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Fernando Torres : « L’Atlético, c’est comme la vie »

Propos recueillis par Javier Prieto-Santos
Fernando Torres : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>L&rsquo;Atlético, c&rsquo;est comme la vie<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Il y a cinq ans, SO FOOT interviewait Fernando Torres au centre d'entraînement de Chelsea. El Niño était alors sur le départ et espérait fébrilement une convocation pour le Mondial 2014. À l'époque, un retour à l'Atlético de Madrid était désiré, mais impensable. Après un passage éclair à l'AC Milan, l'Espagnol a réalisé son rêve de revenir dans le club de ses amours. Comme il se l'était juré en quittant Madrid pour Liverpool. À l'heure où l'attaquant espagnol vient de raccrocher les crampons après une dernière expérience au Japon, il est l'heure de se replonger dans cet entretien avec un homme heureux qui racontait son bonheur de rentrer enfin chez lui.

Il y a quelques années, l’Atlético de Madrid a fait une pub ou un garçon demandait à son père pourquoi ils étaient colchoneros. Que vous a dit votre grand-père Eulalio pour vous convaincre de supporter l’Atlético de Madrid ?

Dans ma famille, on n’était pas des footeux. À la maison, personne n’avait d’équipe préférée, parce que ce n’était pas notre truc. La première équipe que j’ai commencé à suivre, c’est le Superdepor. Mon père est galicien, et tous les étés, nous allions passer nos vacances là-bas. À l’époque, la région toute entière vibrait pour le Depor, qui avait failli remporter la Liga à la dernière journée de championnat. Les gens étaient comme des fous avec ça. Moi, tout ce que je savais du football à ce moment-là, c’était ce qu’on me racontait du Depor pendant mes vacances. Je n’aimais pas le football. C’est peut-être pour ça que je ne suis pas devenu fan du Real Madrid… Le football ne m’intéressait pas vraiment à ce moment-là, je n’avais pas d’équipes. J’avais 6 ou 7 ans et je jouais avec un ballon comme n’importe quel gamin de mon âge, mais c’est tout. Je ne regardais pas les matchs à la télévision et je ne connaissais pas non plus le nom des footballeurs qui composaient les équipes. C’est au contact de mon grand-père que tout a changé. Il vivait dans un petit village près de Madrid, et c’était un fanatique de l’Atléti’. Dans son salon, il y avait une assiette décorative gravée de l’écusson de l’Atléti’, et je me souviens qu’il sortait toujours se promener pour écouter les matchs avec sa petite radio. Je le vois encore s’énerver en écoutant les commentaires du match. Quand je lui demandais pourquoi il ne regardait pas les matchs à la télévision plutôt que de les écouter à la radio, il me disait : « Petit, je ne peux pas infliger ça à mes nerfs ! » C’était au-dessus de ses forces : écouter la radio, c’était ce qu’il y avait de moins éprouvant pour lui. Moi, ça m’intriguait de le voir comme ça, je ne comprenais pas vraiment. Du coup, je lui posais un tas de questions sur l’Atlético. Je suis devenu fan de ce club sans même les avoir vus jouer. Quand t’écoutais mon grand-père parler de l’Atléti’, c’était difficile de ne pas adhérer. Il me disait : « L’Atlético, c’est un combat. Peu importe que nous ne soyons pas les meilleurs, le plus important, c’est de lutter pour défendre ses valeurs. » Il avait raison. L’Atlético, ce n’est pas seulement une équipe de football, c’est un sentiment. Une manière d’aborder la vie. Il faut se bagarrer, lutter et faire les choses par soi-même sans attendre l’aide de n’importe qui… J’aimais bien le côté « seul contre tous » . J’ai fini par regarder des matchs, et là, je me suis rendu compte que j’avais choisi d’être pour un club qui ne gagnait pas beaucoup… Je m’en foutais.

Cela correspondait à ce que t’avait raconté ton grand-père ?

