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Fernando Marçal : « Je voulais être Roberto Carlos »
Il y a des signes qui ne trompent pas. Mardi dernier, à quelques jours du départ pour Lisbonne et de ce quart de finale contre Manchester City, ce sont Marçal et Marcelo, les deux défenseurs brésiliens très critiqués cette saison à Lyon mais solides face à la Juve, qui étaient les plus sollicités par les médias au Groupama Training Center. « Pas une revanche », assure Fernando Marçal, qui à 31 ans retrace sa drôle de carrière et s’épanche sur son pays, le Brésil, et sa colonie lyonnaise.
De quel quartier de São Paulo viens-tu ? Je suis né et j’ai grandi à Itaquera, à l’est de la ville, pas loin du nouveau stade de Corinthians, même si moi je supportais Palmeiras. C’était un quartier modeste, familial, de travailleurs. Mon enfance était simple, on jouait au foot, au cerf-volant et aux billes dans la rue. Ma mère faisait des ménages, mon père vendait des œufs. Il continue à le faire, d’ailleurs. À 12, 13 ans, quand j’étais en vacances, je l’accompagnais dans son travail.
C’est lui qui t’a mis au foot ?Oui, il gérait un petit club de quartier, qui s’appelait Vila Nova de Guaianases. On peut dire que je vivais sur le terrain avec mon père. J’étais attaquant, mais chez les jeunes à Corinthians, vers 13 ans, l’entraîneur m’a fait descendre au milieu de terrain, puis au poste d’arrière gauche. Au début, ça ne m’a pas plu, mais je me suis habitué.
Petit, c’est le poste où personne ne veut jouer… Non, personne ! On lui prête peu d’attention, même si à mon époque il y avait Roberto Carlos en sélection. À lui tout seul, il a donné envie à certains gamins de ma génération de jouer à ce poste. Quand on m’a installé à cette position, je voulais être Roberto Carlos, même si je savais que je ne frapperais jamais aussi fort que lui. C’était mon idole. C’est un poste négligé chez les jeunes parce que tout le monde veut jouer devant, dribbler et marquer des buts. Or, le latéral, il dribble et marque très peu. Mais quand on commence à y jouer, on apprécie les spécificités du poste : la dynamique, les courses, les débordements, la participation au jeu.
C’est un poste de plus en plus valorisé dans le football actuel, non ? Oui, parce qu’aujourd’hui, le latéral doit savoir jouer un peu dans toutes les positions. Il aide ses attaquants, mais aussi ses défenseurs centraux. On est plus reconnus qu’avant. Des joueurs comme Marcelo et Dani Alves ont aussi contribué à cela.
Avant d’arriver chez les pros, tu as enchaîné les centres de formation : Portuguesa, Corinthians, Grêmio. Pourquoi tous ces changements ?Portuguesa était un club très reconnu au Brésil, surtout pour son centre de formation et sa capacité à révéler des joueurs. Mais il a commencé à avoir des problèmes financiers, et il a coulé. La catégorie dans laquelle je jouais a disparu du jour au lendemain, donc j’ai fait un test aux Corinthians, où j’ai été pris. Comme le centre d’entraînement du club était dans mon quartier, je ne pouvais pas y être logé. Or, chez moi, ça se passait mal avec ma belle-mère, elle abusait de son autorité, donc des copains du centre m’ont logé dans leur chambre. C’étaient des chambres de quatre et on avait ajouté un matelas au sol, mais le directeur m’a vu et m’a dit que pour des raisons de sécurité je ne pouvais pas rester là. Il m’a finalement trouvé une place dans un petit club partenaire, Primavera de Indaiatuba. J’ai fait un an et un recruteur de Grêmio m’a repéré. J’avais 15 ans, je suis parti à Porto Alegre et j’y suis resté cinq ans. On vivait sous les tribunes du stade Olympique.
Pourquoi n’es-tu pas passé chez les pros à Grêmio ? J’étais en U20, le directeur sportif m’a dit que j’allais signer, puis un nouveau président a été élu et ce directeur est parti. Je suis donc rentré à São Paulo, pour jouer à Guaratingueta, en Serie B du championnat paulista (de l’Etat de São Paulo, N.D.L.R.). On est montés en Serie A, je pensais renouveler mon contrat, mais mon agent m’a dit de ne pas le faire, parce qu’il avait une offre d’un bon club. J’ai dit OK, je suis rentré à Porto Alegre, j’ai attendu une semaine, un mois… Rien. Je n’avais pas de nouvelles. Un coéquipier m’a alors dit qu’un agent pouvait nous envoyer au Portugal, qu’il fallait que j’envoie une vidéo de mes actions. Sauf que je n’en avais pas. J’ai appelé un ami qui était doué en informatique, on a récupéré des vidéos de mes matchs avec les U20 de Grêmio, on a fait un montage pendant toute la nuit et on a envoyé. Deux jours plus tard, l’agent en question m’a dit que c’était bon, que j’allais rejoindre Torreense, en deuxième division portugaise. Quand je suis arrivé là-bas, j’ai appris qu’il s’agissait en fait de la troisième division, mais j’ai dit à ma femme : « C’est bon, on est là, on reste ».
Tu as bien fait : un an et demi plus tard, tu rejoins le CD Nacional, en première division, où tu passes trois saisons et demie et où tu découvres même l’Europa League. C’était comment, la vie, à Madère ?J’ai toujours été très focalisé sur le travail, donc je profitais très peu de l’île. On avait une maison avec vue sur la mer, mais j’allais assez peu à la plage. Je sortais surtout pour aller pêcher, on allait parfois se balader avec ma femme, mais pas beaucoup plus. À l’été 2015, je suis libre et je signe à Benfica, mais je n’y ai jamais joué. Ils m’ont prêté à Gaziantepspor, en Turquie.
