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Foot et écologie : arrête ton char
Christophe Galtier n’a finalement fait rire que Kylian Mbappé avec sa vague tentative de contre-pied concernant les déplacements en jet privé du PSG. Pourtant, si l’entraîneur parisien a joué la mauvaise blague pour déminer le terrain après la victoire contre la Juventus (2-1), son allusion au char à voile s’avère malgré tout révélatrice d’une vision très particulière de l’écologie. Une vision datée et surtout vaguement méprisante. Il faudra penser à travailler ses fondamentaux. Les temps ont changé...
« Ce matin, on a discuté avec la société avec laquelle on fait nos déplacements pour savoir si on ne pouvait pas se déplacer en char à voile. » La réponse pince-sans-rire de Christophe Galtier a fusé tandis qu’il faisait mine de garder son sérieux en acteur appliqué. Sûrement préparée, assurément assénée pour clore le débat et revenir aux choses sérieuses (le match contre la Juventus ou le penaltygate) sur lesquels lui et son attaquant, Kylian Mbappé, s’étaient si sérieusement et brillamment épanchés auparavant. Il ne s’agit pas d’un dérapage incontrôlé. Cette phrase était tout autant pesée et réfléchie que le reste de cette conférence de presse, jusqu’alors une véritable masterclass de com’ maîtrisée. Pour comprendre ce fail, cet échec total, il faut peut-être s’attacher à l’exemple fourni, le char à voile.
Lundi gras
L’ancien coach lillois est loin d’être un candide qui ne connaît de la vie que la réalité des 90 minutes. L’enfant de Bondy s’est trop souvent exprimé sur des sujets de société, allant jusqu’à entrer en conflit avec la FFF pour des sponsors trop peu éthiques (notamment sur la malbouffe) pour que leur duo à la Laurel et Hardy se résume à un blague de beaufs autour d’un barbecue genré. « Même si j’adore faire de l’humour et que c’est important l’humour, je me suis aperçu que c’était une blague de mauvais goût sur un sujet très sensible et j’ai vu les proportions prises. ici au PSG, on n’est pas hors sol, tout le monde ici fait très attention au problème du climat, et en aucun cas, on ne fait n’importe quoi, a-t-il clarifié mardi soir après le match européen. Je n’ai pas à présenter des excuses, c’était une blague de mauvais goût. » Cet humour, à base de char à voile, révèle toutefois à quel point pour Christophe Galtier et son petit monde, celui du foot pro, la question écologique reste une lubie, fort sympathique, que défendent quelques amoureux de la nature, aux cheveux longs et chandail en laine, perdus quelque part sur la Côte d’Opale, à rouler sur le sable soulevé par le vent.
Le char à voile fut effectivement un moyen de transport, par exemple dans la Chine ancienne. Mais pas besoin d’être médium pour se douter que dans la tête de Christophe Galtier, il s’agit surtout de ce sport socialement distinctif, comme dirait ce brave Bourdieu, des CSP+ post-Mai 68, qui mangent bio et manifestent quand un quelconque projet immobilier menace des arbres centenaires. Après un été de sécheresse et de canicule (dont au passage les pelouses du foot amateur furent les victimes) durant lequel la France a pris conscience, jusque dans son porte-monnaie, de la gravité de la crise climatique qui s’annonce et des problématiques énergétiques qui l’accompagnent, Christophe Galtier pensait devoir répondre à Nicolas Hulot dans Ushuaïa (lui-même rattrapé par une autre évolution sociétale, la fin de l’impunité touchant les agressions sexuelles).
Symboliques malgré eux
Sa contre-attaque possède enfin un arrière-goût de dénonciation. Vouloir changer de mode de vie, celui très particulier des footballeurs d’un club aussi riche que le PSG, reviendrait finalement à s’imposer une régression technologique, nous projetant dans le passé avant l’invention même de la machine à vapeur. De ce point de vue, il n’est pas le seul à blâmer. Le président de la République Emmanuel Macron, avant sa conversion à la sobriété, a parfois usé d’une thématique fort identique, stigmatisant les « ultras » de l’écologie qualifiés d’« amish ». De même, on peut aussi regarder avec ironie des membres de son gouvernement tacler le PSG, quand la France a été condamnée à deux reprises pour inaction climatique sous le précédant quinquennat, lorsque par exemple Elisabeth Borne était ministre, notamment de la Transition écologique.
Nous avons vu le président de la Fédération française de char à voile invité sur les plateaux télé. Tant mieux pour sa discipline dont on se doute qu’elle ne se résume pas à l’arrière-plan des travellings des films de Claude Lelouch. Nous avons finalement surtout vu et entendu deux citoyens français continuer de croire que la seule alternative au jet privé conduirait à vivre un chapitre du Tour du monde en 80 jours de Jules Verne – vous savez les fameux traîneaux à voile qui emmenèrent Phileas Fogg et Jean Passepartout jusqu’à Omaha. En cela Galtier et Mbappé ont peut-être été exemplaires, dans la mesure paradoxale où ils ont si bien représentés le retard et la frilosité française face au drame qui nous attend.
Par Nicolas Kssis-Martov