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Nessim Ramdane, emporté par le trafic
Dans la nuit du vendredi 4 octobre, aux alentours de 4h30 du matin, Nessim Ramdane, footballeur amateur de la région marseillaise, unanimement apprécié, a été tué par balle au volant de sa voiture alors qu’il exerçait son activité de chauffeur VTC. Une nouvelle victime collatérale du trafic de stupéfiants à Marseille, dont la disparition a fait grand bruit dans le monde du football amateur provençal.
Cinq jours après le drame survenu au croisement des rues du 141e RIA et Léon-Gozlan dans le quartier Saint-Lazare (3e arrondissement), plus aucun stigmate ou presque n’est visible devant l’école élémentaire Saint-Charles, à seulement quelques encablures de la gare éponyme. Seules quelques traînées sur l’asphalte, blanchies par le nettoyage effectué sur la scène de crime et délavées par la pluie tombée durant le week-end sur la cité phocéenne. On tombe aussi devant le reste de rubalises siglées « Police nationale, défense de franchir », venant rappeler la tragédie survenue ce vendredi 4 octobre à l’aube : Nessim Ramdane, chauffeur VTC âgé de 37 ans et footballeur amateur de la région marseillaise, a été abattu de sang-froid au volant de son véhicule, par un présumé tueur à gages de 14 ans. « C’est une victime qui n’avait aucun lien avec le trafic de stupéfiants, ni de près, ni de loin. Il ne faisait qu’exercer son métier », comme l’a précisé Nicolas Bellone, procureur de la République à Marseille lors d’une conférence de presse donnée le 6 octobre et relatée par La Provence. Ce père de trois enfants est ainsi un nouveau symbole des victimes collatérales de la guerre de la drogue qui nécrose Marseille.
Le foot amateur marseillais en deuil
Nessim Ramdane était avant tout un passionné de football. Il continuait de s’illustrer sur les terrains varois du côté du club de Six Fours le Brusc, en Régional 1, et campait en parallèle le rôle de responsable technique de la préformation des catégories U12 à U15. Originaire des quartiers nord de Marseille, il était le prototype du baroudeur du football local, ce qui l’avait conduit à écumer des clubs comme Endoume, l’Athlético de Marseille, l’ES Fos-sur ou encore Saint-Zacharie, laissant dans chacun de ces endroits un souvenir impérissable. « C’était un super joueur avant tout, avec une technique hors pair, mais aussi un mec intègre, dévoué, passionné et un super éducateur, appuie Anthony Alexanian, un copain de ballon devenu un ami avec lequel il avait tenu à vivre une dernière aventure chez les Six Fours. On dit souvent que les meilleurs partent en premiers, aujourd’hui c’est le cas. »
Émouvante minute de silence à Carnoux en hommage à Nessim Ramdane, ancien capitaine et éducateur du club. pic.twitter.com/eEKvJeN4Qo
— Idriss (@idriss_ia7) October 6, 2024
Plus qu’un joueur du dimanche, Nessim en avait encore sous les crampons, et son niveau de compétitivité marquait ses coéquipiers. On le décrit comme « un leader naturel qui tirait tout le monde dans le bon sens, qui s’intégrait parfaitement dans le collectif et qui savait faire jouer les autres ». Malgré ses 37 printemps, il restait sur une cuvée 2023-2024 avec un statut de meilleur buteur du championnat sous la tunique de Saint-Zacharie. Sa disparition a eu l’effet d’une déflagration : plusieurs hommages ont été rendus aux quatre coins de la région. Une minute de silence a été respectée avant le match entre son ancien club de Carnoux et Luynes, quand Six Fours a préféré reporter l’ensemble de ses rencontres. Ce n’est que le début, assure Anthony Alexanian : « Aujourd’hui, l’heure est au deuil et au recueillement. On va laisser partir notre ami et puis on verra ensuite dans les jours, les semaines à venir tout ce qu’il y a lieu de mettre en place pour lui rendre hommage. »
« Lui qui a tout fait pour être loin de ça… »
Si la pression de la gâchette semblait être retombée d’un cran en 2024, après une année 2023 sanglante et marquée par le conflit opposant le clan de la DZ Mafia à celui de Yoda, qui a fait près de 50 morts en seulement quelques mois, les règlements de compte ont de nouveau fait les gros titres ces dernières semaines. C’est désormais au tour du 3e arrondissement de la ville, parmi les plus pauvres d’Europe, d’être l’épicentre des tensions autour du contrôle du trafic de drogue à Marseille. Au total, six règlements de compte ont été commis dans cet arrondissement du centre-ville en 2024. Comme l’a confirmé le procureur de la République à Marseille, la mort de Nessim Ramdane est intimement liée à un autre fait divers survenu le 2 octobre dernier et révélé par La Provence. Un adolescent de 15 ans avait été retrouvé « lardé de 50 coups de couteau » avant qu’il ne soit « brûlé vif » dans la cité de Fonscolombes, toujours dans l’arrondissement maudit.
