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« Maradona a succombé à tout : la drogue, les femmes, l’adultère… »
Le D10S est mis à l'honneur dans une pièce de théâtre présentée au festival off d'Avignon à partir de ce vendredi. Qui d'autre que lui ?
La scène prend aux tripes autant qu’elle inspire la pitié. On y voit une gloire déchue, en surpoids, ravagée par la vie, presque perdue, interpréter un hymne – vibrant – à son nom, dans une salle miteuse de Buenos Aires qui chavire et reprend en chœur ce refrain culte, signé Rodrigo Bueno. Le bonhomme qui se tient tant bien que mal face au micro s’appelle Diego Maradona. Et il offre ce jour-là avec « La Mano de Dios », entouré de ses proches, un instant de grâce à la caméra d’Emir Kusturica. La séquence clôturera le documentaire réalisé par le second autour de la vie du premier (Maradona par Kusturica, 2008) et n’a pas pris une ride aujourd’hui. Elle est également le point de départ du projet de Barthélémy Fortier et Hugo Randrianatoavina qui, deux ans et demi après la mort du Pibe de Oro, présentent en ce mois de juillet au festival d’Avignon une pièce de théâtre (Diego) au-dessus de laquelle la figure de l’idole argentine plane tout du long, à défaut d’être à proprement parler incarnée au sein de l’œuvre.
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« Je ne suis pas très footeux de base, Maradona je connaissais vaguement, et quand j’ai vu ce mec à la fin de sa vie, à la fois pathétique et sublime, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à creuser, explique Barthélémy, le metteur en scène, rencontré à l’occasion d’une date parisienne. On a beaucoup parlé de sa vie, ça allait choper des thèmes intéressants, avec une époque qui nous plaisait aussi. Cette vie absolument dingue : il était un modèle pour plein de gens, il y a une religion à son nom… Tout était propice à en faire un personnage de théâtre. » Dans ce « seul en scène sportif » aussi physique qu’intense et surprenant, Hugo Randrianatoavina incarne donc un certain Diego, à qui le football colle au corps. Né le 12 juillet 1998, d’un père fanatique du gaucher, il passe une à une les étapes de sa vie – de ses 6 à ses 20 ans – en étant suivi par le spectre de l’Argentin : son ascension sociale, ses exploits, ses écarts, son iconique tignasse, son chef-d’œuvre du 22 juin 1986 face à l’Angleterre, sa descente aux enfers… « Maradona est un personnage romanesque, qui a eu 1001 vies, on aurait tous pu être comme lui si on avait par exemple connu la notoriété, pose le comédien. Il a succombé à tout : la drogue, les femmes, l’adultère… Parce que c’était une personne théâtrale. »
Mordu de ballon mais aussi théâtreux, Hugo nourrissait cette envie de mélanger les deux mondes. Et qui d’autre que Diego, le footballeur ultime, modèle malgré lui, pour ce faire ? « Maradona avait beaucoup ce côté de la mise en scène, c’est ce qui nous a intéressés, poursuit Barthélémy Fortier. C’était Zidane ou lui. La volonté qu’on se retrouve tous autour d’un inconscient collectif lié au foot. Ça fait partie d’un patrimoine hyper important, hyper culturel : dans le monde entier, tout le monde fait du foot, tout le monde regarde du foot, et tout le monde connaît Maradona. C’est intéressant de les attraper par là. » C’est aussi dans la parole que ce dernier a construit sa mythologie et sa théâtralité, d’après Hugo : « Il avait une vraie verve. Quand il parlait, il avait énormément de répartie, par exemple quand on lui demande s’il a mis la main et qu’il répond “Non, c’est la main de Dieu”. Il a de vraies punchlines, c’est magnifique. C’est l’authenticité de ce personnage qui est aussi très touchante et qui l’a peut-être mené à sa perte. Il était très naturel, très brut. S’il y avait quelque chose qui ne lui plaisait pas, il disait aux journalistes : “Sucez-la moi”. Il a une aura intrigante et mystérieuse. C’est ce qui fait aussi son mythe. Et le fait qu’il soit mort à 60 ans. »
Son décès la soixantaine à peine entamée, le 25 novembre 2020, a ainsi renforcé un peu plus la fascination qu’on lui porte : « Je ne sais pas si on aurait fait cette pièce sur lui s’il était encore en vie, avoue Barthélémy. Tout un pays a été en deuil pendant trois jours, ça montre la projection énorme que l’Argentine avait avec cette personne, qui en plus est critiquable à bien des égards. » C’est finalement comme si l’ex-Napolitain représentait tout simplement la vie, dans sa forme la plus pure. « Parler de Maradona, c’est parler de la masculinité, de ce que c’est de grandir, d’essayer et de se planter, de la vérité, de la chute, continue-t-il. Il est passé par toutes les étapes, mais il n’y a rien de mis en scène : tout est vrai. C’est très impressionnant de voir une idole chuter. Voir ce que ça produit chez les gens, qu’est-ce qu’on fait de l’après-gloire. » Le parcours de la légende, fierté des quartiers pauvres argentins, garde évidemment un côté très inspirant, comme l’affirme Barthélémy : « C’est un des plus beaux modèles de transfuge. » Son acolyte complète : « Il n’avait rien pour réussir : c’était un petit trapu, grosses cuisses, alors qu’à l’époque, le profil des joueurs de football, c’était des Anglais grands, élancés. Il a grandi avec ça, il jouait sur des champs de patate et il a réussi à mettre tout le monde d’accord. Il a forcé son destin. Il a un côté intemporel. » Et sur les planches, il est encore bel et bien vivant.
Carboni sur la touche pour de longues semainesPar Jérémie Baron, à Saint-Mandé
Tous propos recueillis par JB
Diego (1h10), de Barthélémy Fortier avec Hugo Randrianatoavina, du 7 au 25 juillet à 16h45 au théâtre Avignon-Reine Blanche