À lire : SÃO FOOT – 100% Brésil
Quel est ton rapport au football ?
Disons qu’au Brésil, le football est un peu partout. On ne peut pas zapper le foot, les télés sont branchées dessus de 7h à 20h. J’ai pas beaucoup pratiqué ce sport quand j’étais enfant, mais au Brésil, on a tous un frère ou un cousin qui fait du foot. Évidemment, je suis fan de Fluminense parce que mon père était fan du club et il m’a passé ça. Le football, c’est un héritage de cœur avant tout. C’est ça, mon rapport. Je soutenais et je soutiens toujours le Fluminense. Les supporters du Flu sont moins nombreux que ceux du Flamengo – ça doit être 200 ou 300 000 contre un million – mais on est fidèles. Mon père avait l’habitude de m’emmener voir les matchs. On avait tous les deux le maillot sur le dos. Quand ils perdaient, je pleurais. T’imagines ? Je savais même pas pourquoi je pleurais ! (rires) C’est une équipe très importante à Rio, qui a connu une grande période.
Laquelle ?
Celle des années 90 ! Je me rappelle un Fla-Flu, en 1995 je crois, et Renato Gaúcho jouait pour Fluminense. À la dernière minute de la seconde mi-temps, Renato Gaúcho contrôle le ballon avec le bas du ventre après une passe du milieu de terrain et là, il met le but. On était en train de pleurer parce qu’on se disait qu’on allait encore perdre, qu’on allait encore nous charrier et à la dernière minute, Fluminense remporte le championnat d’État avec un but du bas du ventre ! C’était impossible ! En plus, à l’époque, Renato Gaúcho, c’était une star comme Romário ou Bebeto. Il avait sa propre marque de vêtements, il était beau, il avait les cheveux longs avec un ruban… C’est un mec qui aurait pu jouer plus avec la Seleção, mais il avait beaucoup de caractère. Et puis il était humain : il aimait bien picoler, sortir avec des meufs, faire la fête. Tout ça, ça se voyait pas trop dans le foot. Les footballeurs ne parlaient pas trop, étaient sérieux, se couchaient tôt, loin de la vie mondaine. Renato Gaúcho, c’était l’un des premiers beaux gosses à partir en soirée !
Parle-nous un peu plus des Fla-Flu.
Faut savoir qu’à Rio de Janeiro, les Fla-Flu, c’est le grand événement sportif. Quand j’y allais, j’avais entre dix et vingt ans et c’était carrément un événement national. J’en ai vécu… Bon, à certains moments, je n’y allais pas parce que c’était vraiment très chaud. D’habitude, les finales se faisaient au Maracanã donc faut s’imaginer un stade dans lequel on peut mettre 200 000 personnes avec, en plus, un million de personnes dans tous les petits bars autour. On est dans le même esprit que dans une Coupe du monde.
Tu as d’autres souvenirs précis du Fluminense de l’époque ?
Un de mes cousins a joué pour le Fluminense en équipe de jeunes. On était très fiers parce que voir quelqu’un de ta famille sur le terrain avec le maillot du Fluminense sur le dos, c’est émouvant. Il s’appelait Rogerinho. Bon après, il a quitté le foot parce que la mafia des cartol a commencé à arriver au Brésil et les gens ont commencé à faire de vraies affaires avec les joueurs. Ceux qui avaient les meilleurs agents se retrouvaient placés dans les meilleurs clubs, etc. Il avait sans doute pas le manager qu’il fallait. Aujourd’hui, les cartol vont dans les clubs repérer les jeunes pour qu’ils deviennent les nouveaux Robinho et Neymar. C’est un peu comme le métier de mannequin : plus ils sont jeunes, plus ils ont d’avenir et les mecs savent repérer l’étoile chez les joueurs.
Qu’est-ce que tu penses de l’actualité qui agite la préparation de la Coupe du monde au Brésil ?
