Florence, l’art abstrait
A quelques heures du premier huitième de finale de son histoire en C1 face au Bayern Munich, la Fiorentina intrigue autant qu'elle séduit. Ou quand l'équipe la plus joueuse d'Italie est aussi la moins efficace.
Cesare Prandelli est un cas à part. Unique diront certains de l’autre côté des Alpes. Car au pays de la culture du résultat, et seulement du résultat, voilà un entraîneur qui avoue sans peine se ficher du tableau d’affichage tant que ce qu’il voit sur la pelouse ne lui convient pas. « L’important, ce n’est pas d’être en surrégime cinq matches dans l’année, mais d’être bon toute la saison, confiait-il à So Foot il y a deux ans. C’est comme ça que je conçois le football. C’est la seule façon de trouver de la régularité, et donc du fonds de jeu. C’est quand même le talent des joueurs qui est censé faire la différence. Le jour où le physique aura pris le pas sur la technique, on changera de sport » . Voilà donc les deux axiomes principaux de la Fiorentina : technique et jeu collectif. Pas banal en Italie. Pourtant, l’idée porte ses fruits. Aujourd’hui, la Viola s’apprête tout simplement à disputer le premier huitième de finale de son histoire en Ligue des Champions, face au Bayern Munich. Pas mal pour une équipe supposée se ficher du résultat comme de l’an 40.
Gilardino, l’enfer pour les autres
Il faut dire que la Fio est très bien outillée pour « divertir les gens » , pour reprendre le terme de l’impayable Prandelli. C’est simple, de la défense à l’avant-centre, chacun sait apporter son écot offensif. La force de Prandelli est d’avoir su chorégraphier l’ensemble, sans que cela ne tourne au chacun pour soi et dieu pour tous. Les Lyonnais pourraient en témoigner, les Violets forment un sacré collectif, toujours en mouvement. En vérité, contrairement à Barcelone ou Arsenal, la Fiorentina n’est pas forcément une adepte forcenée de la relance en passes courtes. L’idée de base est d’abord d’aller faire du jeu dans la moitié de terrain adverse, avec deux avantages imparables : le cuir est alors loin des bois de Sébastien Frey et tout près des cages adverses. Evidemment, une fois qu’on a dit ça, il faut aussi avoir les moyens de cette option pleine de bon sens. Et là, la solution porte un nom : Gilardino.
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L’avant-centre florentin, longtemps moqué quand il jouait à Milan où il ratait un éléphant dans un couloir, est le vrai fuoriclasse de l’équipe. Champion du jeu dos au but, le solide international italien sait tout à la fois contrôler dans les situations les plus improbables, fixer, décaler et même éliminer quand le jeu le commande. Autant le dire, un véritable enfer pour les défenses adverses, obligées de le suivre loin sans pouvoir pour autant lui piquer la gonfle. Et c’est là que les emmerdes commencent. Avec cette aspiration, l’adversaire se met déjà un peu dans le dur, car autour de Gila, ça explose. A commencer par les milieux de couloirs, les infernaux Marchionni à droite et Vargas à gauche. Deux redoutables pistons outillés d’une patte habile pour délivrer des centres au cordeau. Alors bien sûr, l’idée pourrait être de couvrir les flancs pour régler le souci. Pas si simple coco, car dans l’axe, en soutien de Gilardino, butine un dénommé Stevan Jovetic. Un authentique crack celui-là. Le Monténégrin à la chevelure seventies est un concentré de pur talent, dribbleur en diable, soyeux dans sa conduite de balle et malin dans les angles de passe qu’il est capable de trouver. Allons bon ! Rapide sur les flancs, costaud et inspiré dans l’axe, cette Fiorentina devrait être inarrêtable alors ?
L’inénarrable saga de Mutu
Si la Fiorentina, avec autant d’atouts dans sa besace, ne fracasse pas tout sur son passage, c’est qu’elle a son gros péché mignon, plus gros que mignon au demeurant : l’inefficacité. Un truc de fou en vérité. C’est bien simple, être supporter de la Fiorentina revient à prendre un abonnement pour le plaisir infini et la frustration à répétition. Car les partenaires de Sébastien Frey peuvent parfois jouer une heure et demie à se créer des situations dignes du Brésil de Tele Santana, sans jamais parvenir à la mettre au fond. De ce point de vue, la réception de la Roma, il y a quelques semaines, a frisé la caricature. Du jeu, des occases en pagaille, une mainmise totale sur la partie pour finalement se faire planter (0-1). La faute à l’ultra-dépendance dans ce secteur à Gilardino, d’autant plus forte que Mutu, contrôlé positif, n’en finit plus d’ajouter des chapitres à son inénarrable saga faite de putes, de drogues et de transferts douteux. Trop de dolce vita pour le fantasque Roumain et des galères en perspective pour ses partenaires. C’est sans doute pour cela que Prandelli est allé dénicher (en prêt) Keirrisson, un renard des surfaces, un vrai (alors que Gilardino, on l’a vu, décroche pas mal). Le Brésilien de 21 ans facture 34 pions en moins de 64 matches joués au Brésil (ok, ok, mais quand même) avant son transfert au Barça et un prêt illico à Benfica.
Dans ce contexte, quelles chances accorder à cette Fiorentina à l’heure du défi bavarois ? Pas simple, pas simple, tant l’ADN de ce club semble le promettre à un nouvel échec héroïque. Entre le berceau de la Renaissance et le pays de la bière, le football reconnaîtra rapidement les siens. So long, Firenze…
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