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Foppe de Haan : « Coacher, c’est aussi enseigner »
Au pays de Michels, Cruijff, Hiddink, Van Gaal ou Beenhakker, il y a Foppe de Haan. Entraîneur du SC Heerenveen pendant près de vingt ans, l'homme de 73 ans a emmené tout en haut les Superfriezen à l'orée des années 2000 avant de prendre en charge la nouvelle garde batave. Si vous connaissez le maillot bleu et blanc « avec des petits cœurs dessus » – qui sont en réalité des nénuphars –, c'est grâce à lui. Rencontre avec un Frison pur jus profondément socialiste, découvreur de Ruud van Nistelrooy et coach succinct de... la sélection nationale de Tuvalu.
Le mois dernier avaient lieu les élections générales aux Pays-Bas, l’équivalent des élections législatives en France, et vous étiez sur la liste du Partij van de Arbeid, le Parti travailliste, qui a connu une grosse défaite (29 sièges en moins sur 38). Comment avez-vous vécu la chose ?La façon dont les choses ont été organisées juste avant les élections au sein du Parti, notamment le fait que les deux têtes de liste Diederik Samsom et Lodewijk Asscher se soient disputé le premier rôle, ça nous a desservi. Beaucoup de choses ont été dites, mais Samsom était un meilleur bagarreur, un homme de terrain pour aller convaincre les gens, alors qu’Asscher est plus un technocrate. Or, ils ont choisi Asscher. Ensuite, nous avons fait partie pendant quatre ans d’une coalition avec le VVD (le parti libéral, ndlr) et lorsqu’un gros parti comme le VVD est en place, dès que quelque chose est réalisé, on dit que le VVD a tout fait, mais pas les autres. On a donc accusé le PvdA de ne rien faire. Beaucoup de gens ont voté pour le PVV (le parti d’extrême-droite, ndlr) ou le GroenLinks (mélange du Front de gauche et des Verts, ndlr), peut-être même un peu vers le Parti socialiste. Mais je reste persuadé que le PvdA a fait du bon boulot, notamment sur les questions de santé, sur les coûts des assurances, etc.
Pourquoi avoir choisi de vous impliquer en politique, particulièrement au PvdA ?Mes parents ont toujours été socialistes et je viens d’une région, la Frise, où 90% des gens étaient probablement des votants du PvdA. Dans les années 20-30, la région était très pauvre, très rurale – et c’est toujours le cas –, touchée par l’alcoolisme. Mes parents ont œuvré pour mettre en place une nouvelle société. J’ai grandi là-dedans. Je suis un socialiste typique. Je considère qu’il faut s’entraider plutôt que se hurler dessus, venir en aide aux plus démunis.
Vos dires prennent encore plus de sens quand on sait ce qui s’est passé à Rotterdam récemment, lorsque des ressortissants de la communauté turque ont manifesté parce que les Pays-Bas ne voulaient pas laisser rentrer le ministre des Affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu pour faire un discours au Consulat turc…C’est un peu difficile de m’exprimer là-dessus parce qu’en Frise, il y a finalement peu de membres de la communauté turque. En revanche, à Rotterdam, oui. C’est toujours la même question : il faut faire preuve d’intégration. Mais je considère qu’aux Pays-Bas, nous isolons trop cette communauté – et toutes les autres, d’ailleurs. Il faut travailler, parler ensemble. Envoyer les enfants à l’école, leur donner l’éducation qu’ils méritent. Après, Erdoğan joue à son petit jeu et monte la communauté turque contre les Pays-Bas, ça provoque des manifestations. Ceci dit, je pense que les Pays-Bas ont fait un bon choix de ne pas laisser entrer le ministre des Affaires étrangères sur le territoire parce qu’Erdoğan aurait mis le pied dans la porte et se serait servi de ce levier-là pour devenir le boss de manière insidieuse.
