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FJEP Cornil, une fusion sans fumée ?
Un tifo géant, des banderoles et un craquage de torches lors d'un match de district, c'est possible. En Corrèze, le FJEP Cornil s'est forgé une réputation grâce à sa communication maligne et sa culture ultra. Mais le club a disparu cet été pour fusionner avec un village voisin dans l'ambition d'être plus compétitif et surtout pour surmonter les difficultés rencontrées par le ballon rond dans les territoires ruraux. Le FC Cornilois Fortunadais participera d'ailleurs au Vrai Foot Day, la grande fête du foot amateur célébrée le 13 octobre prochain.
Dans un département où le football professionnel n’existe pas, il n’est pas toujours facile d’exister. En Corrèze, la petite commune de Cornil, même pas 2000 habitants, mise pourtant beaucoup sur le ballon rond pour se faire un nom. Durant plusieurs années, son club de foot, le FJEP Cornil, avait adopté une communication astucieuse consistant à faire parler face caméra des personnalités publiques pour faire de la pub au club de district ou lors d’événements organisés au stade du Roc-Blanc. En juin 2017, François Hollande invitait d’ailleurs les gens à se rendre au tournoi sixte dans une vidéo devenue virale, alors que Laurent Koscielny et Patrick Sébastien ont aussi offert un petit moment de gloire au club cornilien.
« C’est important d’avoir des réseaux sociaux qui fonctionnent bien, ça peut nous permettre de gagner en visibilité pour les sponsors, assure Arnaud Chapoux, gardien de but et bientôt vétéran. Les clubs ont tendance à sous-estimer les réseaux, mais ça peut avoir beaucoup plus d’impact que d’acheter un panneau sur le bord du terrain. » Mais limiter l’activité du club amateur à faire le buzz sur internet est très réducteur. Depuis plusieurs années, la passion s’exprime aussi sur le bord des terrains à Cornil, où les joueurs ont pris l’habitude de jouer dans des ambiances folles pour de simples matchs de district. Bienvenue chez les ultras les plus inventifs de la Corrèze.
Une culture ultra
Quand il n’y a pas de fumigènes, ce sont des banderoles qui fleurissent la main courante à Cornil. Le 13 juin 2018, à l’occasion d’une rencontre face à l’US Lanteuil, les supporters – qui sont généralement aussi joueurs au club – déploient un grand tifo avec l’inscription « Fiers d’être Cornilois » . « Quand la réserve joue, l’équipe première s’occupe des fumigènes, et inversement, en tout cas quand c’est possible, précise Arnaud. Sur les matchs de coupes surtout, on tente de faire des choses sympa. Un jour, on a joué contre une DHR, soit une équipe évoluant trois divisions au-dessus de la nôtre, et on avait fait une grosse banderole : « Même sans DHR, notre club est légendaire ». C’était marrant. » Le fruit du travail et des inspirations d’une bande de potes ayant baigné dans le mouvement ultra depuis leurs adolescence. « On était supporters à notre échelle à 15 piges, on allait acheter deux ou trois fumigènes à la con à Gifi et la culture ultra est restée, raconte Vincent Boucher, issu de la « masia corniloise » . Je me déplace souvent avec le PSG et on est aussi actifs en tribunes pour le CSP Limoges, en basket. »
Mais alors, comment une petite bourgade comme Cornil peut-elle autant mobiliser ? Comment un petit club devant composer avec des moyens financiers et humains limités peut-il permettre un craquage d’une quarantaine de torches et le déploiement d’un tifo géant ? « On a commencé gentiment avec une petite bâche simple, puis l’appétit vient en mangeant comme on dit et on a fait des trucs gigantesques, on a pas peur de le dire. C’était le plus grand tifo du centre-ouest, se réjouit Vincent. On a un ultra marseillais qui adore faire les tifos, il est bon dans la création. Baptiste fait les banderoles, il millimètre tout au rétro-projecteur et tout ce qui est artifices et fumigènes, on voit ça ensemble. » Une organisation aux petits oignons qui ne posent aucun problème financièrement parlant : « On se cotise à chaque fois, comme un club ultra ou une association, confirme Arnaud. On a un groupe Facebook et on définit de combien on a besoin pour acheter des bidules. » Comprendre, pas besoin d’avoir un club de Ligue 1 pour s’éclater autour d’un terrain.
