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FIFA : Paris vaut bien une exemption fiscale
Le projet de loi des finances 2024 cache un secret un peu honteux. Le gouvernement y a intégré, via un amendement de sa majorité, un joli cadeau fiscal envers les fédérations sportives internationales, dont la « pauvre » FIFA. À chacun sa conception de l’intérêt général, semble-t-il...
L’opération a été menée au départ en toute discrétion, avant d’être révélée par Les Échos : une ébauche de régime fiscal en faveur des fédérations sportives internationales avait été inscrite dans le brouillon du budget de l’État. Seul le Conseil d’État, guère soupçonnable d’être un repère de dangereux gauchistes, avait retourné un avis consultatif défavorable pour « rupture de l’égalité devant l’impôt ». Il en fallait toutefois davantage pour décourager les amoureux du ballon rond et des doux yeux de Gianni Infantino. Car la justification première de cet étrange cadeau de fin d’année serait, selon un porte-parole de Matignon cité par Libération, « d’être attractif pour toutes les fédérations sportives. Si la FIFA vient, c’est génial. » Notre parlement a d’ailleurs déjà adopté toute une série d’exemptions et de niches fiscales pour permettre l’accueil des grandes compétitions à venir (Coupe du monde de rugby, JOP de Paris 2024…). Des dérogations exigées par les grandes puissances du sport mondial comme le CIO. Les actuelles enquêtes du Parquet national financier (PNF) autour de l’attribution de divers contrats des Jeux de Paris illustrent pourtant à quel point ce petit monde a depuis longtemps d’autres ambitions que de rendre le monde plus beau à travers les belles valeurs de l’olympisme.
Cette fois, il s’agit de séduire les grandes puissances du sport pour que la Ville Lumière devienne une sorte de hub géant pour le siège des fédérations internationales les plus prestigieuses. Voilà ce qui demeure de la grandeur de la France, du moins telle qu’on se la représente à l’Élysée. Les députés de la majorité présidentielle (Renaissance, MoDem et Horizons) ont dès lors été mis à contribution et ils ont déposé docilement, le 18 octobre, un amendement « garantissant un cadre fiscal adapté et pérenne pour leurs activités de gouvernance du sport et de promotion de la pratique sportive, qui sont exercées hors du champ concurrentiel ou marchand ». Pour faire court, il s’agit d’une exonération de l’impôt sur les sociétés, de cotisations foncières et sur la valeur ajoutée des entreprises. De même, les salariés de ces organisations ne paieront pas d’impôts sur le revenu pendant les cinq premières années d’installation chez nous (pour mémoire, Gianni Infantino a bénéficié en 2022 d’une rémunération annuelle de 3,8 millions d’euros).
À genoux devant les grandes instances
Évidemment, si tous les sports sont potentiellement concernés, le football apparaît la raison principale ou la motivation essentielle de cet arrangement avec les exigences de réduction du déficit budgétaire. La FIFA a déjà ouvert une succursale parisienne depuis juin 2021, à l’Hôtel de la Marine, place de la Concorde, disposant de larges avantages fiscaux (un de ses dirigeants aujourd’hui n’est autre que Noël Le Graët au passage). Ce type de génuflexion devant les grandes instances sportives est malheureusement devenu quasiment une habitude, et s’avère révélateur de l’affaiblissement des États à l’échelle mondiale. La République française ne cesse donc de reculer, avec le consentement de ses gouvernements successifs, devant les exigences de plus en plus indécentes de la FIFA. En raison cette fois du recours au 49.3, cette dernière s’en sort toujours sans subir ni examen ni débat contradictoire devant la représentation nationale. Il n’aurait pourtant pas été inutile que nos élus débattent vraiment afin de se prononcer concernant l’intérêt supérieur d’une telle gentillesse pour la multinationale du ballon rond.
Au lieu de ça, la FIFA se pare sans honte du statut d’organisation à but non lucratif, malgré un chiffre d’affaires de 6,7 milliards d’euros entre 2019-2022 (et 4 milliards de réserve en caisses). Elle s’accommode parfaitement en Suisse d’une fiscalité similaire à celle d’une association d’aide aux personnes âgées, et n’a, généreusement, payé que 23 millions de dollars d’impôts l’an dernier. Gianni Infantino a clairement exigé du président de la République d’être traité tout aussi bien, sinon mieux. Inflexible devant les retraités qui ont manifesté dans la rue, Emmanuel Macron n’a cette fois écouté que son cœur, et son rêve d’enfant que la multinationale du ballon rond revienne à Paris, là où elle a été fondée en 1904. La priorité nationale, ou tout simplement du foot national, était-elle de tout céder, tout accepter, tout avaler comme humiliation, dans le seul but que le code postal du siège de la FIFA affiche 75 ?
Par Nicolas Kssis-Martov