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Football Manager 2017 intègre le Brexit
Miles Jacobson est un europhile inquiet. Alors que Football Manager 2017 sortira officiellement le 4 novembre prochain, le boss du jeu reçoit dans son bureau londonien pour évoquer le danger du Brexit pour le football britannique, problème majeur des prochains mois pour la FA. Un spectre qu'il a mis à l'épreuve selon plusieurs scénarios avec FM lors des dernières semaines et qui aura son incidence dans la nouvelle édition.
C’est l’histoire d’une gifle inattendue. Celle d’un piège qui s’est refermé sur quelques inconscients et qui a été poussé par 51,9% de révoltés. Au matin du 24 juin dernier, le Royaume-Uni s’est réveillé avec la gueule explosée, gonflée et ce sale goût habituel de ne jamais rien vouloir faire comme les autres. Voilà comment quarante-trois ans d’histoire ont été arrachés, comme ça, sur la base d’un pari risqué, basé sur des raisons uniquement politiciennes, de David Cameron. Les premiers jours de l’été n’ont aucune couleur pour Londres, sur lequel la guillotine vient de tomber. Le résultat est clair, Cameron, alors Premier ministre démissionnaire, annonce que « la volonté du peuple britannique doit être respectée » . Le Royaume-Uni vient de voter son départ de l’Union européenne avec tout ce que cela implique. Alors le bal des questions, des tentatives de bricolage et des scénarios jusqu’ici inenvisagés a commencé.
Il n’est toujours pas terminé, mais l’Angleterre n’a jamais paru aussi touchée moralement. Physiquement, aussi, depuis ce soir du 27 juin où le pays a définitivement été séché dans ce qui lui restait encore d’espoir, avec les images encore vives de la défaite de sa sélection nationale de foot contre l’Islande à Nice lors de l’Euro organisé en France. C’était il y a maintenant un peu moins de quatre mois, mais tout est aujourd’hui pire, entre des dirigeants politiques qui s’amusent à se balancer la patate chaude et un football national qui connaît une crise sans précédent depuis les récentes révélations du Daily Telegraph sur un univers dont on connaissait les travers, mais sur lequel on refusait jusqu’ici d’ouvrir les yeux. Alors, il est temps d’entendre une voix. Celle du créateur d’un monde qu’il décrit lui-même comme « un plus bel endroit pour le moment » en comparaison à un univers qui n’est « pas particulièrement bon » . Son objectif est là : « Offrir la possibilité aux gens de s’échapper dans un univers différent de celui dans lequel ils vivent aujourd’hui. » Comme souvent, Miles Jacobson, le créateur de Football Manager, a des choses à dire, alors il parvient à dégager deux places dans son bureau londonien où il reçoit, posé sur un siège incrusté de son maillot de toujours : celui de Watford où le numéro 9 de son ami Troy Deeney apparaît.
« Ce pays n’a pas la volonté d’améliorer les choses »
Si Miles reçoit, c’est d’abord pour présenter la nouvelle version de FM qui sortira le 4 novembre prochain, mais aussi pour parler d’un autre sujet qui mine son âme d’europhile depuis plusieurs mois : le Brexit. Il avoue ne pas y avoir cru sur le moment, lui qui aime répéter sa « fierté d’être anglais, britannique et européen » . Alors il fauche : « Je vais être franc. Ce pays n’a pas la volonté d’améliorer les choses. Il faut se rendre compte que ce qui se joue actuellement est quelque chose d’énorme pour nos vies, mais aussi pour notre football. Pour bien connaître le système national, je me suis longtemps posé plusieurs questions pour comprendre les scénarios, et on a décidé récemment de simuler des parties de Football Manager en incluant toutes les conséquences que pourrait avoir le Brexit sur le monde du foot. On a pris tous les types de scénarios, histoire de voir ce qui pourrait se passer. Tout ça n’aurait qu’une conséquence : un football national qui se referme sur lui-même, des droits télés qui dévissent et un problème majeur. Notre gouvernement doit en prendre conscience. Prendre conscience qu’un Brexit peut faire exploser le système. » La virtualité précise pour mettre en perspective les conséquences réelles qui n’ont jamais été aussi proches. Jacobson est honnête : « C’est la première fois qu’un jeu d’ordinateur essaye d’imaginer le futur d’un pays. » Comment ? En lisant les différents programmes, en consultant, discutant avec les politiques et les différents acteurs du monde du foot. Puis Miles Jacobson s’est posé avec ses analystes pour planifier toutes les possibles conséquences.
Tout peut encore arriver et le boss de Football Manager en a conscience. Ce que l’équipe de développeurs sait pour l’instant, c’est que l’article 50 du Traité de Lisbonne pour déclencher le divorce avec l’UE sera activé avant « fin mars » comme l’a expliqué récemment le Premier ministre Theresa May. Ce que personne ne mesure encore est la durée des négociations. Alors Miles Jacobson a installé dans le nouvel opus trois scénarios en utilisant l’intelligence artificielle. Au moment du départ officiel, le joueur recevra alors un communiqué et verra face à lui l’une des trois voies possibles : un Brexit plus tendre où la liberté de mouvement des travailleurs est conservée ; un autre où les footballeurs conservent les mêmes exceptions que pour les artistes. Ils peuvent alors obtenir plus facilement un permis de travail que les autres, et ce type de Brexit toucherait de façon moins importante les joueurs venant de l’intérieur de l’UE ; ou un Brexit dur, où on retrouverait les règles qui s’appliquent déjà aux joueurs non issus de l’UE et qui s’appliqueraient alors à tous les joueurs non britanniques. Cette troisième option est clairement la plus difficile pour le joueur, car elle toucherait en profondeur la Premier League et serait « terrible » selon Jacobson. Il complète : « Ce serait positif d’un point de vue britannique. Pareil pour la sélection. Mais sinon, ce ne serait pas une bonne chose pour le football de ce pays, de la Premier League au Championship. »
« Partout où il y a de l’argent, il y a de la cupidité »
Oui, Miles Jacobson est touché par ce qui touche actuellement un pays de foot au sein duquel il a progressivement contribué à bousculer les mentalités dans l’approche du jeu depuis le début du siècle. Car au-delà du Brexit qui est le problème majeur actuel, c’est contre un système que se tournent les convictions du quadragénaire. « Ce qu’il se passe actuellement n’est pas une surprise, poursuit-il. Le foot est comme le milieu des affaires, partout où il y a de l’argent, il y a de la cupidité. Est-ce que je suis surpris ? Non. La seule façon d’éviter ces histoires est de dire non. Chacun a le pouvoir de dire non, de refuser quelque chose ou de l’accepter. » L’homme est touché, assez désabusé aussi et souhaite bouger l’approche pour sensibiliser aux risques d’un Brexit dont la FA tend depuis plusieurs semaines à repousser le problème. L’Angleterre du foot est aujourd’hui à l’heure des questions, alors qu’elle n’a jamais été aussi puissante financièrement dans sa volonté d’engendrer toujours plus de profits. Avec les conséquences naturelles que cela comporte. Sa Fédération doit attaquer ses problèmes actuels par cette base avant de repenser un système de formation entier et un « milieu gangrené » par une culture du clientélisme à l’extrême. La virtualité ne peut pas être qu’une simple alerte, mais elle peut aider à prendre conscience des conséquences.
Par Maxime Brigand, à Londres