Vous êtes donc de Frise, cette région où vous avez quasiment passé toute votre vie et votre carrière. Qu’est-ce que ça a de si particulier, la Frise ?La Frise, c’est d’abord un paysage. C’est plat et vous avez de l’eau partout, donc vous faites de la voile, de l’aviron, vous pouvez vous baigner devant chez vous l’été et faire du patin à glace l’hiver. C’est incroyablement beau. La Frise, c’est aussi une langue, le frison. Une très belle langue, chantante. On l’apprend à l’école parce que c’est la seconde langue officielle après le néerlandais. La Frise, c’est une réunion de villages qui travaillent ensemble, il y a un véritable esprit d’équipe. Je vis dans une ville de 4000 habitants : il y a tout ce qu’il faut, tout le monde se connaît, se parle, s’entraide. C’est très frison, c’est ce qu’on appelle mienskip. C’est impossible à traduire, mais ça veut dire que nous faisons beaucoup de choses ensemble, nous nous sentons responsables des autres, mais aussi de l’environnement qui nous entoure.
Vous êtes principalement connu pour votre carrière à Heerenveen, où vous êtes resté près de deux décennies comme entraîneur. Comment expliquez-vous cette longévité ?Quand j’ai débuté comme entraîneur de Heerenveen en 1985, le club était très bas au classement d’Eerste Divisie. Un an avant mon arrivée, un nouveau président a pris ses fonctions, Riemer van der Velde, et ce dernier avait une vision très précise de comment gérer un club et comment concevoir le football. Il cherchait un entraîneur comme moi, capable de prendre le temps de construire. Il croyait en cette méthode. C’est la raison pour laquelle j’ai démissionné en 1988 pour revenir en 1992. Je n’ai pas été viré : durant ces quatre ans, on a construit le centre de formation. En 1993, on arrive en finale de Coupe des Pays-Bas face à l’Ajax et on remonte en Eredivisie. Les saisons suivantes, il se trouve qu’on est de plus en plus bons, qu’on gravit les marches une à une. Forcément, tant que tu ne régresses pas, tu n’as pas terminé ton travail. À chaque fin de saison, on s’asseyait autour d’une table et Riemer me disait : « Foppe, es-tu satisfait ? » Je lui répondais : « Non, on peut aller encore plus loin, j’ai déjà pensé à de nouvelles choses à mettre en place. » Et ça se finissait par : « Moi aussi ! Allons-y ! »
Riemer van der Velde était donc un homme très patient…C’est un homme qui savait ce qu’il voulait, capable d’attendre pour y parvenir. Il a quand même fini par construire un stade magnifique qui contient plus de places qu’il n’y a d’habitants à Heerenveen. Durant toute ma carrière au club, je n’ai jamais eu de contrat de cinq ou six ans comme ça se fait normalement : j’avais un contrat d’un an renouvelé à chaque fin de saison. Quand je me suis retrouvé en pourparlers avec d’autres clubs, il me disait toujours : « Vas-y, pas de problème. Tu sais ce qui t’attends ici, de toute manière. » Bon, à chaque fois, je suis revenu. C’est un peu de ma faute et en même temps, j’ai été très heureux à Heerenveen, dans ma région, entouré de ma famille. Et puis, je me suis toujours dit : « Quand tu meurs, qu’est-ce que tu emportes auprès du Seigneur ? » Certainement pas de l’argent.
Avec quels clubs étiez-vous en pourparlers ?À la fin des années 90, lorsque ça marchait bien pour Heerenveen, j’aurais pu aller à l’AZ comme entraîneur, à l’Ajax Amsterdam comme responsable du centre de formation et un peu plus tard, j’aurais pu aller au Qatar. Selon moi, l’AZ et l’Ajax n’étaient pas meilleurs que Heerenveen à l’époque – on venait d’attraper la Ligue des champions en terminant deuxième d’Eredivisie –, donc je suis resté. Quant au Qatar, le football a toujours primé pour moi.
