- La pire équipe du Royaume-Uni
Fort William, 882 jours plus tard…
Sevré de victoire en championnat depuis avril 2017, le club de Fort William, enclavé dans les Highlands écossaises, a rompu le mauvais sort ce mercredi soir. La pire équipe du Royaume-Uni, sortie du néant l'été dernier, entend redevenir une forteresse. Rien que ça !
« Les dix dernières minutes ont été les plus longues de ma vie » , bafouille Peter Murphy. Costume-cravate ajusté, gouttes de sueur qui perlent sur le front, le « Chairman » , le président, peut reprendre un godet sans pression. C’est qu’à Fort William, la saveur de la victoire en championnat avait depuis belle lurette disparu des palais. Depuis le 12 avril 2017 plus précisément et un soir de démonstration devant Strathspey (4-1), ces hommes des Highlands engoncés entre lacs et montagnes n’avaient plus mis la main sur une rencontre. « Il y a bien eu deux victoires en coupe du Nord de l’Écosse(en août dernier, N.D.L.R.), reprend de volée le coach, Russell MacMorran, mais ça n’a pas la valeur du championnat. » Au total, Fort William, affublé du peu ragoûtant titre de « pire équipe du Royaume-Uni » , a attendu 75 matchs pour enfin s’imposer en Ligue des Highlands (la cinquième division écossaise, semi-professionnelle) : la saison dernière s’était achevée sur 2 nuls pour 32 défaites et une différence de buts à -224 ! C’était ce mercredi soir et ça valait le détour.
D’abord pour le cadre, à savoir le versant Nord de Ben Nevis, le plus haut sommet du Royaume-Uni (1345 mètres), bordant la pelouse. Ensuite pour ces projecteurs d’un autre temps, cette main courante rouillée, cette guérite tapissée en jaune à l’entrée, ces gradins en tôle où une quinzaine de collégiens s’improvisent ultras, tambours et chorégraphies au point. Mais surtout pour les personnages d’un club plongé dans les abysses du football écossais l’été dernier. « Le comité de direction avait démissionné, il ne restait plus que cinq joueurs » , embraye Peter Murphy, agent immobilier, ancienne gloire de Fort William (plus de 400 matchs entre 1985 et 1999). Le quinquagénaire, propre comme un sou neuf, a mis les mains dans le cambouis en octobre 2018 sans vraiment s’y connaître en gestion de club.
Le secrétaire devenu entraîneur !
Un partenariat avec Inverness Caledonian Thistle (deuxième division écossaise) a rempli le vivier (neuf joueurs prêtés). Le secrétaire, Russell MacMorran, s’est mué en entraîneur. D’après Alix, l’un des nombreux bénévoles qui font tourner la boutique, Russell sait « s’adapter à tout » . Officier de police dans le civil, le néo-technicien de 43 ans, gourou local façon Marcelo Bielsa, a été rapidement adoubé. Pendant les matchs, il s’en va tchatcher avec les supporters et ramène les gourdes à ses protégés. « Les mecs se battent pour lui » , dixit le président. Le derby de mercredi soir, face à Clachnacuddin, en a été un exemple concret. Le 4-4-2 aligné sur fond de kick and rush et de pressing à tout-va, n’a laissé que peu d’espaces au voisin le plus proche de Fort William dans la ligue… qui se trouve à 2h30 de route, tout de même ! Sur une pelouse détrempée, gavée d’escalopes, la différence s’est faite peu après le repos. Gratteur de ballons à plein temps, Jack Brown – le N’Golo Kanté des Highlands – a crucifié Clachnacuddin à l’issue d’une contre-attaque éclair (1-0, 48′). Les 200 âmes parquées à Claggan Park pouvaient faire valser leur pinte.
Tout le monde n’a pas vu LE but…
Quand le bout du tunnel est aussi long à se pointer, la plus petite des marges a valeur de Graal. « Nous sommes toujours restés positifs malgré cette longue attente, improvisait le capitaine Robert Nevison.Fort William est unique, il faut que les gens comprennent. Même s’il y a eu tous ces mauvais résultats, jamais nous n’avons abandonné. C’est un état d’esprit, une manière de voir le football. » « Ici, ce n’est pas du business » , argue David, habituel suiveur de Watford (à 800 km de là) et capable de se farcir 9 heures de route depuis cinq ans pour voir ce « club pas comme les autres » . Peintres, étudiants, ouvriers, ces gamins (la moyenne d’âge de l’équipe première est de 20 ans) se mettent 25 euros dans la poche par semaine. Et puisque rien n’est comme ailleurs à Fort William, ni le président ni le vice-président Collin Wood et sa barbe de lieutenant de la Légion étrangère n’ont vu la seule réalisation du soir. « J’étais en train de manger un morceau » , justifie le premier, pendant que le second servait des tourtes à la buvette. « Mais d’autres victoires vont suivre » , achève Peter Murphy, convaincu que la période d’abstinence est bel et bien achevée. « La saison dernière, un match a été arrêté à la 40e minute alors que nous menions 1-0. Nous avions l’impression d’être maudits. » Et si les dieux avaient changé de camp ?
Par Florent Caffery, à Fort William // Photos : Manon Cruz