Complètement. On perdait, mais ce n’était pas la fin du monde pour autant. Dans la vie, de toute façon, tu perds plus de fois que tu ne gagnes. C’est le cas dans ton travail, en amour, à l’école… La réalité, c’est ça : on passe notre vie à perdre. L’important, c’est de profiter à fond des bons moments. Tu peux perdre, tu peux gagner, mais tu n’as pas le droit de baisser les bras. Il faut toujours se battre. Le plaisir est beaucoup plus important quand tu t’es battu sans relâche pour quelque chose qui paraissait, au début, inaccessible. Bah, l’Atlético, c’est ça. C’est comme la vie.

Gagner, c’est une anomalie ?

C’est rare et surtout très difficile. Il y a beaucoup de chemins qui mènent à la défaite et au moins autant de chemins qui te conduisent à gagner, mais la meilleure des victoires, c’est celle pour laquelle tu t’es bagarré sans trahir tes valeurs personnelles. Gagner, c’est difficile, mais gagner en respectant ses valeurs, ça l’est encore plus.

Être supporter de l’Atlético de Madrid dans une ville où il y a le Real Madrid, ça relève un peu du sadomasochisme, non ?

Dans un certain sens, il faut être un peu rebelle dans l’âme pour supporter l’Atlético, un club qui a souvent été à l’ombre du Real Madrid. Cela ne m’a jamais posé de soucis. J’ai toujours été à contre-courant. À l’école, mes camarades de classe étaient tous pour le Real Madrid. Dans mon quartier, tout le monde était pour le Real Madrid. En ville, pareil…

Il te pointait du doigt en se foutant de ta gueule ?

(Rires.) Non, quand même pas ! Que l’on perde ou que l’on gagne, ça ne changeait rien pour moi. J’ai toujours été fier de porter le maillot de l’Atlético dans la rue. Le rapport de mes camarades avec le Real Madrid était complètement différent. Tu les entendais beaucoup parler quand ils gagnaient, mais quand ils perdaient, bizarrement, personne ne voulait parler de football. C’était le silence absolu.

Quand Xavi parle du Barça, il évoque la formation et la possession de la balle. Quand un Merengue parle du Real Madrid, il parle de prestige, de Décima et de victoires. Quand un joueur parle de l’Atlético, il n’utilise jamais des termes footballistiques. En revanche, il parle beaucoup de sueur, de larmes et de sang… On peut dire que l’Atlético forme des humains et pas des robots ?

Je comprends ce que tu veux dire et, dans un certain sens, tu as raison, mais être de l’Atlético, ça ne me rend pas nécessairement plus humain que les autres. Ce qui façonne les gens, c’est leur entourage. Si j’étais né à Barcelone, je serais sans doute complètement différent de celui que je suis aujourd’hui, mais j’ai grandi en banlieue de Madrid, dans un quartier ouvrier. Tout ce que je vois, c’est qu’il y a des similitudes entre l’Atlético de Madrid et l’environnement dans lequel j’ai grandi. Mes parents, les amis de mes parents, mes voisins… Je les ai tous vus trimer sans relâche et sans jamais se plaindre. Les valeurs de ces gens-là et de l’Atlético sont les mêmes. Tu deviens fan d’une équipe de football parce que tu t’identifies à elle. Ce n’est pas le hasard qui entre en ligne de compte au moment de choisir quelle équipe tu vas supporter. Beaucoup de gens sont du Real Madrid uniquement parce qu’ils ont les meilleurs joueurs. D’autres préfèrent le Barça parce qu’ils gagnent beaucoup de matchs… Mouais, c’est bien. (Il fait la moue) Moi, j’ai pas choisi l’Atlético en prenant en compte ces critères-là. Je suis devenu de l’Atlético, parce que je considère qu’on partage les mêmes valeurs. J’ai aucun mal à y adhérer. J’ai supporté l’Atlético de Madrid, j’ai été formé à l’Atlético de Madrid et j’ai joué pour l’Atlético de Madrid dans une ville qui abrite le Real Madrid… Plus le temps avance et plus je me dis que cette situation est dure et compliquée. Tout joue en notre défaveur.
Partir à l’étranger, c’est la meilleure décision de ma carrière et peut-être même de ma vie

C’est-à-dire ?