Vous venez de le dire : vous êtes passé de la seconde division à la Ligue des champions en moins de dix ans. Quel était le secret de la méthode Foppe de Haan ?Il n’y avait pas de secret. J’avais un plan sur le long terme et l’envie de jouer du beau football. Jour après jour, tu fais ton plan, tu le suis minutieusement. Parfois, tu fais des changements qui vont être importants. Un jour, un certain Ruud van Nistelrooij est arrivé à Heerenveen. Il jouait milieu de terrain. Je lui ai dit : « Ruud, je pense que tu serais meilleur en attaquant ! » Il m’a répondu : « Mais toute ma vie, j’ai joué meneur de jeu ! » Je savais que s’il acceptait de changer de poste, il deviendrait le meilleur des Pays-Bas, voire le meilleur d’Europe de l’Ouest parce qu’en tant que numéro dix, il avait déjà ce sens du but. Chaque jour, on a travaillé là-dessus. Il faisait des séances supplémentaires aux entraînements, et pour le reste, on analysait les moindres faits et gestes de Dennis Bergkamp qui est, selon moi, le meilleur attaquant dans l’histoire du football néerlandais. Il s’est passé la même chose avec Klaas-Jan Huntelaar, Bas Dost, Marcus Allbäck et Jon Dahl Tomasson. Ça pourrait être ça, mon secret. Écouter les gens, les faire grandir, les rendre meilleurs au football.
Si vous deviez choisir un seul souvenir dans toute votre carrière, ça serait lequel ?Le dernier match de la saison 1999/2000 d’Eredivisie qui nous permet d’accrocher la Ligue des champions. Un match affreux contre Den Bosch. Il n’était pas nécessaire de gagner, un match nul suffisait. On n’a pas touché un ballon du match, mais on a tenu bon. Finalement, l’excitation, l’enthousiasme liés à la délivrance… C’était incroyable. Si je pouvais en choisir un autre, ça serait mon dernier match en 2004 avec Heerenveen contre l’AZ. Je crois qu’aucun coach n’a connu de tels remerciements de la part de ses supporters.
D’ailleurs, en 2004, vous aviez plusieurs choix et pourtant, vous prenez les rênes des U21 hollandais. Pourquoi ce choix ?C’est vrai que j’étais encore en discussion avec l’Ajax, mais la KNVB est passée ensuite et je me suis rendu compte que cette équipe U21 n’avait jamais gagné de titre. J’y ai vu un challenge. Je leur ai demandé quel était le budget et si j’aurais la liberté totale. Sur ces deux aspects, j’ai obtenu ce que je souhaitais. Ça a été dur au début, mais en 2006, deux ans plus tard, on gagne le Championnat d’Europe U21.
En 2007 aussi, non ?Oui, mais c’était totalement différent. Déjà, on était à la maison, qui plus est à Heerenveen et à Groningue, donc on était VRAIMENT à la maison. C’était fantastique, avec un groupe totalement différent. Ce qui est surprenant, c’est que l’équipe de 2006 était meilleure – (admiratif) ils jouaient un football, un football… – que celle de 2007, mais finalement, c’est celle de 2007 qui a produit le plus de joueurs de haut niveau (Maduro, Drenthe, Babel, Vlaar, Pieters). L’équipe de 2006 avait probablement un problème de mental.
Vous aviez un vrai besoin de travailler avec des jeunes ?Oui, j’adorais ça. Un jeune, s’il a la bonne attitude, les possibilités d’aprentissage sont infinies. Ils peuvent avoir un esprit ouvert, ils écoutent. On les voit vraiment évoluer au fil des entraînements. Bon, si je devais choisir, je prendrais une équipe professionnelle plutôt que des jeunes, mais l’avantage de l’Eredivisie, c’est que la moyenne d’âge est de 22 ou 23 ans.
