- Coupes d'Europe
Finissons-en avec la règle du but à l’extérieur
À l'heure où les grands décideurs de notre football ont des idées - toutes plus saugrenues les unes que les autres - pour révolutionner ce sport, il serait peut-être temps de s'attaquer à une tradition caduque et dispensable : la règle du but à l'extérieur.
Le mois de février a ses traditions : la Chandeleur, la neige, la Saint-Valentin, le tournoi des VI nations, et le retour des Coupes d’Europe de foot avec des matchs à élimination directe. Une super nouvelle, surtout après une saison sans le frisson de la double confrontation avec un Final 8. Mais six mois plus tard, la pandémie paralyse toujours l’Europe, et les acteurs doivent encore s’adapter aux règles sanitaires de chaque pays. Résultat : RB Leipzig-Liverpool, Gladbach-Manchester City et Wolfsberger AC-Tottenham se joueront à… Budapest ; Atlético-Chelsea se tiendra à… Bucarest ; Benfica et Arsenal se retrouveront deux fois en une semaine à… Rome et au Pirée ; Real Sociedad-Manchester United se disputera à… Turin ; Molde-Hoffenheim se vivra à… Villarreal. Une ribambelle de délocalisations rendant absurde le fameux avantage du « match à la maison » . Et à l’heure où les grands décideurs de notre football ont des idées, toutes plus saugrenues les unes que les autres, pour révolutionner ce sport, il serait peut-être temps de s’attaquer à une tradition caduque et dispensable : la règle du but à l’extérieur.
Avantage à la défense
Voilà plus d’un demi-siècle que celle-ci s’est imposée dans les mœurs du football européen. La première pierre fut posée en 1965 lors de la Coupe des coupes, avant que cette idée de génie ne soit étendue à toutes les compétitions européennes quatre ans plus tard, en 1969. Depuis, c’est un casse-tête chaque année pour les non-initiés, ou les étourdis façon Avi Assouly, mais aussi une source inépuisable de poncifs ( « le but à l’extérieur compte double ! », « ils ont marqué, mais ça ne change rien ! » ). Dans les textes, il faut s’arrêter à l’article 20 du règlement de l’UEFA : « Si les deux équipes ont marqué le même nombre de buts sur l’ensemble des deux matchs, celle qui a marqué le plus grand nombre de buts à l’extérieur se qualifie pour le tour suivant. » Simple comme bonjour, sauf quand les deux équipes doivent passer par une prolongation durant laquelle les « buts marqués à l’extérieur comptent double » (tiens, tiens). Ce qui avantage, de manière assez incompréhensible, l’équipe visiteuse qui dispose de trente minutes de rab pour jouer avec la règle.
Moins de calculs, plus de spectacle
Ces dernières années, le débat autour de la pertinence de ce point de règlement était revenu sur la table à plusieurs reprises. Une première fois en septembre 2018, quand les coachs présents au vingtième forum des entraîneurs des clubs de l’élite avaient demandé à l’unanimité la fin de la règle du but à l’extérieur en prolongation en cas d’égalité. Une seconde fois quelques mois plus tard, quand le journal Kicker annonçait une réflexion autour de cette règle à l’UEFA dans le cadre de la validation des règlements pour les compétitions européennes à venir. Sans suite.
Aujourd’hui, l’occasion est trop belle pour passer à côté. Entre les délocalisations et l’impact du huis clos, jouer à domicile ne veut plus rien dire. Les grands manitous de l’UEFA, bien connus pour être des grands opportunistes, doivent profiter du contexte pour faire disparaître une règle dont le foot moderne pourra se passer. Imaginez la folie : moins de calcul, plus de spectacle. Plus besoin pour les locaux d’être focalisés sur l’idée de ne pas prendre de but. En 2014, ce visionnaire d’Alex Ferguson avait résumé le problème : « Si l’on revient trente ans en arrière, on verra que la contre-attaque impliquait un ou peut-être deux joueurs. Maintenant, elle peut en concerner cinq ou six. En ce qui me concerne, quand je jouais à domicile, je ne cessais de me répéter de ne pas prendre de but. »
Les discours, puis les chiffres : la moyenne du nombre de buts marqués à domicile dans les matchs à élimination directe en Ligue des champions est passée de 2,03 à 1,55 entre la décennie 1960 et celle 2010, selon la BBC. Oui, cette règle du but à l’extérieur aura procuré de belles émotions et quelques grands moments dans l’histoire récente de ce sport : la remontada du Barça contre le PSG, l’épopée de Monaco en 2004, la folie de Manchester City-Tottenham en 2019, puis celle d’Ajax-Tottenham au tour suivant, entre autres. Mais les émotions ne disparaîtront, elles seront différentes. Puis au fond, qui souhaite voir Liverpool éliminer le RB Leipzig grâce à un but marqué à… Budapest ?
Par Clément Gavard