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Fletcher, le soldat de la Tartan Army

Par Romain Duchâteau
Fletcher, le soldat de la Tartan Army

Dans l'ombre de son homonyme Darren, Steven Fletcher s'érige pourtant comme l'atout phare de la sélection écossaise. Attaquant racé avec une fine patte gauche, le joueur de 27 ans est certainement le plus grand talent de la Tartan Army lors de cette dernière décennie. Ce vendredi, face à l'Irlande, celui qui a très tôt affronté les affres de la vie entendra une fois de plus le prouver.

L’endroit se prête si bien à rappeler qu’il ne faut jamais enterrer les hommes fiers. Même lorsque ces derniers sont prostrés, genoux à terre, le regard hagard. Dans l’écrin du bruyant Stadium of Light, le 4 octobre dernier, Steven Fletcher a prouvé qu’il n’avait encore rien d’un vestige du passé. Auteur d’un doublé face à Stoke City (3-1), l’Écossais a exulté, célébré chacune de ses réalisations en mettant ses mains derrière ses oreilles, comme une réponse à ceux qui l’avaient trop vite oublié. « Ce fut un soulagement de gagner ce match, peu importe si je marquais ou non. Je pense que j’ai toujours plutôt bien travaillé aux entraînements, c’était donc d’autant plus frustrant de ne pas être dans l’équipe. Mais j’ai gardé la tête froide et attendu mon heure » , analysait, placide, celui qui n’avait pas été retenu par Gustavo Poyet à deux reprises au mois de septembre.

Une « erreur » d’ailleurs admise par le manager uruguayen, lequel ne peut désormais plus se passer de son artilleur. Son heure, Fletcher l’a patiemment attendue. Sur le flanc cent quatre-vingt-deux jours entre le 22 mars et le 21 septembre 2013 à cause d’une cheville et d’une épaule en vrac, puis muet devant le but en Premier League depuis décembre dernier, c’est un véritablement chemin de croix – long et pénible – que l’attaquant a traversé. Seul, mais toujours debout. Parce qu’il en faut bien plus pour faire vaciller un homme qui s’est construit dans l’adversité.

Orphelin de père à dix ans

Pour comprendre Steven Fletcher, il faut avant tout se replonger dans son enfance, pour le moins tourmentée. Son plus jeune âge, l’enfant de Shrewsbury le vit au gré des pérégrinations européennes de son père Kenny, sergent dans l’armée qui a servi lors de la première Guerre du Golfe et deux fois au Belize. « Quand j’étais jeune, nous déménagions presque tous les deux ans, voire même parfois au bout de six mois. Nous avons vécu en Allemagne à deux reprises, puis dans toute l’Angleterre » , se souvenait-il, en 2006, pour l’hebdomadaire écossais Scotland on Sunday. Issu d’une famille de militaires – certains de ses oncles et cousins sont dans l’armée -, le petit Steven aurait dû embrasser le même parcours. Mais ses belles prédispositions balle au pied ont infléchi son destin : « Quand j’étais encore à l’école, à quinze ans, c’était soit le football ou j’allais rejoindre l’armée. J’ai fait une expérience d’une semaine dans un camp. Il y avait un tas d’activités différentes et un vrai esprit de camaraderie. Si je n’avais pas fait du foot, sans doute me serais-je rabattu sur l’armée car je n’ai jamais été très bon à l’école. »

Un événement tragique va marquer un tournant dans la vie de Fletcher. Alors qu’il n’a que dix piges, il perd prématurément son père, victime à 38 ans d’un cancer. Le coup est d’autant plus dur à encaisser que père et fils partageaient ensemble leur passion pour le ballon rond. Et pour Liverpool, dont Kenny se revendiquait fan inconditionnel. En 1996, sa progéniture réalisait d’ailleurs son plus grand souhait : rencontrer King Kenny Dalglish. « Il avait un abonnement annuel à Anfield. Il m’emmenait à chaque fois aux matchs et s’arrangeait pour que je sois la mascotte parfois, racontait, il y a quelques années à MailSport ,l’actuel joueur des Black Cats. C’était tellement important pour lui de me voir avec les joueurs à Anfield avant sa mort. Papa adorait le Liverpool de Dalglish. Quand j’étais mascotte, il a pu rencontrer son héros et j’étais aussi heureux pour lui. » Au crépuscule de sa vie, quelques mois plus tard, Kenny trouve quand même la force dans l’un de ses derniers souffles de demander à son frère Billy une dernière faveur. « Juste avant de mourir, il a dit à Billy : « Assure-toi que Steven devienne joueur professionnel. » Depuis ce moment, il ne m’a plus jamais lâché. » À la mort de son paternel, le gamin choisit de rester à Hamilton, en compagnie de ses oncle et cousins, plutôt que de suivre sa mère en Angleterre. Tout en faisant son deuil, Steven amorce sa carrière. À 16 ans, les Reds lui proposent un alléchant essai de deux mois. Mais sur les conseils avisés de son oncle, l’Écossais refuse, préférant faire ses gammes discrètement au FC Hibernian, basé à Edinbourg.

