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Footbar, la stat pour tous
Les cyclistes et joggers auraient l’apanage des données statistiques pour se la péter après l’entraînement ? Absolument pas pour la start-up française Footbar, qui a lancé le premier capteur statistique pour tous les footballeurs, avec une ambition : devenir le Strava du ballon rond.
« Papa, c’est quoi un capteur ? Pourquoi ils mettent ça sur leur mollet ? » Le petit Quentin est chafouin, en ce mercredi midi. Les employés de Footbar viennent de stopper net sa séance de penaltys face à son père, sur le stade synthétique de l’hippodrome d’Auteuil. Rien de scandaleux, puisque c’est l’heure du match hebdomadaire chez Footbar. « On est 28 salariés, mais aujourd’hui on n’est que 12 pour jouer, c’est déjà pas mal », sourit Maëlle. Comme beaucoup d’entreprises, la start-up française, basée dans un incubateur au stade Jean-Bouin, avec vue sur le Parc des Princes, a fait du football un outil RH. Sauf qu’ici, tout le monde porte une sangle au mollet, dans laquelle on glisse un capteur révolutionnaire. « Tiens, toi tu prends Ousmane Dembélé, essaye de ne pas te blesser ! glisse Maëlle. Tu le connectes à ton téléphone, et à la fin du match tu auras toutes tes stats sur l’appli. »
Silicon Valley, Girondins et Covid
« Pour faire simple, on est le premier capteur de données pour tous les footballeurs, amateurs, pros : pour tout le monde. En gros, on est le Strava du foot, mais en plus poussé », introduit Jacques d’Arrigo, qui a rejoint le navire en 2020. Pour vulgariser, le petit bout de plastique de 6 grammes – qu’on oublie vite une fois le match lancé – est un accéléromètre, là où Strava ou les montres Garmin ne sont que des GPS. « Il a la capacité d’étudier les mouvements de la jambe qu’il reconnaît via une base de données avec un million de gestes référencés », éclaire Jacques. Déjà adopté par 30 000 utilisateurs, le capteur Footbar est en pleine expansion et vient d’être porté pour la 200 000e fois depuis son lancement. Un chiffre appelé à rapidement exploser, d’après les sensations lors du premier match.
Comme toute bonne success story, l’histoire démarre dans la Silicon Valley, en Californie. Encore une idée de Steve Jobs, Mark Zuckerberg ou Elon Musk ? Pas du tout. Le nom sur lequel il faut mettre du respect est celui de Sylvain Ract. En fin d’études à l’école d’ingénieurs des Télécoms de Paris, ce dernier a une révélation lors de son séjour chez l’oncle Sam : « On est en 2012, et je vois aux États-Unis que tous les sportifs sont hyperconnectés. Bien avant la mode de MPG en France, le fantasy football cartonne là-bas », se souvient Sylvain, qui rentre au pays avec un rêve : « Il fallait donner un outil de stats au sport roi, et à tous ses utilisateurs, pas seulement les pros. » Ni une ni deux, le jeune diplômé embarque Loïc Manent dans son aventure. « J’étais capitaine de l’équipe de l’école, Sylvain avait besoin d’un sbire plein d’énergie pour l’accompagner, se marre l’ex-capitaine. Je me lançais dans l’industrie, perso, mais j’ai vite compris que je faisais une erreur. » Le duo est tout trouvé, Footbar est né. « Au début, l’idée, c’est comment apporter les stats à tous les joueurs ? On a commencé par un site déclaratif où tu remplissais tes stats », rejoue Sylvain.
En 2014, l’idée d’un capteur émerge. Un an plus tard, des prototypes sortent d’usine. « Début 2016, on a commencé à les utiliser. On avait un partenariat avec les salles de five. En gros, ils affichaient les stats sur les écrans pour rendre l’expérience plus digitale pour leurs clients », explique Sylvain. Grâce à ce partenariat, les deux ingénieurs récoltent des milliers d’informations et forgent doucement une base de données. Jusqu’à ce que la pandémie ferme les salles de futsal pour plusieurs mois, poussant Footbar à se réinventer plus vite que prévu. « Depuis le début, on avait l’envie de mettre le capteur directement sur les mollets. Grâce au Covid, on a franchi l’étape plus vite », concède Loïc. C’est là qu’un troisième larron rejoint l’équipe : Jacques d’Arrogio, ex-bras droit de Frédéric Longuépée aux Girondins de Bordeaux, mais surtout ancien de chez Nike : « J’ai quitté le bourbier bordelais dès que j’ai pu, j’ai d’abord rejoint l’Union Bordeaux-Bègles quinze jours avant le Covid… Et puis l’ancien président des Girondins, Stéphane Martin, m’a présenté Sylvain et Loïc. » La mission de Jacques : mettre le bracelet sur tous les mollets du pays.
