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Footeuses d’Arabie

Par Adrien Candau
5 minutes
Footeuses d’Arabie

Après avoir autorisé en juillet dernier les jeunes filles à pratiquer des activités sportives, le pouvoir saoudien vient de permettre aux femmes l'accès à trois stades du pays à partir de 2018. Des mesures qui pourraient à terme permettre au football féminin saoudien, officiellement inexistant, d'enfin s'assumer au grand jour.

La brise est encore légère, mais il y a comme un vent de changement au Royaume des Saoud. Réputée ultra conservatrice, imprégnée par le wahhabisme, un courant ultra rigoriste de l’islam, l’Arabie saoudite a entamé une mutation subtile. Après avoir annoncé par décret que les femmes auront la possibilité de conduire dès 2018, l’exécutif saoudien semble enfin prêt à faire bouger les lignes pour libérer un sport féminin jusqu’ici bâillonné. Ces évolutions commencent à affecter le football saoudien, puisque les femmes pourront se rendre dans trois stades du pays, à Riyad, la capitale, mais aussi à Djeddah et Dammam, à partir de 2018.

Footballeuses fantômes

Une décision loin d’être anodine, dans un pays où la femme a longtemps eu zéro droit de regard sur la question sportive. « C’est une ouverture majeure… Rappelons qu’en 2006, il y avait eu une fatwa interdisant aux femmes de pénétrer dans les stades… Donc, on a l’impression que le pays aborde un tournant quant au sport féminin » , pose Clarence Rodríguez, qui a été pendant douze ans la seule journaliste française accréditée dans le Royaume et est également auteur d’un livre consacré à la jeunesse saoudienne, Arabie saoudite 3.0. Un tournant qui se manifeste aussi par la publication d’un décret royal en juillet dernier, qui autorise les jeunes filles à prendre des cours de sport dans les écoles publiques, alors que toute activité physique leur était auparavant proscrite.

De quoi peut-être enfin poser des bases stables, qui permettront au foot féminin d’émerger dans le Royaume. Car, officiellement, la footballeuse saoudienne n’existe pas : aucune équipe, formation, ni structure, n’est reconnue par les autorités. Encore rare, mais bien réelle, la joueuse de foot saoudienne exerce pourtant simplement dans l’ombre, à l’abri des regards accusateurs et de la pression exercée par le camp conservateur : « Pour jouer au football, elles doivent se cacher, avec la complicité de certains hommes, poursuit Clarence Rodríguez. L’entraîneur d’une équipe féminine de Ryad exerçait ainsi sa fonction en toute illégalité. Il règne une certaine hypocrisie sur la question sportive. On sait que certaines femmes jouent au football, mais il leur faut jouer serré, ne pas trop s’exposer, ni dépasser la ligne blanche. » Certaines équipes féminines, comme le Djeddah King United Football Club, créé en 2006, ont quand même pu perdurer. La libéralisation de la pratique du football féminin pourrait aussi révéler au grand jour des vocations et passions que certaines saoudiennes préféraient encore taire : « Le foot, c’est la deuxième religion là-bas, clairement. Les femmes aussi s’y intéressent, mais, bien sûr, là encore, elles ne le montrent que dans la sphère privée. »

L’ère du changement

Autant de réformes sportives qui accompagnent la métamorphose progressive de la société saoudienne, dont le changement et la modernisation sont pilotés par l’actuel souverain, Salmane ben Abdelaziz Al Saoud, et surtout par son fils, le prince héritier Mohammed Ben Salmane. Pour arriver à ses fins, celui qu’on surnomme « MBS » a notamment ordonné début novembre une vague d’arrestations visant des dizaines de princes et ministres, actuels ou anciens, afin d’assurer sa mainmise sur le royaume wahhabite. Une politique musclée, qui se double d’un discours offensif à l’égard du conservatisme de son pays : « 70% de la population saoudienne a moins de trente ans et, franchement, nous n’allons pas passer trente ans de plus à nous accommoder d’idées extrémistes et nous allons les détruire maintenant et tout de suite. » « Faciliter le rapport des femmes au sport permet aussi au pouvoir saoudien de continuer de tâter le terrain, avance Antonius Rachad, sociologue spécialiste du Proche-Orient. Depuis quelques années, les lignes bougent, les femmes ont acquis le droit de vote aux municipales en 2011, puis celui de conduire à partir de l’année prochaine. »

Une progression de la condition féminine qui suit une logique pragmatique, plus qu’idéologique : « Le pouvoir saoudien a un raisonnement d’ordre économique, analyse Clarence Rodríguez. À moyen terme, avec l’effondrement des prix du pétrole, la manne pétrolière ne suffira plus pour répondre aux besoins du pays. Il faut faire des femmes des acteurs à part entière, bien intégrés à la société et à l’économie. Mais ce mouvement d’émancipation ne vient pas de nulle part, le suzerain précédent, le roi Abdallah, avait déjà ouvert de nombreuses professions aux femmes pour qu’elles aient l’opportunité de devenir vendeuses, caissières, ingénieurs etc. »

Lutte idéologique

De là à imaginer la création d’une équipe nationale de football féminine saoudienne dans les deux à trois années à venir ? « La majorité de la population reste conservatrice, nuance Clarence Rodríguez. Les femmes ayant exprimé leur satisfaction à la suite de la publication du décret leur donnant un accès aux stades restent minoritaires. Ceci étant, les jeunes saoudiens peuvent échanger sur les réseaux sociaux, des étudiants reviennent de l’étranger, où ils ont pu se confronter à d’autres cultures… Ces influenceurs pèsent sur l’opinion. Donc je crois que ce ne serait pas impossible de voir se créer bientôt une équipe de football féminine officielle. » « Je pense que c’est envisageable, confirme Antonius Rachad. Bien sûr, il y aura de la résistance. Il y a plusieurs courants au sein de la monarchie des Saoud. S’il y a trop de contestation de la part de la frange conservatrice, ils peuvent toujours écarter l’actuel prince héritier, qui pousse pour la mise en place de toutes ces réformes… Une lutte idéologique s’annonce. Et le football fera bien sûr partie de l’équation. »

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Par Adrien Candau

Tous propos recueillis par AC

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