Patte gauche, élégance et Real Madrid

« Quand j’ai entendu ce que papa a dit avant de mourir, cela n’a cessé de me guider. Il est ma plus grande inspiration, et la chose la plus importante dans ma vie a été de réaliser son souhait. » Le bonheur de son père, Steven Fletcher l’a fait le 10 avril 2004, jour de ses premières minutes sous le maillot des Hibees. Et, alors qu’il ne culmine qu’à 17 piges, le bambin se distingue déjà. « Quand j’étais arrivé en 2004, il n’était pas encore dans le groupe pro. Après deux, trois mois, il intégrait l’effectif. Tout de suite, j’ai vu qu’il avait quelque chose de différent, un très beau potentiel et une grande facilité, se remémore Guillaume Beuzelin, son ex-coéquipier durant quatre années à Hibernian (2004-2008). Il faisait déjà cette grande taille (1m86) alors qu’il était très jeune, puis avait cette très belle et élégante patte gauche. »

Le talent est tel que des clubs d’un tout autre rayonnement font même le déplacement pour scruter le bambin prometteur. « On voyait clairement qu’il avait les capacités pour jouer dans les grands championnats européens. À l’époque, le Real Madrid était même venu plusieurs fois le superviser parce qu’ils cherchaient en quelque sorte des « oiseaux rares » à travers toute l’Europe, révèle Abderaouf Zarabi, qui l’a connu une saison à Hibernian, en 2008. Il tirait déjà l’équipe vers le haut, sortait des gros matchs contre le Celtic ou les Rangers, donc, forcément, il faisait parler de lui. J’étais latéral gauche et, avant chaque match, il me disait :« Je fais un appel et tu me balances le ballon derrière les défenseurs. » Et avec sa vitesse, ça marchait toujours ! » Des qualités que Fletcher n’a toutefois jamais étalées dans les hautes sphères du football européen. Après Hibernian, l’attaquant s’envole à Burnley, puis Wolverhampton, où il assiste chaque fois, impuissant, à une descente en Championship. « Je suis resté en contact avec lui et il pensait être un peu le chat noir » , s’amuse aujourd’hui Beuzelin.

La sélection, une histoire à écrire

Désormais à Sunderland depuis un peu plus de deux ans et un transfert de 17 millions d’euros (record pour un joueur écossais), Fletcher joue toujours le maintien. Mais s’il ne figure pas parmi les strikers les plus renommés du Royaume, le longiligne écossais peut se targuer de jouir d’une réputation appréciable. « Je dois avouer qu’il m’a surpris, glisse El-Hadji Ba, débarqué dans le Tyne and Wear en 2013 et actuellement en prêt à Bastia. Je connaissais surtout Adam Johnson et Sessègnon qui était encore là quand je suis arrivé, mais, lui, pas trop. Dès les premiers entraînements, il m’a impressionné et j’ai vu qu’il était d’un tout autre niveau. » Derrière des statistiques tout justes convenables pour un attaquant (10 buts en moyenne par saison depuis ses débuts), le profil de l’ex-Wolve offre une panoplie plus large et diverse pour son équipe. « C’est un joueur qui ne prend pas que la profondeur. Il excelle dans le jeu de tête, est capable de jouer en remise et peut même évoluer en tant que numéro 10. Surtout, il a ce côté altruiste, cette capacité de savoir bien faire jouer les autres » , soutient Ba en longueur. Ce qui vaut à Zarabi ce constat : « Je regarde la Premier League et je trouve qu’il mériterait un meilleur club » .

L’actuel sélectionneur de l’Écosse, Gordon Strachan, tient le même discours, estimant qu’ « il a cette capacité de rendre meilleure son équipe » . C’est, notamment, ce qu’il a démontré lors du succès face à la Géorgie (1-0, 11 octobre) et du nul contre la Pologne (2-2, 14 octobre). Mais si la Tartan Army profite maintenant de sa fine patte gauche, elle a dû pourtant s’en passer pendant un long moment. La faute à une relation houleuse avec l’ancien boss, Craig Levein. À l’occasion d’un match de qualification contre la République tchèque, en octobre 2010, le coach écossais choisit délibérément d’envoyer – sans raison apparente – Fletcher en tribunes au profit d’une improbable formation alignée en 4-6-0. Résultat : l’Écosse se plante (0-1) et Fletcher claque la porte de la sélection en envoyant… un SMS au staff. Il faudra attendre l’intronisation de Strachan et mars 2013 avant de revoir l’attaquant sous le maillot bleu. Un comeback longuement attendu. Au regard des dernières prestations, Strachan semble vouloir lui accorder une place de choix au sein d’une sélection pas si ridicule (Fletcher, Maloney, Morrison, Mc Arthur). Steven Fletcher (17 capes, 1 but), lui, ne s’est fixé qu’un objectif : qualifier la Tartan Army à l’Euro 2016, elle qui n’a plus disputé une compétition majeure depuis 1998. Un tel exploit constituerait la plus grande fierté de tout un peuple. Mais, aussi et surtout, celle d’un certain Kenny.

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