- Coupe du monde 2018
Fourneyron : « Sur l’antidopage, la Russie ne remplit pas les conditions »
C’est elle qui a eu la lourde tâche de sélectionner les athlètes russes pour les derniers JO de Peyonchang, en laissant de nombreuses têtes d’affiche à la maison. À quelques jours du début du Mondial en Russie, l’ancienne ministre des Sports Valérie Fourneyron raconte comment elle organise les contrôles antidopage pour le compte d’une agence indépendante. Après les révélations du dopage d’État, tous les sports russes sont dans le viseur des contrôleurs. Y compris le football.
Vous avez été nommée à la tête de l’Agence de contrôles internationale (ACI) en octobre 2017. Quel est le rôle de cette nouvelle entité voulue par le Comité international olympique et l’Agence mondiale antidopage ?Ceux qui trichent mettent en péril leur santé. D’ailleurs, pour inscrire une substance sur la liste des produits dopants, on regarde trois critères : contraire à l’éthique, augmentation de la performance, risque pour la santé.
Quand deux sur trois sont remplis, on inscrit le produit sur la liste. Certains disent : « On s’en fiche, de la santé de l’athlète » , mais moi, je me suis toujours battue pour défendre cette position de l’éthique du résultat et de la santé de l’athlète. C’est avec cet objectif que l’ACI a été créée. Il manquait une autorité qui réalise les contrôles de façon indépendante du mouvement sportif. Le fait est qu’il existe un conflit d’intérêt, réel ou perçu, puisque c’est le mouvement sportif international qui décide pour chacune de ses compétitions, pour chacun des athlètes qu’il a sélectionnés, la planification des tests. Cela peut conduire à sanctionner sa propre élite, qui est souvent celle qui permet l’économie de la discipline avec les droits télévisés par exemple.
Je ne dis pas qu’il y a de la corruption partout. Mais il y a une interrogation légitime et un vrai risque. Les fédérations d’athlétisme et de cyclisme ont été conduites à créer des commissions intégrité internes. Mais elles ont beau faire du bon boulot, cela reste des commissions internes. Surtout, toutes les fédérations n’ont pas les moyens d’une telle organisation. Il est donc beaucoup plus sain et efficace d’avoir une organisation internationale indépendante avec toute l’expertise requise à laquelle on délègue toute la partie contrôles antidopage.
Comment fonctionnez-vous concrètement ? L’ACI est une fondation indépendante en Suisse dont le capital a été apporté par le CIO. Nous agissons quand des organisateurs d’événements sportifs internationaux majeurs ou des fédérations nous sollicitent. Le bon exemple, c’était aux derniers JO d’hiver : pour la première fois, le CIO – organisateur des Jeux – a confié la coordination des tests avant les Jeux, les « pré-games » , et pendant les JO à la Doping-free sport unit.
Il s’agit du noyau constitutif de l’ACI. Un an avant les Jeux, en concertation avec les fédérations d’hiver, le CIO, des agences nationales et l’Agence mondiale antidopage, nous avons conçu un programme de tests. Cette planification résultait d’une évaluation des risques par pays, par discipline, en fonction du classement international du sportif, des performances, des contrôles antérieurs… Et aboutissait à des recommandations de tests en compétitions ou en dehors, à des prélèvements sanguins ou urinaires, à la réalisation de passeports biologiques, à la recherche de telle ou telle molécule… Des recommandations qui étaient obligatoires pour les sportifs russes.
Comment peut-on garantir cette indépendance ?Je préside un conseil de fondation en tant que personnalité indépendante. Les cinq membres de ce conseil ont été nommés après un long processus de validation par un comité de sélection, puis par un vote au comité exécutif de l’Agence mondiale antidopage. Ce conseil a ensuite nommé un directeur général, qui constitue son équipe de techniciens, médecins, biologistes, juristes, experts…
Ce sont eux qui sont les opérationnels, en totale indépendance dans leurs fonctions des membres du conseil de fondation. Le comité exécutif arrête, lui, la stratégie, les orientations, le budget de l’Agence. Si je reprends l’exemple des JO de PyeongChang, le groupe des pré-games ne comportaient que des opérationnels du CIO, de l’AMA, du Comité d’organisation ou des cinq agences nationales (le Danemark, le Canada, les États-Unis, le Japon et la Grande-Bretagne) avec lesquelles nous avons travaillé. Aucun politique, aucune autorité gouvernementale, aucun membre de fédérations internationales. On a dit : « Voilà nos recommandations pour chacun des pays et pour chacune des fédés internationales. » J’exclus les Russes, car pour eux, ce n’était pas des recommandations, mais des obligations, et on en avait fait plus que pour les autres. On se doit d’être plus efficace pour servir les sportifs propres.
Au moment de sélectionner les athlètes russes qui vont concourir ou non aux JO en Corée du Sud, vous avez une grosse pression sur les épaules…Nous sommes le 5 décembre 2017, le CIO décide de suspendre le Comité national olympique russe. Donc normalement, aucun athlète ne pouvait participer aux JO. Cependant, le CIO décide d’inviter certains athlètes où il n’y a aucun doute sur le fait qu’ils soient propres. Ils participeront sous drapeau neutre. Ces athlètes ne devaient avoir aucune suspicion de dopage dans leur histoire. Le CIO me confie alors la présidence d’un panel de quatre personnes ayant la responsabilité de proposer au CIO une liste de sportifs russes.
