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Non, Le Graët ne regrette rien
Dans la foulée du classement sans suite de la plainte contre lui pour harcèlement moral et sexuel, Noël Le Graët a accordé des entretiens à L’Équipe et au Monde. Une belle occasion pour l’ancien président de la FFF de régler ses comptes. Et de prouver qu’il n’a toujours rien compris à la séquence qui a conduit à sa démission en février 2023.
« J’ai vécu un cauchemar, mais le fait d’être blanchi dans cette affaire me fait du bien, même si j’ai un sentiment de colère et de soulagement. » Noël Le Graët savoure ce qu’il considère comme une victoire. Sur le plan judiciaire, il se sent légitimement triomphant, après la fin de la procédure le visant pour harcèlement moral et sexuel, « aucune infraction n’apparaissant suffisamment caractérisée ». Il peut même en sortir comme le grand vainqueur. D’abord devant le tribunal administratif de Paris, puisque ses conseils y demandent l’annulation du rapport de l’inspection générale du ministère des Sports « pour violation du principe d’impartialité et d’indépendance par interférence politique ». Une décision des juges en ce sens effacerait le versant « interne » de l’affaire. Elle constituerait plus largement un affaiblissement du pouvoir de régulation et contrôle de l’État sur les fédérations et une sacrée jurisprudence d’impunité pour les présidents qui s’y font élire en ce moment.
Ensuite, l’ancienne ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra se défendra les 3 et 4 décembre devant la Cour de justice de la République (CJR) pour diffamation. Cette dernière paraît encore aujourd’hui, aux yeux de l’ex-maire socialiste de Guingamp, comme la vilaine instigatrice derrière ses malheurs, parfois en collusion avec Florence Hardouin. L’homme entretenait le sentiment, à force d’enchaîner les mandats, de survivre à tous les gouvernements. « Tout est parti du Qatar, où ça n’a pas été top avec Madame la Ministre, je ne sais pas si elle mérite que je l’appelle comme cela, tacle-t-il dans L’Équipe. Je n’ai pas toujours été très aimable avec Oudéa-Castéra, qui ne se conduisait pas comme une ministre. Je lui ai dit vertement. » Désormais, il dresse son bilan à l’aune de son petit cas personnel et s’amuse de son passage éclair à l’Éducation nationale, preuve qu’elle n’était qu’une erreur de casting. Il avait seulement sous-estimé la proximité de l’ancienne DG de la FFT avec le président de la République lorsqu’il s’était plaint de son attitude auprès de Jupiter.
Le patron distribue les mauvais points
Noël Le Graët ne digère guère le manque de reconnaissance d’un petit monde qui, selon lui, lui doit tout. À commencer par ceux qui l’ont lâché, sous les applaudissements malgré tout, au CA de la FFF, et bien sûr l’ex-directrice générale Florence Hardouin : « Elle m’a trahi plusieurs fois. J’étais fâché contre elle bien avant le Qatar car elle disait aux jeunes cadres de la FFF que je n’étais plus dans le coup, mais j’avais pardonné. Je l’ai formée complètement. C’est une déception immense… »
Il continue toujours de se positionner en faiseur de roi, taclant son successeur Philippe Diallo qui exercerait dans l’ombre d’un véritable tuteur. « Je ne vois pas Aulas numéro 2 de Diallo. Ils vont peut-être changer d’ordre… » Un second couteau monté en grade à la suite de sa chute et donc également fautif de lèse-majesté : « Il est viré du syndicat UCPF, ex-Foot Unis, j’ai une place de libre, je me dis qu’il connaît le foot et le nomme trésorier. Avec le départ de Brigitte Henriques au CNOSF, je le promeus vice-président. J’aurais mieux fait de nommer une autre femme. » Il ne cache pas sa préférence lors de l’élection à venir pour la liste de son ami Pierre Samsonoff : « Je le soutiendrai. Il va faire une bonne liste, il connaît bien le foot amateur. Il est sérieux, intelligent et cultivé, ce n’est pas un farfelu. »
Bref, Noël Le Graët continue de résumer son départ, certes largement le fruit d’un contexte et de l’abandon de certains soutiens autrefois aveugles, à une péripétie de cour entre le ministère et les cercles dirigeants de la fédération. En se contentant de se situer uniquement sur le terrain judiciaire, il passe sous silence certaines crises qui l’avaient aussi mis sur la sellette. Par exemple, son interview au micro de RMC où il avait envoyé balader virtuellement Zinédine Zidane, ce qui entraîna un tweet vengeur et pour le coup assassin de Kylian Mbappé (sa réponse à ce sujet apparaissant dans la première version de l’interview publiée par le quotidien ce dimanche soir, mais elle n’y était plus ce lundi matin, NDLR). Sans parler de ses propos pour le moins méprisants lors d’une émission consacrée au sort des ouvriers travaillant sur les chantiers au Qatar. Au moins, son camarade Gianni Infantino ne l’a pas lâché et lui a trouvé de quoi s’occuper à la FIFA.
Enfin, n’omettons pas son audition à l’Assemblée nationale devant la commission d’enquête sur les défaillances des fédérations sportives où ce grand dirigeant tout-puissant s’avouait ignorant du plan social, mis en place en 2021 par Florence Hardouin, puisqu’il ne « s’occupai[t] pas directement du personnel. […] Il y avait trop de monde à un moment à la FFF. Je regrette certains départs. » La FFF, une des fédérations les plus riches de l’Hexagone, fut alors l’une des seules à profiter du Covid-19 pour dégraisser, malgré les aides de l’État et ses réserves. Finalement, par ce qui est dit et surtout qui est tu, l’interview de l’ancien boss de l’EAG en raconte beaucoup sur cette fameuse gouvernance du sport que tout le monde critique, mais qui ne risque pas de changer de sitôt.
Par Nicolas Kssis-Martov