Déjà, c’est pas très étonnant qu’on parle de magouilles dans un pays qui fait toujours partie du Tiers-Monde. Dès qu’il y a beaucoup d’argent, il y a magouille, surtout avec une politique aussi corrompue comme on a pu l’avoir au Brésil. J’ai grandi dans un quartier, donc je sais ce que ça fait de ne pas avoir d’endroit où pratiquer le sport, la saleté des rues, etc. Les conflits étaient assez violents et je comprends les gens qui étaient dans la rue. Si je vivais encore au Brésil, j’aurais fait pareil : c’est pas possible qu’il y ait autant d’argent qui parte pour du sport alors que le système judiciaire date des années 40, l’éducation date des années 30 et les hôpitaux d’il y a un siècle. Après, je me dis que tous ces gamins qui vivent dans les favelas vont bénéficier un peu de cet argent indirectement pour améliorer leurs conditions de vie. Ce sera peu, mais ça va changer. Pour les Jeux panaméricains, ils ont construit des piscines, des terrains qui ont fini par servir à la communauté. Je ne peux pas demander au peuple de ne pas manifester, jamais, mais j’aimerais juste que cette Coupe du monde se passe en paix. La vraie question est : cette Coupe du monde est-elle nécessaire au Brésil ? Le Brésil devient une grande puissance, les gens travaillent, étudient et ils ont envie de plus. Donc on n’avait peut-être pas besoin de cette compétition. De toute façon, le Mondial, tout le monde le regarde déjà au Brésil !
D’ailleurs, quels sont tes premiers souvenirs de Mondial ?
Je me rappelle avoir assisté toute petite à un entraînement. Pelé était là et il m’a signé un autographe derrière mon acte de naissance. Quelques années plus tard, la Coupe du monde 1994, c’était vraiment magique. Pour moi, ça représentait vraiment le foot. Romário, Bebeto, Cafu, Branco – qui était complètement décrédibilisé et qui marque en quart de finale. Trente ans que le Brésil n’avait rien gagné. Juste après, il y a les débuts de Ronaldo… Je l’ai vu jouer son premier match avec Cruzeiro. Il était super jeune et il a réussi un dribble complètement inattendu. À l’heure actuelle, il est toujours meilleur buteur de la Coupe du monde malgré l’Allemand, là. Pelé et Ronaldo, ce sont vraiment les deux joueurs qui représentent le foot brésilien, selon moi. Enfin non, il pourrait y en avoir quatre. Enfin non, plein ! (rires)
S’il y en a quatre, quels sont les deux autres ?
Garrincha et Ronaldinho. Garrincha, je l’ai connu en 1994 parce qu’on a beaucoup comparé la doublette Romário-Bebeto à Pelé-Garrincha. Pendant trente ans, on a beaucoup parlé de Pelé parce que Garrincha a été un traumatisme au Brésil. On sait ce qu’il est devenu, comment sa carrière a fini, avec l’alcool, son manque de reconnaissance et sa vie privée. Garrincha a vraiment eu sa reconnaissance grâce à Romário et Bebeto. D’autant que je sais, comme tout le monde, que Pelé ne serait pas Pelé sans Garrincha. Ronaldinho, c’est le mec qui sort du quartier, qui aime s’amuser, qui aime la musique. Ils représentent tout ce que le football a de plus beau. Des gens normaux malgré leur statut de footballeurs. Et surtout, des gamins. Parce que le football, c’est avant tout une histoire de gamins.
C’est marrant, tu ne considères pas Sócrates comme un joueur important de la Seleção. Le capitaine de ce qu’on appelle la plus belle équipe du Brésil de l’histoire.
