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Florian Taulemesse : « En Espagne, les défenseurs m’appelaient « l’animal » »
Élu meilleur joueur étranger du dernier championnat de Chypre, Florian Taulemesse, 32 ans, est à deux matchs de disputer pour la première fois la phase de poules de la Ligue Europa. L’attaquant français est l’artilleur de l’AEK Larnaca, qui dispute son barrage aller ce jeudi soir chez les Slovaques de Trenčín. Interview plaisir.
Ta carrière débute au Gazélec, à Mulhouse, Gueugnon et se poursuit ensuite à Terrassa, dans la banlieue de Barcelone. Comment as-tu atterri là-bas en 2010 ?J’avais un contrat de deux ans à Gueugnon. À la fin de la première saison, il y a eu un changement d’entraîneur. Ça ne collait pas avec le nouveau, il fallait que je parte. En plus, Tony Vairelles est arrivé en tant que président-joueur, dans le même profil que moi : attaquant de pointe. J’avais des clauses qui m’empêchaient de jouer dans la même division en France, donc j’ai fait le choix de l’étranger. Tout m’a plu en Espagne : la façon de vivre, tous les entraînements avec ballon… C’est beaucoup plus de plaisir. Tu y vas pour jouer au football, tu n’y vas pas pour courir, courir, courir. C’est autre chose.
En quoi le foot espagnol te correspond plus que le foot français ?En Espagne, les joueurs sentent le mouvement. S’il y a un moyen de faire la passe, le joueur va te la faire tout de suite. C’est un foot basé sur la possession du ballon, la finesse. Je l’ai senti en arrivant là-bas. Le coach te dit : « Pas trop fort, on est à l’entraînement. » Les défenseurs m’appelaient « l’animal » ou « bicho » parce qu’ils ne sont pas habitués à un jeu basé sur le physique.
Lors de ta première année en Espagne, tu as changé deux fois de club en l’espace d’un an. Que s’est-il passé ?
À Terrassa, j’ai touché mon premier mois de salaire et ensuite, je n’ai plus rien touché pendant… cinq mois ! Je vivais avec les économies de l’époque, mon grand-père était là pour m’aider. Je fréquentais les joueurs africains francophones, on tenait le coup en restant ensemble. On mangeait ensemble. C’était simple : on mangeait du riz.
Tu as pensé à arrêter le foot ?Mon père voulait que je rentre en France, mais moi, je ne voulais pas abandonner. Le foot, c’est ma vie depuis que je suis enfant ! Honnêtement, je ne me vois même pas arrêter le foot dans dix ans (quand il aura 42 ans, donc, N.D.L.R.). Ce n’est pas envisageable. Tant que je pourrai courir, je continuerai.
Donc tu arrives à Moratalla, toujours en D3, mais très vite, tu repars…Là encore, j’ai touché mon premier mois de salaire, puis plus rien pendant des mois. Finalement, les salaires, tu les touches à la fin de la saison car si le club voulait rester dans sa division, il devait payer. À l’époque, c’était vraiment la crise en Espagne. Les clubs étaient au bord de la faillite. Les gens se faisaient foutre à la porte de leur logement, c’était une crise générale.
Comment tu t’en sors ?
En 2010, j’arrive à Orihuela. Un club familial, où je ressentais beaucoup d’estime de la part des gens envers moi. On a disputé les play-offs d’accession en deuxième division. Après, j’ai signé à Sabadell en D2, je n’ai pas énormément marqué à cause du système de jeu. Je suis redescendu d’un niveau à Cartagena et j’ai marqué 19 buts. Malheureusement, on n’a pas réussi à monter en D2, mais tout s’est déclenché à partir de ce moment-là. Je suis parti à Eupen, en Belgique, grâce à Josep Colomer, l’ancien directeur sportif du Barça qui avait fait signer Messi en pro. Et on est monté en première division.
