parés de rouge Coca-Cola ont formé au centre de la pelouse du Stade de France un cœur autour des 22 Bleus montés sur un podium. Cet after grotesque vient clôturer un stage de préparation anarchique à Clairefontaine phagocyté par les partenaires commerciaux de la FFF. Durant cette « semaine VIP » (dixit Sagnol), les joueurs ont dû tous les jours après la sieste aller rencontrer les télévisions et les sponsors, baladés de tente en tente à signer des autographes. Leurs agents présents aussi sur place ont déjà réservé des chambres au Sheraton de Séoul où logeront les champions du monde en titre… Alors trop, c’est trop ! Voilà pourquoi Lilian Thuram a craqué en invectivant le ponte d’Adidas. Le héros de France-Croatie 1998 est l’un des rares tricolores lucides à s’ériger en rempart dérisoire au tsunami de prétention nationale qui déferle depuis le 12 juillet 1998. Lilian a tenté de réfréner cette ferveur supporteriste aveugle amplifiée par les sponsors et les médias. Même L’Équipe, de par son éditorialiste Christian Montaignac, a conceptualisé la « PPP » ( « Pensée positive permanente » ) afin d’exalter la suprématie de Bleus devenus quasi invulnérables. L’équipe de France, c’est nos potes qu’on appelle par leurs surnoms : Titi, Trezegol, Nino (Wiltord), Zizou, The Snake (Djorkaeff), Pat, Manu, Marcelo, Francky, Thuthu, Fabulous Fab. Devenus stars des magazines people, on connaît même leurs compagnes : Betty, Véronique, Adriana, Elsa, Agathe…
Le tirage au sort de la Coupe du monde effectué le 1er décembre 2001 a placé la France, tête de série n°1, dans le groupe A avec le Sénégal, l’Uruguay et le Danemark ? Fastoche ! Alors la France du foot se projette d’ores et déjà sur le huitième de finale contre l’Angleterre. En mars 2002, 73% des Français voient toujours leurs chouchous champions du monde en Asie. Avant le France-Roumanie de février, Lilian a pourtant averti : « S’imaginer faire la passe de deux, ça c’est vraiment un truc de supporters ! » Le Cassandre antillais en a ajouté une couche avant le France-Russie du 17 avril : « Faisons attention de ne pas tomber dans l’euphorie nationale. » Peine perdue ! En ce mois de mai 2002, le publicitaire Jacques Séguéla pérore sur le slogan réactualisé de France 1998 pour la campagne d’Asie, « la victoire est (toujours) en nous », qui selon lui fait sens en cette année électorale mouvementée : « La victoire est en nous, en nous tous. Qu’est-ce qu’on peut dire de plus beau à un peuple qui doute ? » Canal+ diffuse au même moment Les Yeux dans les Bleus II (première partie, La Préparation) à la gloire du Onze de France. Cette euphorie nationale a dangereusement concouru à étendre l’emprise commerciale des marchands du Temple, toujours plus désireux de capitaliser sur la poule bleue aux œufs d’or. En 2002, le barnum publicitaire qui envahit Clairefontaine à chaque rassemblement des sélectionnés, et jusqu’au stage de mai, donne lieu à de cocasses tournois des partenaires entre les équipes d’employés de France-Loisirs, Carrefour ou Total-Elf…
L’équipe de France, régie publicitaire
Avant le France-Écosse de mars 2002, le terrain d’entraînement Pierre Pibarot est même réquisitionné pour le clip de Johnny Hallyday ! Car il fallait évidemment un hymne bien lourdingue pour entretenir la flamme incandescente avant le triomphe annoncé. L’atroce chanson « Tous ensemble » signée Catherine Lara ( « On est champion, on est tous ensemble / C’est le grand jeu, la France est debout » ) donnera l’occasion à Johnny, fan de Zazie (il voulait dire « Zizou » !), de donner le coup d’envoi de France-Russie… Tous ensemble, c’est aussi le nom de l’émission quotidienne de TF1, diffuseur intégral et exclusif de la compétition et « chaîne officielle » des Bleus, qui sera animée par Flavie Flament et Jean-Pierre Pernaut, censés ambiancer la France jusqu’au 30 juin, jour de la finale à Yokohama… La FFF a vu ses ressources publicitaires multipliées par deux entre 1998 et 2002, grâce à une cinquantaine d’entreprises partenaires et aux droits TV versés par TF1 et Canal +. L’argent coule à flots ! Mais le drame, c’est que les Bleus participent eux-mêmes pleinement au cirque médiatico-commercial qui les détourne de plus en plus de leurs objectifs sportifs. Il faut dire qu’ils touchent jusqu’à 40 % des sommes versées par les annonceurs.