Pour venger cette mort, une vendetta savamment orchestrée a mené celui qui serait l’assassin de Nessim Ramdane à se rendre à Marseille cette nuit fatidique. Devenu chauffeur VTC depuis peu de temps, en plus de son entreprise de conseil en énergie afin de boucler ses fins de mois, le père de trois enfants aurait refusé de déposer le jeune adolescent et son comparse embarqués pour une course quelques minutes auparavant. La suite glace le sang : l’adolescent aurait aperçu en chemin un homme qu’il pensait être sa cible, et le jeune tueur à gages aurait alors intimé à Nessim de s’arrêter, ce qu’il aurait refusé. Le tueur présumé, armé d’un pistolet 357 Magnum, a alors abattu un homme qui n’avait rien demandé, un homme innocent, d’une balle à l’arrière du crâne.
Aujourd'hui, les Marseillais ont rendu hommage à Nessim Ramdane, père de famille et marseillais, assassiné pour avoir refusé d’être complice d’un crime horrible. J’exprime à nouveau tout mon soutien à ses proches et joins mes pensées à tous ceux qui se sont réunis pour honorer… pic.twitter.com/ygKCnihvBY
— Benoît Payan (@BenoitPayan) October 8, 2024
Le tireur a été appréhendé peu de temps après le crime après avoir été dénoncé par celui qui s’est présenté comme le commanditaire de l’action, détenu à la prison de Luynes. Selon La Provence, le tireur a été présenté au juge d’instruction dimanche où il aurait reconnu l’homicide tout en estimant que le tir mortel était « accidentel ». « C’est vraiment un scénario tragique, témoigne Anthony Alexanian. Nessim a tout fait pour partir de Marseille, mais il fallait qu’il aille travailler la nuit là-bas et il a fallu que ça tombe sur lui… Lui qui a tout fait pour être loin de ça… »
Le précédent Adel Santana Mendy
Si l’ensemble de la société marseillaise est touché de près ou de loin par les nuisances du trafic de drogue, le football amateur marseillais a payé un lourd tribut ces dernières années. La mort de Nessim Ramdane n’est en effet pas la première à endeuiller les acteurs du ballon rond dans la région. Le 23 décembre 2022, alors qu’il s’était rendu à la cité de la Méditerranée dans les quartiers nord de la ville (14e arrondissement) pour rendre visite à des proches à la veille du réveillon de Noël, Adel Santana Mendy, formé à l’Olympique de Marseille entre 2016 et 2018, qui évoluait alors en National 2 du côté d’Aubagne, est également tombé sous les balles. Son seul tort : être descendu de chez lui au moment où les tireurs ont ouvert le feu sur le groupe de personnes installé en bas de la barre d’immeuble. Lui aussi n’avait rien à se reprocher et demeure une victime collatérale de ce que l’on appelle désormais les « narchomicides ». Un règne de la peur où plus personne n’est épargné s’il se trouve un jour au mauvais endroit, au mauvais moment.
Par Léna Bernard, à Marseille
Propos d’Anthony Alexanian recueillis par LB.