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Florentino Pérez, roi des silences

Par Thibaud Leplat
Florentino Pérez, roi des silences

La Superligue n’intéresse plus personne. Pour le Real Madrid, le coup est rude. Pour Florentino Pérez, son président, c’est encore pire. Quand le plus grand club du monde est renvoyé à sa folie, la décadence rôde. Anatomie d’une étrange défaite.

Lundi soir à la télévision espagnole, on vit un spectacle formidable. Il était à peu près minuit quand sur nos écrans apparut la mine fatiguée de l’homme aux célèbres chemises bleu clair. Manifestement incommodé par la bande-son angoissante incrustée en fond musical, il esquissa une moue dubitative au moment précis où, assis sur un énigmatique cube gris comme sur un trône de carton, il apparut en majesté. Josep Pedrerol, présentateur mythique de l’émission El Chiringito (bruyante héritière du non moins tonitruant Punto Pelota) et dont on peine encore à comprendre, huit ans plus tard, le canal de diffusion et la logique éditoriale, avait l’air fier comme un pape de son« exclusivité mondiale ». Silence en plateau. Florentino va parler. Le spectacle va commencer.

D’abord, satisfait de son meublé provisoirement vidé de ses bruyants locataires pour l’occasion, le journaliste fait le tour du propriétaire « Voilà notre nouveau studio. En huit ans ici, c’est la première fois que vous venez, n’est-ce pas ? » entame-t-il d’un sourire saturé de sous-entendus. Pedrerol est en effet régulièrement accusé par Javier Tebas, président de la Ligue et autre personnage haut en couleur de la société madrilène, d’être le « porte-parole officiel de Florentino ». Pérez jette un regard poli en direction du sol en simili pelouse (gamme Leroy-Merlin) et, d’une réplique cinglante, plante le décor de l’interview à venir comme un bon coup de couteau sur la table « Oui, et c’est peut-être la dernière, aussi. Ça dépend si vous me traitez correctement… » Paternalisme poli. Sourires crispés. C’est parti pour le moment de télévision le plus lunaire, au moins, depuis la dernière mission Apollo.

Des œufs, des frites, des millions

On ne comprend pas le projet de Superligue si on ne comprend pas qui est son instigateur et personnage principal, Florentino Pérez. Homme normal aux routines exemplaires (jamais d’alcool, amateurs de chiens et d’art contemporain), il dit ne rien aimer plus que les « huevos con patatas » (des œufs, des frites, de l’huile, incontournable trilogie de la gastronomie espagnole d’autoroute) et le Real Madrid. Étrange combinaison pour un tel souverain. « Mon père disait toujours, a-t-il une fois raconté, que le plus important était d’agir comme quelqu’un de normal. » Président normal, donc, d’un club au projet complètement anormal, Florentino Pérez est une sorte de François Hollande qui aurait patiemment avalé le CAC 40 frite par frite, croqueta par croqueta.

On raconte qu’il mène une vie de moine, que sa vie est dédiée à la gestion d’un empire immobilier (ACS) fondé en 1997, pesant environ 110 000 employés, 39 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019 et valorisé à hauteur de 920 millions d’euros (dont il est actionnaire personnel à hauteur de 12,5%). Entre deux conseils d’administration, « son seul vice », pour reprendre le terme de Maria Angeles Sandoval, son épouse décédée en 2012 (et surnommée Pitina par toute l’Espagne attendrie), « c’est d’être président du Real Madrid ». Bref, c’est dire si l’homme aux mœurs anachroniques et au charisme de comptable pèse lourd dans le panorama. Effectivement, mieux vaut être poli avec celui qui ne paie pas de mine et a le tutoiement facile. Car il n’hésitera pas, au hasard d’une conversation au ton toujours amical, à faire envoyer aux galères les esprits incrédules.

Philippe II, roi du football

Coincé dans un costume qui aurait toujours l’air d’avoir mal voyagé, Florentino Pérez est le véritable roi d’Espagne. À l’image de l’ascétique Philippe II régnant sur l’Empire de Charles Quint, son père, depuis sa chambre-cellule minuscule du lugubre monastère-château de L’Escorial, Pérez incarne un caractère propre à cette région de la Sainte Péninsule : fanatisme des horizons d’un côté, obsession de l’obéissance de l’autre. Le Real Madrid, c’est le nom qu’il faut donner à cette curieuse folie de la grandeur. On a beau expliquer par la preuve et par l’exemple que le projet de sécession mené par le « plus grand club du monde » autoproclamé est très mal accepté par l’ensemble de l’opinion publique européenne et reviendrait à dévaluer toute la « pyramide du football » qu’il prétend aider par ailleurs, Pérez hausse les épaules et prend des accents de pharaon thaumaturge : « Je ne suis pas le propriétaire du Real Madrid. Le Real Madrid appartient à ses socios. Tout ce que je fais, c’est pour le bien du football. Nous faisons cela pour sauver le football, qui est dans un état critique. » Mais le football ne veut plus du Real Madrid, là est le drame qui se joue actuellement.

L’étrange défaite

Car le pire est en train d’arriver pour Pérez. Au-delà de la situation financière délicate du club et des 800 millions d’euros que vont finalement coûter les « réfections » du Santiago-Bernabéu — le « meilleur stade du monde » —, c’est la mystique du Real (et son image de marque) qui vient d’être gravement entamée par cette affaire. Le Real Madrid est directement engagé dans l’un des plus grands fiascos de l’histoire du football moderne. Il faut le relire pour le croire. Parce qu’il a voulu tirer un privilège temporel (et financier) de sa grandeur spirituelle, la défaite du Real n’est donc pas seulement institutionnelle ou politique, elle est aussi, et surtout, morale.

Dans un club où le désir se substitue à la réalité et la foi aveugle à l’orthodoxie économique, il y a plus grave que de subir une défaite. Perdre un match, un championnat, une Coupe d’Europe, perdre même un grand joueur (cf le feuilleton Neymar puis Mbappé) ne pèse pas lourd à côté d’un crime beaucoup plus grave signé, mercredi matin, en Une de Marca qui connaît bien son bréviaire madridistedepuis le temps : « Super-ridicule : le projet instigué par Florentino Pérez échoue en 48 heures. » L’ennemi de la grandeur, Marca a raison, ce n’est pas l’incrédulité, encore moins la naïveté ou l’erreur. Non, l’ennemi de la grandeur, Florentino vient d’en faire la douloureuse expérience, c’est le ridicule.

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