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« Plus que du projet Mbappé, il faut parler du projet Guardiola »
La fin d'année a été marquée par de nombreuses violences de la part de parents à l'encontre des éducateurs de leurs enfants. Pourtant, les clubs et formateurs ne sont pas toujours exempts de tout reproche. Mis sous pression de plus en plus tôt par la recherche de résultats, certains usent également de brutalité pour parvenir à leur fin.
« À un moment, il faut aussi comprendre les parents ! » Le cri du cœur est signé de la part de Stéphane, un papa quadra qui suit de près les exploits de ses deux enfants, Mathéo*, 13 ans, et Gabriel*, 8 ans, et qui tente de comprendre certains de ses pairs à bout de nerfs. Ses fils jouent dans deux clubs drômois différents et n’ont aucune ambition de devenir professionnels, assure le paternel. L’aîné, avant-centre qui enchaîne les frappes sur la barre transversale avant son entraînement, est plutôt doué, mais « n’a pas le cran pour aller plus haut », avance Stéphane, qui l’a plusieurs fois ramassé à la petite cuillère après des réflexions déplacées d’éducateurs. « Si on en arrive là dans des clubs amateurs de la Drôme, qui ne devrait avoir aucune autre prétention que faire jouer les gamins du village, c’est que le problème est très grave. » S’il ne se reconnaît pas parmi les parents violents mis sous le feu des projecteurs ces dernières semaines, ce papa veut également mettre les clubs face à leurs responsabilités.
Transgression des fonctions
En Île-de-France, la parole se libère aussi dans le sillage des nombreux reproches faits aux familles complètement déconnectées qui espèrent un avenir brillant et lucratif à leurs enfants. Depuis dix ans, Ibrahim Coulibaly sillonne les terrains de la région et a donc pu observer de près ces comportements malvenus. Aujourd’hui chargé des U15 de l’AAS Sarcelles, il pointe pourtant du doigt, en premier lieu, les clubs amateurs franciliens coupables, selon lui, de souvent « dépasser leur rôle » et d’accélérer les incivilités actuelles. Alors que le terrain devrait d’abord être le lieu de loisir voulu par Stéphane pour ses deux garçons, celui-ci devient le théâtre d’un marché concurrentiel féroce. « Même les clubs amateurs veulent avoir les meilleures équipes pour gagner tous leurs matchs, comme en pro. Cette recherche du résultat mène forcément à de l’élitisme et met de côté certains gamins », explique, de son côté, Yacine Hamened, ancien responsable de l’école de foot d’Évian Thonon Gaillard et auteur de plusieurs livres sur la formation française.
Les parents qui ont la chance de ne pas voir leur enfant sur le banc chaque week-end doivent alors faire face à différents types de formateurs : tacticiens, agents ou tyrans. « Plus que du projet Mbappé, il faut parler du projet Guardiola », appuie Ibrahim Coulibaly, qui ne cesse de remettre ce sujet sur la table. Pour lui, le principal fléau du football amateur est la multiplication d’éducateurs carriéristes. « Ils veulent faire des tactiques poussées, ils font du jeu de position comme le Barça, mais ils ne leur transmettent plus de vraies valeurs, soupire le coach du Val d’Oise. Ils veulent uniquement briller à travers les jeunes. Poster sur Facebook et Twitter qu’ils ont gagné ce week-end contre telle équipe réputée de la région et attirer l’œil de clubs pros. » Cette passerelle vers le monde professionnel incite même parfois à jouer les entremetteurs, voire les pseudo-agents. « Certains font des entraînements individualisés et emmènent leur chouchou à des détections. Ce n’est pas un phénomène récent, mais derrière, c’est normal que les autres parents se sentent floués et pètent les plombs », estime Ibrahim Coulibaly.
Insultes, coups et gaz lacrymogène
Dans les petites communes en périphérie de Valence, Stéphane n’a pas observé ce phénomène et le laisse volontiers aux métropoles. Mais les jeunes joueurs de la région se savent observés de près depuis Lyon, Saint-Étienne ou Grenoble, au même titre que leurs entraîneurs. Ces derniers, même bien intentionnés et sans volonté de rejoindre les clubs professionnels, sont mis sous pression par la recherche de résultat constant. Dans cette logique de performance, tous les moyens sont bons, à commencer par les insultes. « Dans des journées de plateaux, avec des enfants de moins de 10 ans, j’ai déjà entendu des mots déplacés et irrespectueux de la part de membres de clubs. En tant que parent, tu peux avoir la moutarde qui monte au nez », avoue le Drômois. Yacine Hamened abonde dans le même sens : « Ça ne viendrait à l’esprit d’aucun professeur de s’en prendre à un élève dans le cadre de l’école, de mal lui parler, de le secouer… » Le management par la terreur, réservé aux divisions à enjeux par le passé et désormais étendu jusqu’au district, peut amener à humilier les footballeurs en herbe, au sein du vestiaire, voire en match devant tout le monde, parents compris.
Au sein de ce fameux projet Guardiola, le gain marginal le plus utilisé serait donc la violence. L’Île-de-France ne déroge évidemment pas à la règle. « Sous l’adrénaline, il y en a beaucoup qui insultent leurs joueurs, même qui les frappent ! En région parisienne, il y en a un qui s’est récemment fait virer pour avoir utilisé du gaz lacrymogène dans les vestiaires », informe Ibrahim Coulibaly. Selon lui, les récents dérapages de parents au bord des terrains franciliens sont intimement liés aux ingérences observées au sein même des clubs. Le jeune Mathéo a terminé d’allumer la barre transversale des buts sans filet. Ses coéquipiers, qui sont en réalité surtout ses voisins et ses amis du collège, sont venus le rejoindre pour le dernier entraînement de l’année qui se déroulera dans une ambiance bon enfant. Leur éducateur, quant à lui, assure ne jamais avoir dépassé les bornes, sous les yeux attentifs de Stéphane, jamais bien loin de la main courante.
Par Enzo Leanni, à Valence
Tous propos recueillis par EL. Images d'illustration.
* Les prénoms ont été modifiés.