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Football Leaks : le savoir est une arme ?
Comme toutes les bonnes séries, les Football Leaks ont fait attendre leur saison 2. L'opération internationale d'investigation sur le petit monde du foot menée par des médias européens, dont Mediapart en France, a donc dégainé ce vendredi sa seconde salve, en attendant le reste des orgues de Staline. Après les péchés fiscaux de nos stars à crampons, ce sont désormais les arcanes ancillaires des palais du ballon rond, qu'ils soient suisses, qataris ou parisiens, qui se trouvent exposés au grand jour. Apprend-on quelque chose de neuf ? Non, mais désormais les preuves sont sur la table, sous les yeux de tous. Reste à savoir qui prendra la peine d'en tirer les conclusions.
Tout a commencé par les malheurs de Cristiano Ronaldo. Après avoir dévoilé son peu d’inclination pour la répartition des richesses, les Football Leaks avaient également ensuite éclairé un arrangement financier qui visait à étouffer dans l’œuf une éventuelle plainte pour viol de la part d’une jeune Américaine, Kathryn Mayorga. Beaucoup imaginaient que la suite continuerait donc, comme l’épisode précédent, de cibler les mauvais comportements, moraux ou illégaux, des joueurs ou de leurs agents. De guerre lasse. La phase de révélations qui a commencé hier s’attaque cette fois au cœur de l’empire : les clubs, leurs propriétaires – du Golfe essentiellement – et surtout l’UEFA en étrange médiateur des intérêts bien compris de tout un chacun.
Les copains d’abord
Les logiques de fond qui sont dénoncées n’étonneront personne. Elles sourdent depuis longtemps, dans les mécontentements récurrents des vieilles maisons tel le Barça. Elles sautaient surtout aux yeux de n’importe quel journaliste, économique ou sportif, qui ne s’était pas fâché avec les mathématiques euclidiennes. Oui, le PSG mode QSI a construit sa puissance économique au sein du foot européen en contournant allègrement le fair-play financier, avec des contrats de sponsoring sur-dimensionnés au-delà du décent – mais le capitalisme connaît-il la décence – et qui ne dupaient aucun observateur averti. Les princes du pétrodollars auraient de la sorte injecté 4,5 milliards d’euros entre Paris et Manchester City. Parler de dopage financier reviendrait à confondre le sucre en poudre et la cocaïne.
On se doutait forcément que l’UEFA de Michel Platini et de son ancien ami Gianni Infantino n’avait quand même pas pu se laisser berner. Ils étaient de fait complices. Leur motivation aussi ne surprendront pas. Le fair-play financier n’a jamais eu pour but de garantir l’équité des compétitions, seulement de renforcer les positions acquises des « grosses boutiques » , des grands championnats, voire de bloquer des malotrus venus des marges (principalement d’Europe de l’Est). Et bien sûr, si possible d’éviter un krach en instaurant un peu de sagesse dans la spirale des déficits. Les documents publiés démontrent simplement désormais que l’arrangement n’avait rien de tacite, il s’était au contraire effectué de visu et de gré à gré. Les Football Leaks fournissent de la sorte une consistance quasi « faits divers » à ce que les spécialistes analysent depuis une décennie à longueur d’articles pointus et de livres universitaires.
Lobby sans contrôle
De la même manière, la réapparition de Nicolas Sarkozy dans la boucle des scandales du foot n’a rien d’un choc. Il était souvent présenté comme le grand facilitateur du Mondial au Qatar, l’une des plus belles illustrations de l’immixtion de la géopolitique sportive dans les grandes affaires politico-économiques de la diplomatie entre États. Une fois encore, les Football Leaks apportent le détail qui tue. En 2010, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, a directement traité avec Tamim Al-Thani, alors prince du Qatar, lors d’un dîner où, entre la poire et le dessert, le PSG et beIN Sports servaient d’amuse-gueule pour la Coupe du monde 2022. Michel Platini étant invité à servir les plats. Son successeur, d’ailleurs, Gianno Infantino, n’est pas en reste dans le flot des révélations. Il aurait été très généreux avec un magistrat suisse, le procureur en chef de la région du Haut-Valais. Le consortium European Investigative Collaborations (EIC) cite notamment des « invitations » en Russie ou encore une finale de la Ligue des champions. Ce type de lobbying n’est ni propre au foot ni surprenant. Les données sourcées permettent juste d’orienter le regard du citoyen sur la petite fenêtre éclairée, où tout se voit, de la maison close des trafics d’influence.
La dernière grosse révélation prolonge ce côté détective. L’idée de créer une ligue fermée autour des grands clubs européens représente un vieux serpent de mer qui refait surface régulièrement et opportunément pour faire pression sur l’UEFA. Ainsi les Football Leaks étalent des sources qui racontent comment onze clubs européens (Bayern, Real Madrid, Juventus, Arsenal, etc.) auraient commencé à réfléchir sérieusement à une Super Ligue fermée à l’occasion d’une réunion le 31 mars 2016 à Zürich, le climat suisse étant toujours propice à penser plus grand. L’UEFA aurait lâché du lest sur les « places » en Ligue des champions et sur le versant économique. Il ne faudrait néanmoins pas oublier en retour que pour le coup, en face, les instances du foot possèdent quelques instruments de rétorsion – exclusion des joueurs des sélections nationales – qui participent à ce subtil équilibre de la terreur, avec des milliards de droits télé au milieu.
Faits divers, mais peu variés
Alors quelles suites ? Les premiers Football Leaks, au-delà de la condamnation morale de l’égoïsme des millionnaires en crampons, ouvraient sur des enquêtes et des poursuites de la part des diverses administrations fiscales lésées (18 millions pour Ronaldo en Espagne). Qu’en est-il cette fois-ci ? Au-delà de se révolter contre un capitalisme où les riches et les puissants s’arrangeraient toujours entre eux ? Le PSG a certes quelques soucis en perspective avec le fair-play financier et a d’ailleurs déjà été sanctionné par le passé (60 millions d’euros d’amende et deux ans de plafonnement de la masse salariale). Toutefois, de quel droit décide-t-on, et sur quel barème, qu’un État-propriétaire n’a pas le droit d’injecter de l’argent, même à perte ? Une des raisons qui expliquent la docilité de l’UEFA devant une opération si peu discrète tenait au fait que du côté de Zürich, on doutait peu de la solvabilité des « clients » du PSG, quand bien même les contrats s’avéraient 1700 fois trop beaux pour être vrais.
De même, si la Coupe du monde au Qatar finit par être annulée, ce sera davantage en raison des tensions dans la région qu’à la suite d’un procès pour « prise d’intérêt illicite » , et l’immunité présidentielle protège toujours Nicolas Sarkozy. Enfin, rien ne stoppera une ligue fermée, si ce n’est la peur de la fuite en avant, et certainement pas la dénonciation au grand jour des manigances de quelques costumes-cravates prêts à sacrifier cette belle culture populaire pour le bonheur des actionnaires. Les Football Leaks sont une opération admirable et astreignante, au vu de la masse des documents à décrypter (70 millions de documents). Un bien nécessaire. Des faits, des preuves et des certitudes, qui s’en plaindrait. Mais qui ne dormira pas tranquillement ce soir malgré tout, car il s’agit d’un foot capitaliste que tout le monde connaît et accepte depuis longtemps et aucune loi ne l’interdit.
Par Nicolas Ksiss-Martov