Fifa Ultimate Team en vrai
À peine trois ans plus tard, la mission est en passe d’être réussie, assure Sylvain : « C’est exponentiel, on a cartonné à Noël, on était dans le top 5 des trackeurs de sport sur Amazon avec Garmin, Fitbit, etc. Les gens comprennent que les trackeurs d’activité ne se limitent plus au cyclisme et à la course à pied. » Même si, pour dire vrai, difficile de comparer Footbar aux montres GPS et capteurs cardiaques : « On n’est pas un simple GPS. En plus des données physiques, on a des données techniques, la distance parcourue, la vitesse de sprint, le nombre de ballons touchés, de passes, de tirs, la vitesse. Pour les clubs, on a des versions encore plus poussées. Par exemple, à Nancy, les éducateurs veulent savoir le nombre de sprints des U18 à plus de 30 km/h », développe Jacques. À tel point que le Red Star et la fédération néerlandaise ont signé des partenariats sur plusieurs années avec la start-up. « On aurait aimé faire la FFF d’abord, mais elle était occupée… (Rires.) On a aussi des parrains comme Bakambu, Briand, Asseyi », énumère Jacques, qui confie avoir failli séduire l’OM : « Nasser Larguet était emballé, il disait que ça révolutionnerait sa méthode ! Mais il a quitté le club avant que ça ne se fasse. »
De toute façon, les clubs pros ne sont pas la cible de Footbar. « J’ai côtoyé ce monde, et le niveau d’arrogance de certains formateurs. En fait, quand on va chez les pros avec le Footbar, on arrive avec l’iPhone, et ils nous disent qu’ils préfèrent rester au téléphone fixe », tacle Jacques. À la place, Footbar a signé un deal avec Decathlon pour être dans les rayons de l’enseigne dans tout le pays. À la fin du match, une partie de l’équipe part d’ailleurs présenter le produit aux salariés de la boîte, à Tourcoing. « L’idée, c’est de démocratiser cet outil. Et notre cible, c’est le joueur. Plutôt que de perdre l’énergie à faire du porte-à-porte aux éducateurs, etc., on attaque directement le joueur. On cible souvent les capitaines et la jeune génération, très demandeuse en stats », explique Jacques. Pour séduire les millennials, Footbar a mis le paquet via une application ergonomique, très facile d’accès. « Collecter les stats, c’est bien, mais le problème, c’est d’en faire des choses concrètes, lisibles. Pour embarquer les foules, il faut passer par la gamification, créer une deuxième expérience proche du jeu vidéo à partir du match de foot. Et finalement, le match devient presque secondaire. C’est de là qu’on a voulu se rapprocher des jeux vidéo, on s’est beaucoup intéressés à MPG et FUT, qui cartonnent. On a même envisagé un MPG avec des joueurs amateurs », se marre Loïc. Son idée de génie ? Reproduire des cartes de joueurs inspirés de FUT, le mode de jeu star de FIFA.
« La carte type FUT est un symbole. À un moment, il faut bien résumer la performance de quelqu’un, et la carte FUT, ça parle à tout le monde », justifie Loïc. Une fantasy league basée sur les performances de chaque joueur a aussi été créée, façon MPG, avec dix divisions. « Peut-être qu’un jour, les recruteurs s’en serviront », plaisante à moitié Jacques. Évidemment, cette course à la statistique n’échappe pas aux critiques. Mais chez Footbar, on assume le fait d’être dans l’air du temps : « Quand t’entends Bixente Lizarazu à la TV tacler les xG, dire qu’il y a trop de stats et que seul le score compte… Ils ont peut-être peur d’être dépassés, pense Loïc. Le fond du problème, c’est que faire des stats ? Bien utilisées, c’est un moyen de progresser, d’avoir des repères. Et si tu n’en veux pas, tu ne portes pas le bracelet. » Autre argument : Footbar encourage à la pratique, ce qu’on peut confirmer, car une fois le match terminé, l’envie de rechausser les crampons pour améliorer ses stats est bien là.
Mais à l’heure de les ranger dans le sac, Sylvain balaye les critiques en montrant les U10 locaux, qui commencent l’entraînement : « Il y a un changement générationnel. Eux, ça cartonne. Ils ne se posent pas de questions, ils ont grandi avec FIFA et les stats, ils ne se demandent pas si c’est bien, mais pourquoi tout le monde ne bénéficie pas des stats ? Ils retournent à la maison en courant chercher le capteur s’ils ne l’ont pas. » Jacques achève le débat avec une anecdote : « La donnée rend le foot encore plus accessible. Dans le foot féminin, des jeunes sont venues nous remercier parce qu’elles ont pu jouer avec des garçons via les stats. Ça permet de crédibiliser le niveau de tout le monde. » Reste une question en suspens : est-ce réglementaire d’accrocher cette sangle sous son genou, à hauteur du mollet (là où le capteur est le plus efficace) en match officiel ? « La N2 du Red Star l’a porté en championnat, ou lors d’un match amical féminin labellisé FIFA au Luxembourg aussi. Ça fait une petite jurisprudence », sourit Loïc, pas inquiet, même s’il se doute qu’il faudra passer à la caisse à un moment. « Un jour, les instances comprendront l’intérêt de Footbar, et feront en sorte de monétiser le label pour laisser les gens jouer avec. Ça se passe toujours comme ça. »
Par Adrien Hémard-Dohain