- Centenaire de la Fédération française de foot
FFF, seule contre tous
Le 7 avril prochain, la FFF sera centenaire. Un anniversaire qui marque son importance et sa pérennité. Et si elle n'a pas représenté le début du foot en France, cette naissance fut le point de départ du règne du ballon rond dans l'Hexagone.
« C’est l’aboutissement et la consécration du vœu unanime des soccers, la certitude que notre sport si populaire va maintenant s’imposer et devenir notre sport national. » Henri Delaunay, premier vice-président (Jules Rimet en est alors le boss) de la Fédération de football association (à cette époque, le rugby est considéré comme un football), n’est pas modeste lorsqu’il annonce devant la presse la création de la nouvelle organisation le 7 avril 1919. Il s’agit effectivement de la touche finale d’un long processus, au cours duquel les défenseurs de « l’association » vont progressivement s’émanciper de la tutelle des grandes unions omnisports.
On l’a un peu oublié, mais les premiers pas du sport chez nous – fin XIXe siècle, début XXeun certain Charles Simon commence à voire plus grand et se lasse des querelles entre les divers courants rivaux autour de considérations politiques.
Le foot contre l’Olympisme
D’autant plus qu’en face, à l’USFSA – où s’est pourtant déroulé le premier championnat en 1894 –, on traite avec condescendance une pratique perçue comme trop vulgaire pour les grandes aspirations du renouveau de l’Olympisme antique (notamment effrayé par le mauvais exemple du professionnalisme en Angleterre). Il faut dire qu’étrangement, quand de nombreuses pratiques peinent à dépasser leur socle bourgeois initial, le foot débarque vite dans la rue. Comme le constate en janvier 1903 un journaliste de L’Auto (ancêtre de L’Équipe), qui observe avec étonnement de modestes travailleurs s’y adonner dans les jardins du Palais-Royal.
Une évolution qui permet donc au foot de se sentir « populaire » en 1919, quand d’autres ne parlent encore que de valeurs et d’éthique. De là date la fossé entre le foot et l’Olympisme (pour rappel, la Coupe du monde a été lancée pour éviter que le tournoi olympique reste le tournoi international majeur). On comprend mieux, un siècle plus tard, les propos de Noël Le Graët au sujet de la candidature de Paris pour 2024 : « Les JO, je n’en ai rien à foutre. »
Le foot dans une seule Fédération
Bref : si on excepte les footeux socialistes réunis autour d’Abraham Henri Kleynhoff (premier journaliste sportif de L’Humanité) pour des raisons idéologiques évidentes, un Comité français interfédéral (CFI) rassemble avant la Première Guerre mondiale la plupart des joueurs malgré la valse hésitation et la résistance de l’USFSA. C’est donc le CFI qui lance en plein conflit la Coupe de France, dont la finale se déroule le 5 mai 1918 (l’Olympique Pantin domina le FC Lyon 3-0).
Paradoxalement, 14-18 a permis de diffuser davantage la passion du foot, que ce soit avec l’envoi de milliers de ballons pour occuper les poilus dans les tranchées ou l’exemple donné par les centaines de milliers de Tommies anglais présents sur le front. La messe est dite. Et malgré un dernier vote négatif de l’USFS (dont les jours sont comptés), la FFFA voit presque naturellement le jour une fois la paix signée. Une aubaine dont se félicite par exemple la revueLa vie au grand airdans son édition du 15 mai 1919, se réjouissant que « la disparition, du fait de la Fédération unique, des luttes inter-fédérales va décupler l’intérêt et le succès de cette belle épreuve de la Coupe de France » .
Les promesses tenues en 1998
De fait, la FFFA va dépouiller les diverses familles du foot (qui malgré tout continueront d’exister, voire même de rebondir ces derniers temps avec la diversification du foot : futsal, foot à sept…). Y compris chez les ouvriers. Ce dont se plaint Jules Morant, secrétaire régional de la FST (Fédération sportive du travail) qui écrit le 4 décembre 1922 au « camarade Poncet » , maire de Montreuil, pour dénoncer l’attitude du Club athlétique de sa ville qui vient de rejoindre la FFFA en prétextant l’absence « d’équipe capable de donner la réplique » . Même les footballeurs de la Jeanne d’Arc de Drancy, bastion des patrons en banlieue rouge, finiront en 1979 par changer de camp pour évoluer aujourd’hui en National. C’est donc le foot qui l’emporte sur l’église, et non les « cléricaux » qui mettent « tranquillement la main basse sur le football association » .
La FFF commence alors sa longue marche. Elle va s’imposer, en nombre de licenciés, comme le premier sport collectif dans la patrie de Kopa et Platini. Pour ensuite franchir le Rubicon du professionnalisme en 1932, et résister à la haine féroce de Vichy contre ce sport d’ouvriers et de « métèques » . Et enfin remporter la grande bataille de l’hégémonie culturelle et politique en devenant, comme promis en 1919, bien plus qu’un sport en 1998.
Par Nicolas Kssis-Martov