Dans ce panel, j’étais avec une personne de la Doping-free sport unit en charge de la coordination des tests Pré-games, le directeur médical du CIO, le directeur du département Intelligence et investigation de l’AMA. C’est ce dernier qui a en partie recueilli les témoignages de Grigory Rodchenkov, l’ancien directeur du labo anti-dopage de Moscou, aujourd’hui protégé par le FBI aux États-Unis. Nous sommes partis de la liste des athlètes préenregistrée par les Russes avant leur suspension. Nous avons examiné cas par cas, de façon anonyme, sans connaître les noms, genres, disciplines, sports.
Chaque numéro de sportif était examiné à lumière des informations sur son passé antidopage dont nous disposions. Nous avions énormément d’informations venues pour la majorité d’entre elles des données livrées par l’informatique du laboratoire de Moscou, par exemple les athlètes inscrits sur la « Duchess list » protégés dans le cadre de la prise d’anabolisants, ou encore ceux inscrits dans la « urinebank » , qui était la banque d’urine propre qui permettait d’échanger des flacons, des études médico-légales sur des flacons manipulés…
Pour être très claire, j’ai eu beaucoup de pressions pour rendre publics l’ensemble des critères utilisés. À la fois du côté russe pour les critiquer, et pour d’autres pour aller plus loin et qui me disaient : « Vous allez garder tel athlète, alors que moi je ne l’aurais pas gardé. » Il faut bien comprendre qu’en travaillant de façon anonyme, nous n’avions aucune idée des athlètes conservés ou non, et que ce n’est que lorsque le CIO a levé l’anonymat pour inviter les athlètes que nous avons découvert que 80% de ceux qui iraient à Pyeongchang n’étaient pas à Sotchi.
Quelle a été la place des lanceurs d’alertes dans la lutte anti-dopage ?Le fait que le département Intelligence et investigation ait été créé au sein de l’AMA est une étape décisive de la lutte antidopage. Il existe désormais une plateforme en ligne, « Speak up » , où des lanceurs d’alerte peuvent donner des informations. La force du système, c’est de faire ces révélations de façon complètement anonyme. C’est la clef de la sécurité.
Il nous faut donc aussi plus de moyens d’investigation pour être performants. La grande majorité des éléments que nous avions sur le scandale russe avaient été fournie par les données du laboratoire antidopage de Moscou. Mais l’exploitation de ces dernières n’a été possible que grâce à la collaboration de son ancien directeur, Grigory Rodchenkov, car les bases de données étaient colossales. C’est lui qui nous a ouvert des portes. A-t-on atteint, à Pyeongchang, un niveau inégalé en matière de contrôles anti-dopage ? Oui. Pas seulement en matière de nombre, mais surtout en matière de ciblage, de pertinence. De qualité, en résumé. Une vraie étape a été franchie dans l’intérêt du sport propre. Un rapport des observateurs de l’AMA présents est attendu. Il est certain que par rapport à Rio, l’efficacité de l’organisation des contrôles sera bien meilleure.
Que s’était-il passé ?Les délais étaient beaucoup trop courts pour l’organisation des contrôles. Et puis, il semblerait que les chaperons, c’est-à-dire les médecins chargés d’aller chercher les athlètes après les compétitions, ont fini par rentrer chez eux : ils n’étaient pas payés, on ne leur donnait pas à manger… Il semble que l’organisation locale ait été très défaillante sur le sujet.
Comment réagissez-vous quand vous apprenez ces cas de dopage pendant les Jeux ?Certains athlètes russes de la liste que nous avons examinée avaient utilisé du meldonium. Mais avant 2013, quand il n’était pas encore interdit. C’est pourquoi nous ne les avons pas écartés quand il n’y avait que ce critère. Le boulot a été fait, et les résultats le prouvent.
Quel est l’avenir de la délégation russe pour les grandes compétitions, surtout après la nouvelle affaire de corruption présumée dans la Fédération de biathlon ?Il y a des progrès manifestes réalisés par les autorités russes sous l’œil d’experts internationaux, notamment sur l’organisation de leur agence nationale antidopage, RUSADA. Le CIO a levé la suspension du Comité olympique russe. Mais pour l’AMA et donc RUSADA et le laboratoire de Moscou, il reste des conditions qui ne sont toujours pas remplies pour retrouver la conformité au code, notamment l’accès aux échantillons du laboratoire de Moscou qui sont toujours sous scellés.
La Coupe du monde de football approche en Russie. Est-ce qu’un programme particulier sera mis en place, notamment pour l’équipe russe ?C’est la FIFA qui est l’organisateur de l’événement et qui organise la planification des contrôles. Les échantillons ne seront bien sûr pas analysés à Moscou, mais au laboratoire accrédité de Lausanne. En ce qui concerne les footballeurs russes qui étaient cités dans le rapport Mac Laren et les investigations qui ont suivi, la FIFA a adressé une série de questions à l’ancien directeur du laboratoire de Moscou.
Propos recueillis par Léa Dall'Aglio et Vincent Guerrier