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Football Leaks : le retour du fantôme de la Super Ligue

Par Maxime Brigand
5 minutes
Football Leaks : le retour du fantôme de la Super Ligue

Projet discuté depuis de nombreuses années par les mastodontes du football européen, l’idée d’une Superligue européenne rassemblant les clubs les plus riches du continent semble faire son chemin en coulisses. C’est ce que révèle le deuxième volet des Football Leaks dont l’enquête explique que la compétition pourrait même connaître une naissance rapide.

C’est l’histoire d’un vieux rêve : une idée qui flotte dans l’air depuis une trentaine d’années, objet de nombreux fantasmes et portée de longue date par quelques gros bras du continent, notamment Silvio Berlusconi et Florentino Pérez, deux types qui n’ont jamais souhaité construire « une équipe » , mais simplement « la meilleure équipe du monde » . Ainsi, pourquoi ne pas se battre pour mettre en place la meilleure compétition de l’histoire ? À comprendre : la plus lucrative, pas la plus compétitive. Voilà la plus grosse bombe qu’il est possible, à ce jour, d’extraire de la plus grosse fuite de l’histoire du journalisme – 70 millions de documents décryptés par l’EIC (European Investigative Collaborations) – résumés sous le nom Football Leaks : le retour du projet d’une Superligue européenne à seize clubs, sur le modèle d’une ligue fermée, qui pourrait débuter dès 2021. Forcément intriguant.

Fantôme et « accord préliminaire »

Dans l’enquête publiée dans la soirée de vendredi par Der Spiegel, Le Soir et The Guardian, on apprend ainsi qu’un mail aurait été adressé le 22 octobre dernier à l’assistante de Florentino Pérez, le président du Real, et à ses deux adjoints. L’émetteur ? Key Capital Partners, une firme financière dont le siège est à Madrid et qui travaille de longue date avec le triple champion d’Europe en titre. Le contenu ? Un document – « un accord préliminaire contraignant » – de treize pages qui détaille le projet de la Superligue, une compétition qui rassemblerait alors onze clubs fondateurs – soit les plus riches du secteur (le PSG, le Real, le Bayern, le Barça, la Juventus, l’AC Milan, Manchester United, Manchester City, Chelsea, Liverpool et Arsenal) – et cinq invités (l’Atlético, la Roma, l’OM, le Borussia Dortmund et l’Inter). Des invités « initiaux » précise le document. Jusqu’ici, l’idée d’une ligue fermée européenne était un fantôme créé pour menacer l’UEFA afin d’obtenir plus de garanties financières pour les balourds d’Europe. Aujourd’hui, le projet semble doucement prendre forme avec déjà des premières règles : les onze fondateurs ne pourront pas être relégués et seront maintenus au sein de la compétition durant les vingt premières années. Contactés par les différents médias membres de l’EIC, le Real et le Bayern n’ont pas confirmé la chose dans l’état, évidemment.

Dans l’idée, la compétition se déroulerait sous la forme d’un championnat et se terminerait ensuite en phase à élimination directe. En réalité, on se fiche finalement pas mal du comment. Regardons d’abord le pourquoi, ce que décline l’enquête en laissant apparaître une première piste de partage des parts du gâteau : 18,77% pour le Real, 17,61% pour le Barça, 12,58% pour Manchester United ou encore 8,29% pour le Bayern. Le pourquoi, en réalité, vient de loin et l’affaire est devenue sérieuse il y a maintenant deux ans. Soit en 2016, année post-scandale de la FIFA et veille de la renégociation des droits TV de la Ligue des champions et de la Ligue Europa. Dans son enquête, Der Spiegel évoque alors un mail envoyé le 3 février 2016 par Michael Gerlinger – membre du board de l’Association européenne des clubs (ECA), mais surtout directeur des affaires juridiques du Bayern – au cabinet d’avocats international Cleary Gottlieb dans lequel le dirigeant bavarois évoque notamment la possibilité d’un Bayern retiré de la Bundesliga, mais aussi celle de ne plus libérer les internationaux pour rejoindre leur sélection respective. Derrière, le concept est simple : développer l’entre-soi, réduire le partage des parts et construire doucement un plus gros gâteau, puisque de toute manière, la Ligue des champions, la Serie A, la Bundesliga, la Ligue 1, la Premier League et la Liga n’ont plus grand-chose d’imprévisible (Leicester et Montpellier, tout ça, il faut oublier).

Grosse patate et gros revenus

Place à un homme, Charlie Stillitano, le mec qui a notamment organisé le massif Manchester United-Real Madrid de 2014 au Michigan Stadium (devant 109 318 supporters, un record) et qui est aujourd’hui le directeur exécutif de Relevent Sports, la société qui organise l’International Champions Cup. Dans les documents fouillés par les Football Leaks, Stillitano apparaît pour avoir envoyé d’abord un mail à des dirigeants du Real – José Ángel Sánchez, directeur général du club et responsable marketing – en décembre 2015, dans lequel un premier projet de la Superligue était joint : dix-sept clubs européens, toujours les plus riches, plus un 18e représentant issu du Portugal, de la Russie, de la Turquie ou des Pays-Bas, et l’idée d’une compétition étirée sur 34 semaines avec des matchs le mardi, le mercredi et le samedi avant la bataille finale en fin de saison. On parle là de la première version écrite de l’idée de la Superligue discutée depuis trente piges dans les couloirs, avec un argument clé : en 2016, l’UEFA a versé 80 millions d’euros au Real pour sa victoire en Ligue des champions. Stillitano, lui, calcule qu’une ligue fermée permettrait à chaque club de multiplier au moins par cinq leurs revenus annuels chacun. Rien que ça.

Depuis l’idée a fait son chemin – au départ, elle rassemblait sept clubs (le Real, le Bayern, la Juve, le Barça, Manchester United, Arsenal et l’AC Milan) – et semble avoir déjà des contours solides comme le confirme l’enquête de l’EIC. Aleksander Čeferin, le président de l’UEFA, avait beau affirmer l’an passé qu’il ne céderait jamais face au « chantage » et que l’instance ne dérogerait pas à ses valeurs, quelque chose se passe et certains dirigeants bossent sur les conditions (avec l’aide de Key Capital Partners), notamment en matière de validation des contrats et de retrait d’une ligue nationale déjà existante. En public, tout le monde se refile la patate. Mais demain, celle-ci pourrait être plus grosse que jamais.

Charlie Stillitano

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