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Filip Kostić, c’est caustique
Cerveau et moteur du jeu de l’Eintracht Francfort depuis maintes saisons, le très athlétique Filip Kostić est à 90 minutes de connaître à 29 ans l’apogée de sa carrière en club, en cas de triomphe des Adler en finale de la Ligue Europa, face aux Rangers. Une carrière aux accents teutoniques, pour un talisman discret, un aigle parmi les aigles, à l’altruisme hors sol.
« Si vous dormez sur les roses pendant votre jeunesse, vous dormirez sur les orties quand vous serez vieux », stipule un proverbe serbe. Ne jamais regarder en arrière, ne jamais se contenter de ses maigres acquis. Filip Kostić l’a pris au mot, pour l’appliquer à sa carrière. Il a également pris son temps, poli sa pierre comme un damné avant qu’elle ne devienne saphir. Mais sans perdre de vue qu’un jour, son heure viendra. Avant de disputer le Mondial au Qatar en novembre prochain avec les enthousiasmants Aigles blancs de maître « Piksi » Stojković, il a l’opportunité face aux Rangers d’enfin monopoliser la lumière, pour noyer cette candide interrogation : mais que fait encore Filip Kostić à Francfort, alors qu’Ante Rebić, et même Luka Jović ont pu piquer une tête à la table des grands ?
À canon scié
Né à Kragujevac, centre industriel réputé pour sa production d’armements, les fameux pistolets et fusils Zastava, c’est tout naturellement que Filip Kostić est progressivement devenu un gros calibre. N’en déplaise à la première page des magazines, trustée par Nemanja Radonjić ou le dingo Aleksandar Mitrović, Kostić s’est lui donné les moyens de ses ambitions, pour ne pas briller par intermittence. Passé pro à tout juste 17 ans en 2010, à une époque où c’était encore passé de mode de crever l’écran sans avoir le droit de vote, il dispute deux saisons pleines avec le Radnički ( « Les Ouvriers » en VO), dont une dans l’élite du football serbe. Naturellement repéré par l’Étoile rouge, considéré comme un wonderkid par Tottenham ou Anderlecht, il se sert finalement de l’Eredivisie comme tremplin. Direction Groningen, premier club d’Arjen Robben et Virgil van Dijk, pour une post-formation aux petits oignons, dans un championnat intermédiaire.
Bien lui en a pris : au lieu de finir noyé dans un effectif surpeuplé de Premier League, l’ailier gauche bénéficie d’un temps d’adaptation à rallonge, avant de se montrer pleinement décisif au cours de la saison 2013-2014. Une quarantaine d’apparitions en comptant les matchs de Coupe, 11 pions en championnat, juste derrière un certain Memphis Depay, et à cinq longueurs seulement de son compatriote Dušan Tadić, tout aussi à cheval que lui sur l’idée de se bonifier avec l’âge. Groningen se qualifie pour les tours préliminaires de la C3, et l’élimination face à Aberdeen tout juste digérée, Filip Kostić prend déjà son envol. Et quoi de mieux que la Bundesliga pour coller à son style infatigable, pousser sa versatilité vers une forme de perfection ? À Stuttgart comme à Hambourg, le Serbe laisse des souvenirs en pagaille. Même s’il connaît deux relégations, avec les Souabes puis le Dinosaure de BuLi, il ne vit pas un match au purgatoire. Avec ses 128 rencontres disputées en quatre ans (pour 17 passes et 20 pions), sa fiabilité et ses qualités d’athlète polymorphe ne font plus de doute. La palette technique du gaucher est sublime, et se marie au large entre sa contribution offensive (adroit, altruiste, toujours au service du collectif, penchant développé pour le spectacle) et celle défensive (pressing haut, jamais sur les rotules).
Maître des horloges
Mais c’est à Francfort-sur-le-Main, capitale économique de la République fédérale allemande, que Filip Kostić devient la plaque tournante, le maître des horloges, la condition sine qua non. Un temps prêté chez les Adler, il lui suffit d’un seul exercice pour passer dans une autre dimension : sous la coupe d’Adi Hütter, le SGE atteint les demi-finales (déjà) de la Ligue Europa, en 2019. Son trio avec Sébastien Haller et Luka Jović brille de mille feux, mais il est le seul à vraiment s’inscrire dans la durée dans la Hesse, en tant que joueur de flanc, dans un rôle à mi-chemin entre piston et ailier, à base de percussion, de centres au cordeau, et de repli de tous les instants. Typiquement, en 2020-2021, 37% des attaques de l’Eintracht, soit la majorité, venaient de son côté, et lui était naturellement le joueur le plus recherché par ses partenaires (à hauteur de 17%). Tendance initiée par Hütter et perpétuée par Oliver Glasner, avec un schéma simple : en phase offensive, faire glisser Evan N’Dicka (le défenseur central gauche au sein du 3-4-2-1) vers la ligne de touche, pour couvrir le côté gauche et laisser tout le loisir à Kostić de verticaliser, déborder, créer des actions dangereuses à partir d’un seul ballon en profondeur sur son aile.
Alors que l’Eintracht traînait son spleen en Bundesliga jusqu’à cette onzième place finale, le Serbe a encore fait ses stats (4 caramels et surtout 9 caviars). Mais c’est la fièvre européenne et la perspective d’une finale, enfin, qui ont marqué les rushs du technicien de Kragujevac, proche de son trentième printemps. Actuel meilleur passeur de la Ligue Europa (5 passes), il est également devenu le centreur le plus létal des cinq grands championnats, et le septième joueur en matière d’expected assists en Europe. Oui, Thomas Müller a trouvé son maître, et son duel d’antistars avec James Tavernier s’annonce épique, crucial pour faire pencher la C3 vers l’Allemagne ou l’Écosse. Il y a eu le match hors du temps de Dušan Tadić à Madrid, celui de Filip Kostić à Barcelone, où l’Eintracht a survolé les débats grâce à son homme à tout faire et son 100% de réussite (deux pions, une offrande). Place à un crochet par la torride Andalousie, pour aller chercher de l’argenterie et danser le tango comme Milica Pavlović.
Par Alexandre Lazar