Pour les contrats en perso : Zidane, c’est Volvic, Liza c’est France Telecom, Pirès, Pétrole Hahn, Petit, Elsève Shampooing, etc. Marcel Desailly, souvent blessé cette saison à Chelsea, vend son image et son statut de capitaine à SFR en plus d’animer une émission sur TPS Star où il interviewe régulièrement ses potes tricolores. Personne ne relève le conflit d’intérêt qui tourne à la privatisation des Bleus pour son profit personnel ! Avant sa grave blessure, Robert Pirès a signé en insider des Bleus en début février 2002 pour une émission baptisée Club Pirès sur Europe 1 :« Je fais comme Marcel », se justifie-t-il… En vue du Mondial 1998, Aimé Jacquet avait exigé de ses gars qu’ils cessent toute activité média et qu’ils règlent leur situation contractuelle en club avant le stage de précompétition ! Observateur impuissant du grand cirque publicitaire de Clairefontaine avant le départ pour le Japon, Roger Lemerre essaye en vain de remobiliser ses gars accaparés par l’extrasportif promotionnel en invoquant leur« devoir de mémoire » (sic) : « Ils doivent se souvenir comment ils ont conquis leur première Coupe du monde »… Mais la machine à cash fait loi, alimentée par le mythe d’invincibilité qui autorise les spéculations les plus juteuses. Avant France-Écosse, on célèbre l’équipe de France 1994-2002, classée deuxième meilleure sélection de tous les temps avec seulement 8 défaites en 8 ans, derrière la Hongrie 1945-1956. Même l’avenir est assuré : nos U17 ont été sacrés champions du monde en 2001 et nos Espoirs partent favoris de l’Euro 2002 (ils seront finalistes) ! Alors certains de nos A peuvent bien trouver encore le temps d’aller pousser la chansonnette sur le Love United anti-Sida piloté par Pascal Obispo. La sangsue Francis Lalanne, auteur du « À mon ami le Kanak » dédié à Karembeu, sifflé au Stade de France contre l’Écosse, commandera, lui, un groupe officiel de supporters autour de l’opération Kop Corée !
Ambassadeurs en crampons dorés
Les triomphes de 1998, 2000 et 2001 ont également placé bien malgré eux les Bleus au centre d’enjeux politiques dont l’emprise s’est sans cesse accentuée. Représentants d’une France black-blanc-beur à l’aura planétaire, c’est en véritables ambassadeurs qu’on les envoie de par le monde exalter un certain modèle français, multikulti et universaliste. En octobre 2000, leur rencontre avec le charismatique Nelson Mandela éclipsera l’insipide match contre l’Afrique du Sud à Johannesburg (0-0). En septembre, au Chili, les Bleus sont reçus à la fois comme des rockstars et comme des chefs d’État. En novembre, c’est en chantre de la mondialisation heureuse qui « nous pousse à nous ouvrir à tous les horizons » que Roger Lemerre justifie le périple insensé en Australie où la prestigieuse équipe de France vient aussi en partie atténuer les mauvais souvenirs de nos essais nucléaires dans le Pacifique. Entre le Chili et l’Australie, le 6 octobre, lors du France-Algérie avorté par l’envahissement du terrain, les Bleus ont été instrumentalisés à la résorption de problèmes d’intégration et de réconciliation diplomatique entre les deux pays. Las de devoir soigner à leur insu les plaies d’une société malade, ils montreront peu d’empressement à répondre aux injonctions de faire barrage à Jean-Marie Le Pen, arrivé le 21 avril au second tour des élections présidentielles. Leur communiqué a minima appuyant les valeurs républicaines sera publié par la FFF le vendredi 3 mai, avant-veille du second tour.
La dernière ligne droite avant la compétition offrira un condensé de grand n’importe quoi organisationnel, mercantile et mégalo. Juste avant de partir pour l’Asie, la FFF et les Bleus représentés par Marcel Desailly finalisent l’accord sur les primes. En cas de victoire finale, ils toucheront environ 1 million d’euros comprenant une prime fédérale de 305 000 euros par joueur (200 000 pour une place de finaliste), plus une prime Adidas de 150 000 euros ainsi qu’un intéressement aux recettes marketing évalué à 540 000 euros. L’élimination précoce n’étant pas envisagée, les joueurs ne toucheront donc rien s’ils giclent au premier tour. Mais que craindre ? La France, première au classement FIFA, avec ses trois best scorers 2002 Henry-Trezeguet-Cissé est favorite numéro 1 et donnée vainqueur à 3 contre 1 par les bookmakers de Londres. À six jours du Mondial, 68% des Français encore enivrés par la volée vertigineuse de Zizou 1er face à Leverkusen en finale de Ligue des champions (2-1) pensent qu’elle sera championne du monde. Ils rêvent d’une finale contre l’Argentine, autre sérieux prétendant au titre. Avant le départ pour Ibusuki, Aimé Jacquet s’était alarmé dans France Football : « Autour de cette équipe, il y a un peu de béatitude et parfois comme un sentiment de supériorité »… La blessure de Zidane lors du match inopportun contre la Corée du Sud à Suwon le 26 mai opposera un bémol à l’enthousiasme tricolore. Ce match insensé révèlera, selon le JDD du 16 juin suivant, un deal mal ficelé conclu en juillet 2001 par une FFF cupide pour une somme ridicule de 200 000 euros où ne figurait même pas par écrit l’obligation d’aligner notre cher Zinédine…
Revivez le fiasco de l’équipe de France lors de la Coupe du monde 2002 :
Partie 1 : Comment les Bleus ont foiré la période 2000-2002 Partie 2 : Un problème nommé Roger Lemerre Partie 4 : La défaite contre le Sénégal et une phase de poules catastrophique Partie 5 : Un crash final en mondovisionPar Chérif Ghemmour