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Féry-Gourcuff : Un mariage de raison qui capote
Après quatre ans d'une collaboration originale au sein du FC Lorient, Christian Gourcuff et Loïc Féry ne semblent plus sur la même longueur d'onde. Normal, pourrait-on dire, tant rien ne rapproche les deux hommes. Entre le vieux sage passionné (buté ?) et le businessman ambitieux, le divorce est-il inéluctable ?
« Gourcuff, c’est un éducateur, pas un marchand de bestiaux (…), en agissant ainsi, le président Féry s’est découvert. Et finalement, c’est la vraie surprise de cette histoire… » Voilà le témoignage, un brin excessif, d’un supporter lorientais à la sortie de l’entraînement la semaine dernière. L’épisode Lemina a visiblement laissé des traces. Mais derrière ce constat amer se cache aussi le reflet d’une certaine partie de l’opinion vis-à-vis de Loïc Féry, le président du FC Lorient. Ben oui, le bonhomme, avant d’être le patron des Merlus, est aussi et surtout un homme de la finance. Cette finance tant décriée en cette période de profonde crise sociale et économique. « Il s’est découvert » , dit ce supporter. Comprendre, le vrai visage du trader avide d’argent est enfin apparu aux yeux du monde lorsque, le 2 septembre au soir, Loïc Féry donnait son accord à l’OM pour le transfert du jeune espoir Mario Lemina (5 millions d’euros), pur produit de la formation bretonne. Mais celui pour qui la pilule n’est pas, mais alors pas du tout passée, c’est Christian Gourcuff. Le coach breton n’a pas traîné pour dégainer contre son président, fustigeant chez lui une politique en totale contradiction avec son discours ambitieux. « Je suis écœuré de la façon dont ça s’est fait. Il y a une politique avec laquelle je ne suis pas d’accord, c’est mon devoir de m’exprimer. Par rapport à la communication faite au club, je tombe des nues quand on me dit qu’il faut absolument vendre un joueur. Ce transfert est une erreur à tous points de vue : sur le plan sportif, sur le plan de l’image, sur le plan financier, enrage l’entraîneur charismatique des Merlus avant d’en rajouter une couche. Le football autrement (le slogan affiché par le club) a pris un coup. Un club de foot n’est pas qu’une entreprise financière. Il y a autre chose. À Lorient, on affichait la volonté d’être différents. On n’est pas différents. Ce transfert, c’est juste du business. Je veux que les gens sachent que je ne suis pas complice de cette décision. Je me désolidarise complètement. » Difficile d’être plus clair. Le divorce semble consommé entre les deux hommes et il est difficile de savoir de quoi sera fait l’avenir du FCL. Jusque-là pourtant, ce mariage de raison entre un ancien prof de maths au caractère bien trempé et un businessman de la City avait semblé trouver peu à peu son rythme de croisière.
Gagnant-gagnant au FC Lorient
Mais cela a pris du temps. Car les deux hommes n’ont que peu de choses en commun. Christian Gourcuff n’est pas du genre à discourir des heures pour faire passer ses messages et, avec lui, il ne faut pas s’attendre à des trésors de diplomatie ni à de chaleureux échanges. C’est concis et clair. Point. « On n’a pas besoin de beaucoup se parler. On a peu de discussions qui durent plus de deux ou trois minutes. Quelques phrases suffisent » , confirme Arnaud Le Lan, qui l’a côtoyé pendant de nombreuses années. Ce côté un peu bourru (breton ?) et distant, Gourcuff l’assume parfaitement. « Affirmer que je corresponds au cliché du Breton, franchement, ce n’est pas faux. Je me retrouve dans des personnalités comme celles de Kersauson ou de Tabarly. Pour l’approche, on est froids. Quand quelqu’un arrive, on prend des distances. Mais c’est pour mieux aller au fond des choses ensuite » , confie en toute franchise le père la déconne. À l’inverse, Loïc Féry aime parler, échanger, communiquer avec ses semblables. « S’entretenir avec Loïc Féry revient à écouter un hyperactif au débit de parole très rapide » , disait-on de lui dans un article des Échos. Et il n’y a pas que ça. Christian Gourcuff est ancien professeur de mathématiques, toujours soucieux d’inculquer ses valeurs de vie à la jeunesse, tant dans une salle de classe que sur un terrain. Loïc Féry est un professionnel de la finance dont le métier est de faire de l’argent. Quand Gourcuff incarne à merveille l’image d’une certaine simplicité, son autre à la tête du club se trimballe parfois en jet privé pour effectuer le trajet entre son domicile en Angleterre et son lieu de travail à Lorient. Et même si Féry n’aime pas donner une image « bling-bling » de lui-même, lui qui est issu de la classe moyenne et d’une famille plutôt orientée à gauche, le constat est là. Un abîme sépare les deux personnages et tout porte à croire que cette union est vouée à l’échec. Alors, à son arrivée à la tête du FC Lorient, à l’intersaison 2009, Féry a vite compris à qui il avait affaire : « La première fois que je l’ai rencontré en mai, il était pour le moins réservé à mon égard. Il m’a dit qu’il jugerait sur pièce. Puis, j’ai senti qu’il était possible de communiquer avec lui. De toute façon, je préfère quelqu’un de distant comme lui que d’autres qui tapent dans le dos des gens deux heures après les avoir rencontrés. » Une méfiance à l’égard d’un jeune loup extérieur au football confirmée par l’intéressé : « J’étais en recul au début. Ça l’a peut-être même crispé. Il avait le profil trader. J’étais en réserve. » Et puis finalement, les deux hommes ont fini par s’apprivoiser. « Ça n’a jamais été le grand amour, mais ils avaient des relations de travail cordiales » , confirment un journaliste de Ouest-France. Gourcuff, qui était en froid avec l’ancien président Alain Le Roch, a perçu ce changement de direction comme quelque chose de positif dont il fallait profiter. En réalité, les deux hommes ont vite compris l’intérêt qu’ils avaient à collaborer ensemble. Féry avait autant besoin de Gourcuff, garant des valeurs lorientaises et apprécié de tous, que Gourcuff avait besoin de Féry pour lui fournir les moyens de ses ambitions.
