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Florent Ibengé, l’homme fort de la RDC
Depuis sa nomination en 2014, Florent Ibengé a permis à la République démocratique du Congo de retrouver sa place parmi les meilleures nations africaines. À tel point qu’aujourd’hui, le Congolais est considéré comme l'un des techniciens africains les plus importants.
Paradoxe de la Coupe d’Afrique des nations, il vaut mieux être blanc et européen pour être le sélectionneur d’une des équipes en lice. Cette année, seuls quatre entraîneurs issus du continent africain ont pris place sur le banc de touche au début de la compétition. Et à l’aube des quarts de finale, ils ne sont plus que deux : Aliou Cissé et Florent Ibenge. Si on ne présente plus le premier, le second est l’un des techniciens les moins connus du circuit. En tout cas en Europe. Car sur le contient africain, il est devenu en l’espace de trois ans une référence. Depuis sa nomination surprise à la tête de la RDC en août 2014, il enchaîne les bons résultats. Troisièmes de la CAN en 2015 et surtout vainqueurs du Championnat d’Afrique des nations en 2016, les Léopards ont retrouvé une certaine régularité sous ses ordres. Florent Ibenge est la preuve qu’une sélection n’a pas forcément besoin d’un « sorcier blanc » pour réussir. Car si l’entraîneur congolais a passé une grande partie de sa vie en Europe, où il est arrivé à l’âge de treize ans, son ancrage en tant qu’entraîneur est bel et bien africain.
Les Chinois avant les Kinois
Joueur de seconde zone, Florent Ibenge n’a pas eu la même carrière de joueur que la plupart de ses homologues. « J’ai joué au niveau amateur ou semi-professionnel. J’aurais pu jouer à un plus haut niveau, mais mon père, médecin, voulait que je privilégie mes études d’économie » , déclarait-il avant la CAN au Monde Afrique. Quelques années après la fin de sa carrière, et malgré son master en sciences économiques, Florent Ibenge choisit pourtant d’entraîner.
Mais, il se rend vite compte qu’un Africain ne peut pas obtenir grand-chose de mieux qu’un poste d’adjoint. « J’ai pu exercer dans des petits clubs du nord, comme Fives ou Douai tout en travaillant à côté. Mais plus j’avançais en âge et plus cette question me taraudait : pourquoi était-ce aussi difficile pour un Africain d’entraîner au haut niveau en France ? » , explique-t-il, toujours dans les colonnes du Monde Afrique. Devant tant de difficultés, et après un passage en RDC en tant qu’adjoint de Patrice Neveu, il décide alors de tenter sa chance en Chine et rejoint Nicolas Anelka à Shanghai. L’expérience ne dure pas très longtemps, mais lui permet de taper dans l’œil d’un des plus grands clubs de RDC : l’AS Vita Club, basé à Kinshasa.
Une irrésistible montée en puissance
Et c’est bien au sein du club kinois que le Florent Ibenge d’aujourd’hui, celui qui ne mâche pas ses mots et qui ne cache plus ses ambitions, est né. Grâce à lui, les Dauphins noirs ont retrouvé les sommets du football africain après des années de disette. En 2014, dès sa première année à la tête du club, il les emmène jusqu’en finale de la Ligue des champions de la CAF, non sans avoir disposé au passage de cadors du continent comme les Kaizer Chiefs, le Zamalek ou encore le CS Sfaxien. Une finale de C1 que le club de Kinshasa (vainqueur de la compétition en 1973) n’avait plus connu depuis trente-trois ans. Malheureusement, les Dauphins noirs se feront piéger par l’Entente Sétif qui s’impose grâce à la règle du but à l’extérieur (2-2 en RDC, 1-1 en Algérie). Pas grave : l’année suivante, Florent Ibenge permet à l’AS Vita Club de remporter le titre de champion de RDC, avec un point d’avance sur le Tout Puissant Mazembe.
Aujourd’hui, Ibenge continue d’entraîner l’AS Vita Club, tout en étant le sélectionneur de la RDC. Une double casquette qui ne dérange personne au pays, puisque son professionnalisme et son intransigeance sont loués par tous. Les conflits d’intérêt ? Le natif de celle qu’on appelait jadis Léopoldville ne connaît pas. Parmi les hommes qu’il a sélectionnés pour disputer la CAN, un seul (Lomalisa) joue à l’AS Vita Club, alors qu’ils sont quatre (Matampi, Bope, Mpeko, Bolingi) à évoluer au Mazembe. Un fait d’autant plus remarquable lorsqu’on sait que le président du club de la capitale n’est autre que le général Gabriel Amisi Kumba, un proche de Joseph Kabila. Florent Ibenge a déclaré à de nombreuses reprises « se moquer complètement d’où viennent les joueurs » et vouloir aligner « la meilleure équipe possible » . Une volonté logique, mais toujours aussi rare en Afrique où les dirigeants se mêlent de façon quasi systématique de ce qui ne les regarde pas.
Un homme qui ne se cache pas
Finalement, c’est sans doute le caractère intransigeant de Florent Ibenge qui impressionne le plus. D’un point de vue tactique, l’homme n’a pas forcément de grands principes. Avec lui, la RDC n’a pas développé une identité de jeu forte. Cela ne veut pas forcément dire que les choses sont laissées au hasard. Bien au contraire. Seulement, Florent Ibenge préfère que son équipe s’adapte à l’adversaire. Son maître mot : la solidité. Pas forcément défensive, mais plutôt psychologique. Avant de prendre le chemin de la CAN, le sélectionneur avait déclaré : « Nous partons au Gabon comme on s’en va en guerre. » Des paroles fortes et pas vraiment prononcées à la légère. Florent Ibenge a pour habitude de faire ce qu’il dit. Et en attendant d’aller se frotter au gratin européen dans les années à venir, il n’a qu’un seul objectif : ramener la Coupe d’Afrique des nations au pays, quarante-trois ans après le dernier sacre du Congo-Kinshasa.
Par Sophie Serbini