Numériquement déjà, on ne peut pas lutter. À Madrid, il y a plus de fans du Real que de l’Atlético. Le Real est plus riche, plus puissant. Il suffit de comparer les droits télé des deux clubs pour se rendre compte que le rapport de force est inégal. L’Atlético est le voisin du club le plus puissant du monde, c’est comme si un véhicule utilitaire devait affronter des Ferrari pour un Grand Prix de Formule 1. Ce serait le même circuit pour tout le monde, mais pas la même mécanique… La richesse de l’Atlético, ce sont ses valeurs. Il ne peut pas rivaliser dans d’autres domaines, et pourtant, ces valeurs lui permettent de réaliser de grandes choses. C’est beau.

Comment tu as fait pour t’épanouir dans un club qui, à ce moment-là, était au bord de la crise de nerfs ?

J’ai eu une progression très linéaire. Paradoxalement, le fait que l’Atlético soit en D2 et vive l’une des périodes les plus sombres de son histoire, ça m’a aidé. Aujourd’hui, ce serait sans doute plus difficile pour moi de débuter aussi jeune dans l’Atlético de Simeone. Mon Atléti était complètement différent : on ne disputait pas la finale de la Champions. Loin de là. Je suis arrivé à un moment où l’Atlético était en deuxième division et avait besoin d’une lueur d’espoir. De quelque chose de différent… D’une certaine manière, j’incarnais ce renouveau. Je venais de fêter mes 17 ans quand j’ai fait mes débuts en pro avec l’Atlético. Cela aurait pu mal se passer, mais mon cas a été plutôt bien géré. J’ai pas eu la sensation de brûler d’étapes, tout s’est passé très naturellement. Combien de joueurs se seraient cassé les dents à ma place ? Un paquet. Il faut laisser les jeunes grandir. Cela ne sert à rien de les griller trop vite. Quand on est jeune, on n’est pas forcément imperméable à la pression.

Toi, tu l’étais ?

Dans mon cas, tout est allé trop vite pour que je me rende compte de ce qui était en train de m’arriver. Deux semaines avant de m’entraîner avec les pros, j’étais en train de disputer l’Euro des moins de 16 ans avec la sélection. À ce moment-là, je ne considérais pas le football comme une profession. Quand je sortais de l’entraînement, je partais au lycée et c’était pas un truc que je prenais à la légère parce que si je n’étais pas bon en cours, je ne jouais pas. Quand j’ai commencé à m’entraîner avec les pros, je pensais que ce serait juste temporaire. Jamais je n’avais imaginé que j’allais rester dans le groupe. La pression, je ne l’ai jamais vraiment ressentie parce que je ne me faisais pas de film dans ma tête. J’ai commencé à en ressentir les effets lorsque j’ai pris conscience que le football allait devenir ma profession. Je ne jouais plus avec mes amis, mais avec des gens qui nourrissaient leurs familles avec le football. Quand tu prends conscience qu’il y a beaucoup d’enjeux économiques, ce n’est plus pareil. En quelques semaines, j’ai découvert des stades de 60 000 personnes, alors que j’avais l’habitude de jouer devant 300 spectateurs. Même si je considérais toujours le football comme un jeu, j’ai assimilé très vite que c’était un jeu sérieux, avec beaucoup d’enjeux et de passion. Une fois que t’as compris ça, tu deviens plus responsable. Et plus mature.

T’es plutôt un joueur de profondeur dans un pays qui prêche la possession de balle. T’es plus grand que l’Espagnol moyen. Quand tu étais jeune, tu ressemblais plus à Van Basten qu’à Alfonso. T’as jamais eu l’impression d’être une sorte d’exception culturelle et que ton départ vers l’Angleterre était inéluctable ?

Je ne correspondais pas au stéréotype du footballeur espagnol, c’est vrai. Si je n’étais pas parti, je n’aurais sûrement pas fait long feu en sélection. Mes caractéristiques, je les ai développées en Angleterre, et cette différence, j’en ai fait profiter l’Espagne. Quand tu assembles quelque chose de différent, ça peut donner d’agréables surprises. Les opposés s’attirent. C’est bon d’avoir des joueurs différents, parce que ça ouvre un éventail de possibilités à une équipe. Quand j’étais petit, les attaquants espagnols étaient des renards des surfaces, généralement très petits, très techniques. Puis Villa est apparu, mais l’évolution des attaquants espagnols s’est poursuivie. Des types comme moi ou Llorente, plus forts et plus corpulents, sont apparus, et on a su faire notre trou en apportant notre petit grain de sable à l’édifice.