Tu es quel genre d’attaquant ?Un attaquant en pivot, qui lutte beaucoup et aide à remonter le bloc équipe. Mon point fort, c’est dans la surface. La saison dernière, j’étais vraiment en réussite : à chaque fois que j’avais une occasion, je marquais. Malheureusement, j’ai été blessé deux mois et demi et j’ai terminé quand même deuxième meilleur buteur du championnat (21 buts). Le moment le plus fort, c’était la finale de la Coupe la saison dernière face à l’Apollon. Gagner un titre à 32 ans, c’est fantastique. Il y a des joueurs qui n’ont jamais eu cette chance.
Depuis deux ans, tu joues pour l’AEK Larnaca. Parle-nous de l’ambiance qui règne dans les stades chypriotes…On ne dirait pas, mais c’est comme en Grèce, il y a beaucoup de fanatiques. Tu as des clubs avec énormément de supporters dans le style grec comme l’APOEL ou l’Omonia (deux clubs de Nicosie, N.D.L.R.). Leur stade est pratiquement tout le temps rempli. Nous, l’AEK, on est un club jeune qui s’est construit en 1994, donc forcément, il y a moins de fans. On arrive à monter à 4000-5000 dans les gros matchs.
Quel est le grand rival ?L’Anorthosis. C’est un club de Famagouste, une ville à l’est de l’île envahie par les Turcs. (1) Depuis, l’Anorthosis est venue s’installer à Larnaca, ce qui donne un derby. La saison passée, la veille d’un match de qualification pour la Ligue Europa, on était dans un gymnase de futsal pour préparer la rencontre.
Nos supporters ont voulu nous faire une surprise en mettant de l’ambiance, pour nous montrer qu’ils étaient derrière nous. Et quand ils ont appris ça, des supporters de l’Anorthosis sont venus leur tendre un guet-apens à 300 contre 50 ! C’était une bagarre générale à coups de caillasse, fumigènes… Il y a eu des blessés, dont des enfants. C’est pour te montrer la tension entre les deux clubs… Nous, on est un club familial. Il y a des ultras, mais c’est un club jeune.
Tu as déjà eu peur sur un terrain à Chypre ?Non, ça n’a pas été jusque-là. Moi, j’aime les grosses ambiances, ça me motive pour être meilleur. À l’APOEL, quand ça chante dans le stade, tu n’entends plus tes coéquipiers sur le terrain. C’est l’autre gros match, parce que l’APOEL, c’est le club champion que tout le monde veut battre.
En dehors du foot, qu’est-ce que tu apprécies dans la culture chypriote ?Les Chypriotes sont très croyants, on sent beaucoup de respect. Je te prends un exemple : si t’es à un carrefour, en face, en France, personne ne te laisse passer. Ici, un coup c’est l’un, un coup c’est l’autre. Il y a une culture familiale. Chypre, ça ressemble à la Corse. Il fait toujours beau, c’est agréable. Les spécialités locales que j’affectionne ? Le chicken souvlaki : ce sont brochettes de poulet au barbecue, cuites de telle façon que le poulet est vraiment parfait. Et il y a aussi le halloumi, c’est un très bon fromage.
Après avoir éliminé le Sturm Graz, il vous reste à disputer un barrage face à Trenčín, une équipe slovaque, pour accéder à la phase de poules de la Ligue Europa…
Pour moi, ce serait la première fois. Trenčín, c’est une équipe qui court beaucoup, elle est jeune et vient d’éliminer le Feyenoord. Ils ont réussi à faire 1-1 sur leur pelouse synthétique. Mon rêve, si on se qualifie, ce serait de jouer contre l’OM. C’est mon club de cœur. J’ai grandi dans le Gard, près d’Avignon. Quand je pense au Vélodrome, je pense aux supporters ! Au Vélodrome, j’allais voir les matchs avec les Ultras 84.
Propos recueillis par Florian Lefèvre
(1) : À lire à ce sujet : le reportage « Chypre, la réconciliation par le foot ? » dans le SO FOOT 131.