Un condensé de bonnes idées et d’animations qui ont permis au FJEP Cornil de se forger une petite réputation dans le football corrézien, au point de surprendre certains adversaires au départ. « Ça n’a jamais vraiment été mal pris, même s’il y avait des petites remarques au début avec des gardiens qui demandaient à l’arbitre de virer les jeunes qui faisaient le bordel derrière les buts, mais ils font ce qu’ils veulent, sourit Arnaud. En vrai, c’est inhabituel en district de voir des mecs taper sur des tambours ou craquer des fumigènes. Les gens ont compris notre délire maintenant, ils ont compris qu’on était dans le second degré à fond. » Une façon de s’amuser alors que le stade de Ligue 1 le plus proche est à plus de deux-cent kilomètres, à Bordeaux, mais aussi une manière d’afficher la fierté pour sa commune et de pratiquer l’autodérision, les membres du club n’ayant pas du tout envie de se prendre au sérieux. « Les gens savent qu’on est un club familial, on est pas là pour être irrespectueux des autres et les échos sont rarement négatifs, souligne Vincent. Le cheminement, c’est de prendre du plaisir. On aime notre village et on a envie de le faire connaître. En plus, on a zéro pression de la part de la présidence, on est libre de faire ce qu’on veut, on est chanceux pour ça. » Beaucoup de satisfaction et une grande question : l’identité cornilienne peut-elle perdurer après la fusion ?
La naissance d’un nouveau club
Car cet été, une page s’est définitivement tournée à Cornil. La section foot a disparu pour laisser place à la création du Football Club Cornilois Fortunadais (FCCF), le fruit de la fusion entre le FJEP Cornil et l’AS Laguenne-Ste Fortunade-Lagarde Enval. La conséquence des difficultés à faire vivre un club de foot dans les territoires ruraux, faute de dirigeants et bénévoles. « Il y a de plus en plus de villages qui n’ont pas les moyens financiers et humains pour tenir, déplore Arnaud. Donc t’es obligé de fusionner pour rester compétitif. Il y a deux choix : soit on sait qu’on ne peut pas aller plus loin que la D1 avec nos infrastructures et on risque une rechute, soit on se fait un projet sportif cohérent et ça passe par une fusion. » Un nouveau défi pour les Corniliens – dont le club n’a jamais évolué au-dessus de la D1 -, qui voulaient attendre d’être en meilleure santé sportivement pour acter une fusion qui était envisagée depuis près d’une décennie. « Quand on était plus bas que le club voisin, on ne voulait pas se faire bouffer dans une fusion, éclaire Arnaud. Cette année, il y avait deux poules en D1, Cornil a terminé troisième dans la sienne et Fortunade a fini à la deuxième place dans l’autre. C’est cohérent en matière de niveau, l’équipe première sera un mix des deux. »
Entre le stade Claude Albaret et le Roc-Blanc, les entraînements ont repris au début du mois d’août pour le FCCF, en vue du retour du championnat. Mais chez certains ambianceurs historiques du FJEP Cornil, la motivation est légèrement retombée. « Avec Baptiste, la fusion nous a un peu refroidi, admet Vincent. On était obligé de passer par là parce que le club commençait à dépérir en matière de bénévoles, mais je ne suis pas sur que je m’investirai autant pour les animations… Ce n’est pas pareil après une fusion, c’est vrai que c’est pour le bien du club, mais il manque ce truc. Maintenant, c’est tout frais, ça va peut-être revenir d’ici deux mois. » Fini les couleurs violettes et blanches, place à un logo rouge et noir tout neuf pour officialiser l’association entre les deux entités. De son côté, Arnaud se veut plus optimiste : « On va essayer de garder cette mentalité en apportant dans le club cette culture. On sait que l’équipe dirigeante est friande de ce côté décalé autour du terrain, comme sur les réseaux sociaux. » Le rendez-vous de ce week-end contre le FCC Oradour-sur-Vayres à la maison pour le premier tour de la Coupe de France ressemble à une belle occasion de fêter cette nouvelle union dans une ambiance cornilienne.
Par Clément Gavard