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FFF : la gueule de bois
L'Euro devait être la planche de salut du foot français, et donc de la FFF. Après une année de pandémie, des finances dans le rouge et des polémiques en cascade, le terrain et surtout un nouveau trophée allaient conjurer ce contexte déprimant et préparer une saison 2021-2022 sous de meilleurs auspices. Las, les Bleus ont chuté, et désormais la Fédé doit se relever toute seule.
Les mauvais esprits parleraient d’une maigre consolation. Brigitte Henriques, vice-présidente de la FFF et ancienne joueuse, a été élue présidente du CNOSF, cette grande maison du sport français. La première femme à ce poste, et c’est le foot qui l’y porte. Un vrai paradoxe quand on connaît le rapport du ballon rond avec l’olympisme et le taux de féminisation dans les diverses disciplines. Noël Le Graët l’a évidemment félicitée, mais il ne devait pas avoir le cœur à fanfaronner. La veille de cette date pourtant historique, l’équipe de France s’abîmait en Roumanie contre une Nati censée simplement servir de marchepied avant les grandes rencontres à venir. Ce fiasco tombe au plus mal pour l’institution. Si le foot professionnel a souffert dans ses finances de la crise sanitaire, la FFF n’en sort pas indemne non plus et affiche pour la première fois depuis longtemps un déficit (5 millions d’euros pour le moment), même si elle possède des réserves et des ressources non négligeables. Cette sortie de route dès les huitièmes la prive en tout cas des dotations importantes de l’UEFA en cas de parcours, quasiment déjà planifié, jusqu’en finale. En gros, elle recevra un peu plus de 14 millions d’euros (moins les 30% pour les joueurs) au lieu par exemple des 32,5 millions récoltés en 2018.
Patron un jour, patron toujours
Seul coté positif, si l’on ose l’expression, avec cette manne évaporée : la direction de la Fédé va pouvoir encore davantage insister sur la nécessité de son wagon de licenciements (26 pour le moment). Une annonce qui pourtant fait grincer bien des dents dans les bureaux et en visio, surtout auprès de salariés qui connaissent parfaitement l’état des réserves de la FFF. Les pertes de l’Euro permettront de balayer d’un revers de main les solutions alternatives, comme solliciter les Bleus afin qu’ils renoncent à tout ou partie de leurs primes, droits à l’image, etc. Un « sacrifice » qui permettrait de sauver quelques CDI. Le piteux retour précipité des Tricolores fournit même des arguments en ce sens, ils ont beaucoup à se faire pardonner. Sauf que l’on est clairement davantage en train de faire le ménage en interne que de restructurer l’entreprise. En tout cas, nul doute que la souffrance au travail va concurrencer la déprime sportive dans les locaux du boulevard de Grenelle.
Citadelle assiégée
Toutefois, la citadelle du foot ne tremble pas seulement sur ses fondations économiques. Tout d’abord, le foot français, qui semblait guéri après le succès de 2018 de ses démons polémiques, a renoué avec son goût du vice en la matière. En quelques semaines, nous avons pu observer un Noël Le Graët capitulant devant la pression du RN après l’hymne de Youssoupha, des Bleus qui ne s’agenouillent plus pour ne pas « diviser » le pays (et peut-être que ce geste aurait pu ressouder des rangs qui en avaient bien besoin), sans oublier l’histoire Giroud-Mbappé, et bien sûr le hooliganisme familial en tribune VIP entre les firmes Rabiot-Pogba-Mbappé. Bref, loin d’incarner une unité nationale, ce qui se vend le mieux auprès des sponsors, des pouvoirs publics ou de l’opinion, le foot est redevenu la catharsis des doutes culturels (racisme, etc.), et des angoisses intimes de la nation (la mère hystérique, les stars capricieuses…). Même Kylian Mbappé n’échappe plus à l’opprobre pour son arrogance présumée, tandis que Didier Deschamps est soupçonné d’avoir été débordé par son vestiaire.
Dernier point, et non des moindres, le monde amateur a le valium posé sur la table de chevet. Il va falloir remobiliser le pays profond du foot, et ses dizaines de milliers de clubs (AS de quartiers ou FC de village) portés à bout de bras par ses centaines de milliers de bénévoles (dirigeants, entraîneurs, arbitres, etc.). Ils sortent éreintés de la pandémie. Ils ou elles regardent avec fatigue leur hiérarchie ou leurs désinscrits, si prompts à réclamer amendes et cotisations, ruiner encore un peu plus l’image de leur sport. Le triomphe des Bleus auraient dû soigner leur âme et leur redonner la foi, même avec une Fédé défaillante. Au lieu de cela, il ne leur reste que la dure réalité du terrain et de ces familles qui attendent le pass’sport pour pouvoir inscrire leurs kids. Avec la sensation que leur amour pour le jeu n’a pas été payé en retour.
Par Nicolas Kssis-Martov