C’est aussi pour ça que vous avez continué d’enseigner pendant une bonne partie de votre carrière ?C’est surtout que les clubs dans lesquels j’entraînais à l’époque n’étaient pas complètement professionnels, donc je pouvais encore enseigner la journée et entraîner le soir. Par la suite, quand je suis devenu entraîneur de Heerenveen, je suis passé entraîneur à temps plein. Ceci étant, j’ai continué à donner des cours à Zeist, au siège de la KNVB, deux fois par mois, de 1976 à 1996. Pour moi, c’est logique parce qu’avant d’être entraîneur, je suis enseignant. J’ai fait des études pour devenir professeur des écoles, pas entraîneur. Ce n’est qu’ensuite que j’ai décidé de faire des études pour devenir entraîneur. De toute façon, quand on est enseignant, c’est pour la vie. Et coacher, c’est aussi enseigner, d’une certaine manière…
Particulièrement aux Pays-Bas où les liens entre enseignement et coaching sont très solides, non ?C’est vrai que de nombreux grands entraîneurs néerlandais étaient d’abord des enseignants : Louis van Gaal, Co Adriaanse, Guus Hiddink… Même Rinus Michels était professeur. Ça a sans doute à voir avec la manière dont nous développons le coaching ici, avec beaucoup de pédagogie. On n’apprend pas seulement à jouer au football, mais aussi à penser le football. Ce qui se passe dans la tête est tout aussi important que ce qui se passe dans les pieds.
En 2011, vous vous êtes retrouvé dans une aventure incroyable : vous avez coaché la sélection de Tuvalu. Vous pouvez nous raconter ?C’était plus ou moins des vacances, cette histoire… Je venais de finir mon contrat à Ajax Cape Town en Afrique du Sud et quelqu’un m’a proposé de prendre en charge cette sélection. Je ne connaissais pas, j’ai découvert que c’était une petit île du Pacifique en tapant ça sur Google. « Ah oui, c’est vraiment à l’autre bout du monde ! » Ils voulaient faire partie de la FIFA, ce qui signifiait avoir une équipe de jeunes, masculine et féminine. Ils cherchaient aussi un sélectionneur pour six semaines pour un tournoi en Nouvelle-Calédonie. J’ai demandé à ma femme et on s’est dit que c’était l’occasion d’une vie. Tuvalu nous a seulement payé le billet d’avion et le logement, le reste était à nos frais. Malheureusement, leur niveau était trop faible, mais l’avantage d’avoir un niveau aussi faible, c’est qu’on peut grandir très vite. En l’espace de six semaines, ils ont gagné leur premier match international, puis un second. On parle d’une île de 10 000 habitants contre d’autres de près d’un million. Il faut être curieux, aller voir comment le monde fonctionne. Des vacances, c’est bien beau, mais il n’y a rien de mieux que de s’immerger dans une culture, passer du temps là-bas, comprendre les gens.
Quel regard portez-vous sur la sélection nationale qui rencontre énormément de difficultés ces derniers temps ?Tout d’abord, il y a un manque cruel de joueurs-clés. Quand Robben ou Sneijder ne sont pas là, ils manquent à l’équipe. Pas obligatoirement dans le jeu, mais dans l’expérience. Ensuite, le niveau du championnat qui a considérablement baissé ces dernières années. On n’a pas le niveau de la France, de l’Allemagne, de la Belgique même ! Tout simplement parce que le championnat est trop jeune. Les joueurs s’en vont dans les grands championnats âgés d’à peine vingt ans pour s’asseoir sur le banc. Pour redonner un peu de challenge au championnat, ils avaient pensé à instaurer le même système qu’en Belgique afin de disputer un peu plus les trois principales équipes et, ainsi, rehausser le niveau des clubs poursuivants. Pour ce qui est de la formation, je crois que la KNVB lorgne méchamment sur le système allemand, le meilleur actuellement. Mais même si l’on met les choses en place maintenant, elles prendront du temps à s’installer. C’est comme ça : parfois on a de la chance, de grands générations qui se suivent, parfois il faut manger notre pain noir. La seule chose que je peux vous dire, c’est que les Pays-Bas U17 sont excellents.
Maintenant que vous êtes retraité, le football ne vous manque pas ?Pas forcément. Je ne suis plus impliqué dans le club de Heerenveen, mais je vais encore regarder les équipes de jeunes le samedi après-midi, je parle avec les entraîneurs, je file parfois un coup de main. À un moment, il faut savoir s’arrêter et laisser la place aux autres.
Par Matthieu Rostac, à Amsterdam