Lorsque Féry débarque à Lorient, il lui est indispensable de s’appuyer sur le personnage emblématique du club. Car pour les locaux, voir arriver un jeune golden-boy de la finance en costume trois pièces, qui de surcroît n’a aucun lien avec la Bretagne et n’y passe même pas trois jours par semaine, ça peut effrayer. Oui mais voilà, Féry l’a joué fine. Sa priorité était donc de prolonger Gourcuff, coûte que coûte. Sa chance, surtout, c’est d’avoir su profiter de l’état du club breton. Car si tout allait relativement bien sur le plan sportif, « le reste n’était qu’un champ de ruines » , nous confie la presse locale. Féry a montré patte blanche et a permis à Lorient de se développer, peut-être même au-delà de ce qu’imaginait alors Gourcuff : une pelouse synthétique dont il rêvait tant, des travaux au stade du Moustoir et, surtout, un centre d’entraînement et de formation flambant neuf, digne d’un club professionnel ambitieux. Sur le terrain, le club morbihannais poursuit également sa progression. Christian Gourcuff est parvenu, à travers une philosophie de jeu basée exclusivement sur le collectif, à inscrire durablement son club dans le paysage de la Ligue 1. Au quotidien, les deux hommes travaillent plutôt sereinement. Il faut dire que Loïc Féry n’est pas non plus omniprésent au Moustoir. Dans la semaine, l’ex-trader passe le plus clair de son temps à Londres, à la City pour gérer sa société de gestion de fortune. Les tâches quotidiennes sont déléguées au directeur général, Serge Aréguian, un proche de Gourcuff. Malgré cela, le coach breton n’hésite pas à hausser le ton lorsque cela lui semble indispensable au bien de « l’institution FCL » . Alors, quand il a fallu pousser une gueulante contre Féry la semaine dernière, l’entraîneur des Merlus n’y est pas allé par quatre chemins.
Tweets, embrouilles et gros sous
Si jusque-là tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes entre le prof et le trésorier, le ciel s’est sérieusement assombri en Bretagne ces derniers mois. À l’origine de ce changement d’ambiance, la vente de Mario Lemina à Marseille le 2 septembre dernier. Après avoir déjà cédé M’Vuemba et Romao à l’OM lors des derniers instants du mercato (septembre 2012 et janvier 2013), « le cas Lemina, c’est la goutte d’eau pour Gourcuff » , confirme le journaliste lorientais. « J’ai eu Mario(Lemina) à 18 heures au téléphone et il était hors de question qu’il parte, son avenir était à Lorient. Et à 19 heures, on lui avait retourné la tête et il partait » , a expliqué Christian Gourcuff au micro de RTL. Mais surtout, Christian Gourcuff, formateur reconnu dans le paysage français, ne comprend pas le décalage entre le nouveau discours ambitieux de son président, les valeurs affichées par le club lorientais, et la politique actuelle en matière de transfert. En effet, quel signal le président Féry envoie-t-il aux gamins et aux parents qui vont être amenés à collaborer avec le club ? À l’heure où le tout nouveau centre de vie du FCL, censé impulser une nouvelle étape dans la formation du club, sort de terre, Féry décide de vendre le jeune espoir qui incarnait le mieux la bonne politique de formation des Merlus. De plus, la question de l’opération financière pourrait, elle aussi, laisser perplexe.
Pour le moment, l’aigreur du coach breton semble être partagée par beaucoup. Le maire de Lorient déclarait il y a peu qu’il comprenait « la frustration de Gourcuff » . Du côté des sponsors, le constat est sensiblement le même. « Je comprends la réaction de Gourcuff, il a pris la décision de Féry comme un désaveu. Si désormais, le but du FCL est de faire de l’argent, on rentre dans un autre modèle » , explique ainsi Jean-Pierre Bardon, directeur général de La Trinitaine (principal sponsor maillot). De son côté, Loïc Féry reste persuadé d’avoir agi dans les règles et pour le bien de son club. « Je n’aurais jamais pris la décision de transférer Mario si j’avais le sentiment de mettre en péril le club sportivement. » S’il est trop tôt pour dire lequel des deux a raison, il est certain que les relations entre Féry et Gourcuff viennent d’atteindre un seuil critique. Car si le Breton a la tête dure, son homologue lorrain sait aussi donner des coups. « J’ai été extrêmement choqué par ses propos. Il a porté atteinte à l’institution FC Lorient » , n’hésitait-il pas à déclarer après la sortie médiatique de son coach. Pas sûr que balancer ça dans la gueule de celui qui incarne le club depuis plus de 25 ans n’arrange la situation… D’autant que depuis toujours, Christian Gourcuff n’a jamais vraiment goûté aux méthodes modernes de communication de son président, Twittos devant l’éternel. Finalement, la première rencontre entre les deux hommes depuis le début de l’affaire a eu lieu mercredi dernier à Lorient. Si les choses n’ont pas empiré, chacun reste sur ses positions. Ils se sont simplement accordés sur leur désaccord. Le couple finira bien la saison côte à côte, mais rien ne laisse penser que leur collaboration ira au-delà.
Par Aymeric Le Gall