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Finale au Stade de France : UEFA responsable, tous complices
La finale de la Ligue des champions le 28 mai dernier au Stade de France, entre le Real et Liverpool, avait tourné au fiasco. Le pire – des morts – avait été évité de peu. Un rapport indépendant vient d’en dresser un terrible diagnostic, où aucune des parties concernées – UEFA, FFF, État français, police, etc. – ne peut se défausser.
Le touffu rapport de 151 pages, dépiauté par Le Monde, contient tellement d’informations et de critiques qu’il serait difficile de les résumer en quelques lignes. Par contre, à travers l’exemple dramatique de la dernière finale de Ligue des champions, il éclaire sur les dysfonctionnements de fond, notamment de la part de l’UEFA ou des forces de l’ordre en France, dans leur gestion du public des manifestations sportives. Rédigé par un « panel indépendant » (juristes, universitaires et représentants des associations de supporters), présidé par le député portugais Tiago Brandão Rodrigues et financé par l’UEFA elle-même, cet impressionnant travail enfonce davantage le clou après la commission d’enquête parlementaire du Sénat. Pour rappel, l’image catastrophique pour la France de ce lamentable échec n’était pas pour rien dans l’éloignement de l’ancien préfet de police de Paris Didier Lallement, qui semblait pourtant inamovible, devenu depuis Secrétaire général de la mer.
Les leçons d’un grand bazar
Première leçon, et non des moindres : l’UEFA représente aux yeux des rédacteurs le principal fautif, et ce, dès la décision hâtive et sous pression politique de déplacer ce match au Stade de France, après l’avoir retiré à Saint-Pétersbourg. Une responsabilité logique au regard du poids qu’elle pèse aujourd’hui et notamment face à des États auxquels elle impose souvent ses conditions, notamment fiscales. De la sorte, « en tant que propriétaire de l’événement, (l’UEFA) porte la responsabilité principale des échecs qui ont failli conduire au désastre ». En particulier parce qu’elle « dispose d’un soft power considérable pour inciter les autorités de l’État à s’engager pleinement dans son projet et à se conformer à leurs obligations. (…) Lors de la finale de la Ligue des champions 2022, l’UEFA n’a fait ni l’un ni l’autre. » Des enseignements qui ne sont pas sans interpeller le comportement de la FIFA lors de la dernière Coupe du monde au Qatar.
Autre versant, lui aussi fortement argumenté et étayé par de nombreux témoignages, la gestion du public par les autorités françaises et les forces de police. Une réflexion qui peut également s’étendre au cas ordinaire de la Ligue 1, par exemple autour du déplacement, de plus en plus rare, des supporters extérieurs. Le rapport décrit des responsables français, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin en tête, obsédés par une fantomatique « menace hooligan » au détriment de la sécurité de l’ensemble du public. La communication immédiate de crise qui faisait reposer la culpabilité sur les fans des Reds, avec par exemple des chiffres farfelus de faux billets, en forme une illustration criante. En conséquence, les supporters de Liverpool se sont retrouvés longtemps bloqués et agglutinés, en sortant du RER D, voie d’acheminement choisie en raison d’une grève, sur l’avenue du Président-Wilson, sous la bretelle de l’autoroute A86. L’écrasement massif et son cortège de morts – le lancinant souvenir d’Hillsborough – n’ont été évités de peu que grâce au sang froid des supporters eux-mêmes.
D’autre part, les forces de l’ordre ont brillé par leur absence quand, côté nord du SDF, les agressions par des bandes ou des petits groupes de délinquants se sont multipliées. Lorsque des personnes ont massivement essayé d’enjamber les grilles ou forcer l’entrée de la porte Z, la seule réaction consista en un usage généralisé et indistinct des lacrymogènes, dans le seul but, non pas de protéger le public, mais d’assurer la sécurité de l’enceinte et des policiers déployés. Le sentiment d’abandon des spectateurs face à la violence des vols en réunion sur le parvis, après avoir été traité comme des dangers potentiels sans raison, va continuer de longues heures. Les rares téméraires qui demandent secours auprès des CRS ou des policiers se retrouvent aspergés de gaz au poivre – « des armes qui n’ont pas leur place dans un festival de football ». Les habitués des manifestations dans l’Hexagone – le souvenir de la répression tous azimuts des gilets jaunes – ne seront en revanche guère surpris par ces quelques récits édifiants. L’impression restant que c’est bel et bien le self control des supporters des deux camps qui a évité un drame qui semblait inexorable… Si l’UEFA a expliqué au Monde qu’elle « s’engage à mettre en place les recommandations clés » du rapport pour « améliorer la sécurité des supporters lors des événements futurs », on attend une prise de parole de la part du ministère de l’Intérieur et du gouvernement français. Il est vrai qu’on ne peut changer une culture de maintien de l’ordre sans prendre conscience de son inefficacité.
Par Nicolas Kssis-Martov