«Florentino Pérez, pas le plus riche du cimetière»
On entend un peu tout et surtout n'importe quoi sur le retour de Florentino Perez, sur sa thune, ses dents blanches et ses Galacticos. Du coup, pour y voir plus clair, voici une interview de Jean-Marc Benammar, professeur à l'Institut des Etudes Européennes et spécialiste de l'économie du foot. Il intervient même à Sciences Po sur le sujet, c'est dire.
Franchement, comment fait-il, Florentino ? D’où sortent les fonds?
Pérez est l’un des trois actionnaires du plus gros entrepreneur du bâtiment en Espagne, le groupe ACS. Il figure à l’indice IBEX 35 (équivalent du CAC 40 à Madrid) et pèse 16 milliards d’€ (Mds €) de CA en 2008… Soit la moitié de Bouygues. ACS a aussi très bien investi, et vient de revendre sa participation de 45 % dans Union Fenosa (compagnie d’électricité) à Gas Natural pour 17 Mds €, soit 100 fois Cristiano Ronaldo et Kaka. Union Fenosa avait réalisé 1 Md € de bénéfices en 2007… Pérez a également un accès privilégié aux financements des grandes banques espagnoles (notamment Grupo Santander, la plus grosse, et éventuellement BBVA) et il peut se faire garantir des lignes de crédit lui permettant d’acquérir n’importe quel joueur (même au pluriel avec Cristiano Ronaldo et Kaka). Il faut se rendre compte que 150 Millions € (Mio) pour eux, c’est pas beaucoup. En février, Grupo Santander avait même annoncé publiquement être enclin à prêter 70 Mio € au Real pour financer le transfert de Cristiano Ronaldo… Et n’oubliez pas non plus que Pérez a été un homme politique (centre-droit) et qu’il a sûrement de très bons appuis de ce côté-là, sans parler du Roi.
Il s’agit du retour des gros transferts, de la bulle comme au début des années 2000…
Bulle ? Le Real Madrid est toujours là (la preuve) et les autres aussi. Quand les Anglais s’opposent à une DNCG européenne, ils disent que tant que les garanties bancaires sont là, comme dans n’importe quel autre secteur d’activité, pourquoi se tracasser. Il y a un impayé ? La garantie est présentée à la banque qui paie. Évidemment, si c’est la banque qui ne peut pas payer… Et là, on retombe dans le plan de sauvetage des banques européennes : grâce aux nationalisations, aucune n’a coulé. Et donc, tant que les banques sont derrière, tout tient. Vu les liens du Real avec la famille royale, il est certain que les banques ne s’arrêteront jamais de garantir les dettes du club. Par ailleurs, je vous rappelle que le Real négocie directement ses droits TV avec les chaînes, en Espagne et à l’étranger, et qu’on négocie d’autant mieux qu’on a des vedettes internationales connues mondialement dans son effectif. Pour les voir jouer en Liga chaque week-end, il faudra passer par Pérez qui va faire monter les prix. Dans les affaires, ça marche toujours comme ça, c’est comme la bicyclette, tant qu’on pédale, on continue à avancer !
Mais c’est pas censé être la crise ?
La crise de l’immobilier en Espagne, oui… Mais lui peut voir venir, encore mieux qu’Abramovich, n’est-ce pas ? Pérez a 62 ans, il adore le foot et le Real, et il n’a peut-être pas envie d’être le plus riche du cimetière, donc il s’amuse avec le Real qui lui permet de passer à la TV et de flatter son ego qui est plutôt surdimensionné. Son amour pour les médias, son image est vraiment une donnée importante. C’est là une technique extrêmement ancienne. Il crée du buzz, les gens ne parlent que du Real, écoutent la Radio, Cadena Ser, y’aura des photos, des visites à gogo sur le site officiel… Tout ça signifie des retombées pour le club.
Justement, il dit que le transfert –comme celui de Zidane– est rentable. Perez dit que la somme sera amortie, en droits d’image, merchandising, trucs et machins… En attendant, on ne voit jamais de bilan, donc on ne peut pas trop le contredire ?
Le Real a réalisé un bénéfice de 50 Mio € pour 366 Mio € de CA l’année dernière, soit le double de toute la Ligue 1… C’est du 13 % de bénéfice, beaucoup d’entreprises aimeraient en dire autant, et vu la structure associative du Real (seul dans ce cas en Espagne avec Barcelone, Bilbao et Osasuna, les autres clubs, dont Valence, sont en SA, ce qu’on dit rarement en France), il n’y a pas de dividendes à payer ! Cela lui permet aussi de ne pas être obligé de publier ses comptes. Les estimations de son endettement vont de 200 à 500 Mio €, mais l’endettement dont on ne réclame pas le remboursement immédiat se reporte dans le futur. Vous imaginez Emilio Botin, le patron de Grupo Santander, aller frapper à la porte du Bernabéu pour exiger sa part de remboursement ? Les banques prêteuses sont de fait des sponsors du Real. Je n’ose pas imaginer ce qui se passerait si une banque espagnole retirait son soutien au Real Madrid ! Dans toute l’Espagne et à l’étranger, il y aurait une foule de socios pour demander à solder leurs comptes… Au final, le Real est d’ailleurs assez peu endetté (23 % de sa valorisation selon Forbes qui l’estime à 300 Mio USD), ce qui est un ratio nettement inférieur à celui des clubs anglais. Maillots : le Real en vend 2 millions par an ; le CA de la Liga toute entière en produits dérivés c’est 145 Mio €. Pas de quoi rêver. C’est un complément de CA, rien d’autre. Par contre, ça permet de renégocier plus avantageusement avec son équipementier…
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