Être différent, ça te dérange ?

Non. Être comme je suis, ça m’a aidé. Les entraîneurs en me voyant devaient sûrement être ravis : « Des joueurs comme ça, on n’en a pas, profitons-en ! »

Si tu étais resté en Espagne, tu penses que ton évolution aurait été la même ?

Je ne pense pas. Je n’aurais jamais pu grandir en Espagne comme je l’ai fait en Angleterre. Partir à l’étranger, c’est la meilleure décision que j’ai prise de ma carrière et peut-être même de ma vie.

Comment t’expliques le boom du sport espagnol ces dernières années ?

Depuis quelques années, je trouve que le sport est devenu une affaire sérieuse alors qu’avant, c’était « fais tes devoirs et laisse tomber le football » . Aujourd’hui, les gens considèrent le sport comme un cursus de plus. Il n’est plus snobé, et il y a beaucoup moins d’a priori, parce que les champions qui ont remporté autant de victoires ont démontré qu’ils avaient des valeurs et qu’ils étaient intelligents. Moi, par exemple si je n’avais pas été footballeur, je n’aurais pas autant voyagé, je n’aurais jamais connu autant de cultures, ma vision des choses serait plus réduite. Grâce au football, je suis devenu quelqu’un que je ne serais sans doute jamais devenu.

Tu as connu Ancelotti, Aragonés, Del Bosque, Bianchi, Villas-Boas, Benítez, Mourinho, Di Matteo. Avec toutes ces rencontres, tu comptes faire un livre ou plutôt embrasser une carrière d’entraîneur ?

(Rires.) Le livre, c’est sûr que j’en ferai un. Devenir entraîneur, en revanche, je ne sais pas… Je suis encore loin de me poser cette question. J’ai pas envie encore de visualiser la fin de ma carrière parce que je sais que le jour où je devrai raccrocher les crampons, ça sera dur. Je suis dans le football depuis que j’ai 17 ans et, pendant toutes ces années, je n’ai pas eu un week-end de libre, pas de jour férié, peu de vacances et pourtant j’aime ça, c’est ma routine. Ma vie changera radicalement quand je ne devrais plus aller m’entraîner. Après, je relativise pas mal en me disant que le football n’est pas ma vie, mais plutôt une étape de ma vie. D’ailleurs, quand j’arrêterai de jouer, peut-être que je ferai un truc qui n’aura rien à voir avec un ballon. On verra bien.

T’as bien une idée de ce que tu feras lorsque tu ne seras plus joueur de foot ?

J’irai visiter l’Australie. Je posais beaucoup de questions à Mark Schwarzer sur son pays. Traverser le bush, ça doit être impressionnant, mais il faut du temps. C’est quelque chose que je ne peux pas faire aujourd’hui. J’aime beaucoup les voyages. Cela t’ouvre l’esprit. Tu comprends mieux les choses, les gens. Je suis allé à Paris récemment et on m’a traité super bien. En Espagne, il y a beaucoup de gens qui disent que les Parisiens ne sont pas aimables. Je ne suis pas d’accord. Si tu ne voyages pas, tu ne peux pas te faire ta propre opinion. Si j’étais resté à Madrid toute ma vie, je penserais sûrement que c’est la meilleure ville du monde. Il faut voyager pour comparer. Il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis et qui font attention à ce genre de clichés. Et puis, il y a les types qui sont capables de dire qu’ils se sont trompés : « J’aimais pas les Français avant de venir à Paris, mais maintenant que j’y suis, je les trouve géniaux » . Les Français sont comme ils sont, les Espagnols sont comme ils sont, et c’est la même chose pour les Anglais. Si on était tous semblables, la vie serait vraiment triste.

Retrouvez l’entretien fleuve de Fernando Torres dans le SO FOOT #117

Dans cet article :
Neuf bonbons d'el Niño Fernando Torres dans la légende
Dans cet article :

Propos recueillis par Javier Prieto-Santos

Un dernier Torres et puis s'en va
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