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Fichage ethnique : la couleur des châtiments

Par Mathieu Rollinger, avec Maxime Brigand
5 minutes
Fichage ethnique : la couleur des châtiments

Épinglées par les Football Leaks pour avoir procédé entre 2013 et 2018 à un fichage ethnique, les pratiques du Paris Saint-Germain posent une nouvelle fois la question du racisme dans le processus de détection et de formation des jeunes footballeurs. À moins que cela ne soulève un mal sociétal encore plus profond que cela : la banalisation de ce genre de discriminations.

Soulever les tapis et remuer toute la poussière qui s’y est accumulée pendant des années est le propre de ces enquêtes. Avec les révélations réalisées par Mediapart, Envoyé Spécial et le consortium EIC, le PSG était jusqu’ici confronté à des critiques et des accusations qu’il avait déjà l’habitude d’entendre et de traiter. Se justifier sur du dopage financier, des contrats douteux avec ses stars ou les autres magouilles économico-sportives avait presque des airs de routine. Mais en fin de semaine, ce sont d’autres déviances dont il a dû répondre. Quelque chose de plus glissant encore. Dans l’œil du cyclone : des fiches comportant un critère d’origine ethnique pour évaluer les jeunes talents supervisés, mises en place par la cellule de recrutement chargée du secteur hors Île-de-France, et des propos de son responsable, Marc Westerloppe, au moment d’une discussion sur la mixité dans les équipes jeunes.

Le racisme se cache dans les nuances

Le PSG a juré que, s’il avait géré en interne ces dérapages verbaux après la plainte de certains salariés, il apprenait la plupart de ces allégations concernant ce système de fichage. Une simple malveillance en somme. Dans un communiqué, le club a dénoncé une « initiative personnelle du responsable de ce département » , alors que Jean-Claude Blanc (directeur général délégué du PSG) assurait ce vendredi dans les colonnes de L’Équipe qu’on ne pouvait pas faire au PSG le procès d’être « débile et discriminant » . Pour beaucoup, le simple fait de voir un métissage social, culturel, religieux et ethnique dans ses équipes jeunes et professionnelles suffirait à dédouaner le club de la capitale de toute pratique raciste et rassurer certains, comme Cédric Kanté. « Je suis surpris oui, évidemment, surtout quand on connaît la structure des centres de formation, où les minorités sont quand même représentées, même chez les éducateurs, réagit l’ancien Strasbourgeois, sensible à ces questions. Mais je n’ai pas l’impression qu’il y ait eu de vraies conséquences, puisque quand on voit l’effectif de la réserve du PSG, de l’équipe de France, la mixité existe : le foot est presque un symbole de la mixité même aujourd’hui. »

Tous les regards se tournent donc vers l’ancien salarié du PSG qui a depuis filé à Rennes avec Olivier Létang. Mais même s’il aurait refoulé Yann Gboho pour ses origines, comment accuser Marc Westerloppe d’être raciste, alors qu’il a notamment révélé Didier Drogba, Gaël Kakuta, Kylian Mbappé et bien d’autres grands footballeurs de couleur ? Sauf que l’argument du « j’ai un copain noir » ne tient pas. « M. Westerloppe a très bien pu en faire émerger quelques-uns, s’il en a mis un de côté pour ces origines, cela suffit pour être accusé de racisme, assure Me Mario Stasi, président de la LICRA. On a le droit de penser ce qu’on veut. On a le droit d’avoir les pensées les plus abominables. En revanche, on n’a pas le droit de les exprimer quand elles sont illégales. » Ce qui pose la seule question qui tienne sur ce sujet : à partir de quand peut-on parler de racisme ? « À partir du moment où vous distinguez quelqu’un en fonction de sa couleur de peau, sa race, ou son ethnie, vous êtes coupable de discriminations raciales, résume Me Stasi. Face à ça, il y a l’universalisme : « je me fous de savoir la couleur du jeune sportif, la seule chose qui compte, ce sont ses qualités sportives ». » Marc Westerloppe avait tout le loisir de repousser la candidature de Gboho (niveau, comportement, besoins sportifs, etc.), mais invoquer un critère ethnique suffit donc pour le compromettre. Qu’il soit ouvertement raciste ou non en dehors de ce cas. Mais le PSG dans tout ça ?

On s’en fiche ?

En 2011, Mediapart avait révélé l’affaire des quotas au sein des équipes jeunes de la Fédération française de football. Des révélations qui avaient éraflé toute la politique de formation des jeunes en France. Mais là où les quotas impliquaient un système et une ligne sportive — où les responsables voulaient privilégier des profils des blancs « intelligents » au détriment des noirs « grands, puissants, costauds » —, difficile d’imputer au PSG les mêmes volontés. Pour prouver sa bonne foi, Paris s’est engagé à passer un coup de balai devant sa porte. Des mesures ont été prises en interne — mettre en place « une méthodologie de recrutement contrôlée » , « un code de conduite » et « une procédure d’alerte éthique » , ainsi que promouvoir « la culture éthique auprès de l’ensemble des collaborateurs du club » . Le parquet a été saisi et des enquêtes sont encore à mener pour déterminer le degré de responsabilité du club.

Mais le cas de Yann Ghobo est surtout révélateur d’un malaise plus large. « Cette affaire est un reflet de ce qu’il se passe dans la société française : une société qui n’est pas encore prête à assumer une partie de sa population, diagnostique Cédric Kanté. Le problème, c’est le principe dans cette affaire, qui est assez curieux d’ailleurs, puisqu’il colle des étiquettes aux joueurs de couleur. On continue donc à lier la qualité d’un joueur à sa couleur de peau, ce qui est une aberration. C’est comme si on classait les soldats en fonction de leur couleur de peau, c’est presque un réflexe post-colonialiste. Après, le foot professionnel et les effectifs des centres de formation montrent bien que personne n’est favorisé en France dans le foot. C’est juste un nouveau constat des problèmes de notre société et un clignotant qu’il faut analyser, notamment pour savoir si un tel système peut avoir été généralisé. » Et à ce moment-là, ce n’est pas uniquement à Marc Westerloppe ou au PSG de porter le chapeau.

Dans cet article :
« Waldemar Kita tue la magie de la Coupe de France »
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Par Mathieu Rollinger, avec Maxime Brigand

Propos de Cédric Kanté et Mario Stasi recueillis par MB et MR

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