Sans doute parce que j’étais trop petite pour m’en rappeler. C’est des souvenirs vagues, notamment celui de Zico qui ne peut pas rentrer au pays parce qu’on veut brûler sa maison après son pénalty raté. Mais évidemment, tout le monde parle de Sócrates, c’est un des piliers du Brésil. Il est vraiment parti faire du social, il n’est pas devenu médecin pour rien. Je pense qu’il n’a pas supporté le petit monde du foot et il a préféré redevenir quelqu’un de normal pour s’occuper des autres. C’est très beau.
Ton pronostic pour la Coupe du monde ?
Avec tout le bruit que ça fait, j’espère vraiment que le Brésil va gagner. En plus, historiquement, ce serait bien après la défaite de 1950. Une grande tristesse à l’époque, donc ça va être la même chose si on ne gagne pas cette année. Tous ceux qui sont devenus coachs de la Seleção derrière ont eu cette envie de vengeance. Tous les quatre ans, on parle de 1950, on voit des images à la télé. Je trouve bizarre qu’il n’y ait pas Robinho et Kaká, mais je fais confiance à Scolari parce qu’il nous a amené la cinquième étoile, il a fait de jolies choses avec le Portugal et des clubs brésiliens. C’est un mec qui sait ce qu’il fait. En 2002, tout le monde était contre lui, contre l’équipe qu’il avait sélectionnée. Sept matchs à faire le dos rond avec 190 millions de personnes qui disent que ce que tu fais, c’est pas bon et finalement… Il ramène la Coupe du monde.
Robinho et Kaká n’ont plus vraiment leur place, non ?
Je sais pas, Kaká a fait quelques bons matchs. Et Robinho, il n’a jamais été trop aimé. Même s’il a le même parcours que Pelé. Révélé très jeune, arrivé à Santos, donc on l’attendait un peu à ce Mondial, quand même. Mais il y a tellement d’étoiles au Brésil que c’est compliqué de faire sa sélection. De toute façon, là, on est parti sur une nouvelle génération. Après, c’est vrai qu’on parle beaucoup des Brésiliens d’Europe, mais il y a finalement beaucoup de bons joueurs au pays. Je parlais de Renato Gaúcho. C’est le même exemple.
Le vrai « nouveau Pelé » , c’est pas censé être Neymar, plutôt ?
Neymar est arrivé et il a tout pris. C’est comme ça. Neymar, c’est la même chose que les cartol, sauf que le foot a évolué et ce sont les parents qui font du business, maintenant. Dès qu’ils sentent que leurs fils commencent à bien jouer, ils essaient d’en tirer le meilleur. Ça me pose un petit problème parce que c’est devenu un vrai travail. Maintenant, si tu es un garçon, on te dit : « Tu vas devenir footballeur. » Bien sûr, les parents veulent toujours le meilleur pour leur enfant, mais là, il n’y a pas que ça. C’est aussi qu’en devenant footballeur, tu peux sauver toute ta famille avec des contrats à 300 000 euros. C’est comme le marché de la musique : beaucoup d’appelés, peu d’élus. Et beaucoup se retrouvent déçus. Ceci dit, ça a l’avantage de ses inconvénients : au moins, Neymar est avec son père. Parce que nombreux sont ceux qui se sont fait avoir par des agents.
Plus que dans n’importe quel autre pays, le football fait vraiment partie intégrante du Brésil. Comment tu l’expliques ?
Parce qu’on a toujours grandi avec l’impression qu’on était pauvres. Pauvres de tout : la nourriture, le confort, l’éducation. Il y a trente ans, on sort d’un coup d’État et on devient une démocratie du jour au lendemain. On ne sait pas comment faire et on tombe sur un tourbillon de corruption. La seule chose qu’il nous restait, c’était le foot. Il est dans tous les téléviseurs, on n’a pas besoin d’argent pour le pratiquer et de nombreux joueurs sortent des quartiers. C’est le sport national des pauvres. Après est venu le voley-ball, le deuxième sport national, c’est vrai. Mais le foot, c’est ça : le manque d’accès aux choses et le plaisir simple de voir gagner les gens.
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