Un autre décor…C’était proche de la Syrie, et donc de la guerre. Ma femme était enceinte, donc elle est restée au Portugal et je suis venu tout seul. À la fin des matchs aller, j’ai été élu meilleur arrière gauche du championnat, mais la deuxième phase a été plus dure. Le club ne payait plus les joueurs, donc les joueurs ne s’impliquaient plus vraiment, et on a commencé à enchaîner les défaites, alors qu’on avait une bonne équipe. Heureusement pour moi, Guingamp m’a repéré et j’ai signé en Ligue 1.
Tu savais quoi, de Guingamp, avant de signer ?Rien, mais j’ai appelé Mexer, mon ancien coéquipier à Madère, qui jouait alors à Rennes. Il m’a dit que c’était une petite ville, mais que c’était proche de Saint-Brieuc, une ville un peu plus grande, et que c’était un bon club, très familial. J’avais aussi une offre de Bastia, mais il m’a dit qu’ils étaient un peu fous là-bas (rires).
En Bretagne, on se rappelle aussi de toi pour ce concours de tir à l’arc que tu as gagné lors de la Fête de la soupe de Bédée, en Ille-et-Vilaine. Tu as d’autres talents cachés comme ça ?C’était une pure coïncidence ! C’était un jour de repos, et ma femme avait repéré cette fête, donc on y est allés. Il y avait donc ce concours de tir à l’arc, je les observais, et une femme s’est approchée et m’a demandé si je voulais participer. J’ai dit oui, j’ai mis toutes les flèches et j’ai gagné. Elle m’a demandé comment je m’appelais, j’ai dit « Marçal ». « Et tu fais quoi ? » « Je suis joueur de foot, je joue à Guingamp. » Ils ont pris une photo et le lendemain, toute la presse locale avait repris l’info.
Après trois saisons à l’OL, quel bilan fais-tu de cette période, collectivement et individuellement ?Collectivement, je crois qu’on a obtenu les deux premières saisons le principal objectif du club, qui était de se qualifier pour la Ligue des Champions. Il nous a manqué un trophée, qui nous a échappé de peu contre le PSG il y a deux semaines. Du fait des changements dans le club et de l’arrêt du championnat avec le coronavirus, le bilan de cette saison est globalement négatif, puisqu’on n’est qualifiés pour aucune compétition européenne, même si on a encore une petite chance avec la C1. Disons que ces trois saisons ont été bonnes, mais qu’elles auraient pu être meilleures. Individuellement, j’ai eu des hauts et des bas. J’ai contribué aux bons résultats du club, j’ai été une pièce importante de l’équipe, mais les blessures m’ont aussi fait rater beaucoup de matchs. J’ai aussi eu quelques mauvais moments, des cartons rouges, le but contre mon camp au Parc contre Paris, l’expulsion en demie de la Coupe de France contre le PSG ici au Groupama, que je considère toujours injuste. Tout cela a donné une connotation un peu négative à mes prestations.
Tu as beaucoup été critiqué, comme ton compère Marcelo, mais aujourd’hui vous êtes deux pièces importantes de la défense à trois de Rudi Garcia et les héros de la qualification contre la Juve. C’est une sorte de revanche ?Je ne le prends pas comme ça. Je suis content de pouvoir aider l’équipe, ce qui est passé est derrière nous, le football est comme ça, il y a des jours meilleurs que d’autres, il faut savoir en profiter et bien travailler pour que ces bons moments continuent le plus possible.
Tu parlais de l’impact des changements dans le club l’été dernier. L’arrivée de Juninho a-t-elle suscitée trop d’attente chez les supporters ?Non, le recrutement de Juninho a été très positif pour le club. Avoir quelqu’un comme lui, idole des supporters, qui a l’expérience du club, c’est très important pour l’OL. Avec lui, la soif de remporter un titre a augmenté. On a été tout proches contre Paris, et je suis sûr que ça va bientôt arriver. En revanche, je crois que l’arrivée de Sylvinho a été un peu précoce.
Il n’était pas prêt ?C’est un très bon entraîneur, mais je pense qu’il est arrivé un an trop tôt. Juninho venait d’arriver, même s’il connaissait la maison, tout était nouveau pour lui aussi. Avec un an de rodage en plus, il aurait eu plus de temps et de force pour accompagner et défendre le projet de Sylvinho.
De l’extérieur, on a souvent eu du mal à le comprendre, ce projet. Notamment dans l’utilisation qu’il faisait de vous, les latéraux, qui sembliez bridés dans votre apport offensif. C’était aussi un peu surprenant pour nous. Mais il avait un style à l’italienne, c’est là-bas qu’il s’est formé comme entraîneur. Il croyait en cette école, en ce style de jeu. Je crois qu’il a commencé à changer
progressivement d’idée, mais il n’a pas eu le temps pour aller au bout de ce changement.
Malgré son départ, le club a toujours une forte identité brésilienne. Cela se ressent-il dans le groupe ?On passe beaucoup de temps ensemble, on fait des churrascos chez les uns et les autres, mais on ne reste pas qu’entre nous, on se mélange aussi avec les Français et les autres. On est allés au glacier qu’a ouvert Léo (Dubois) le mois dernier en centre-ville, Jeff (Reine-Adélaïde) a fait un barbecue chez lui récemment. On veille à ne pas créer de « clan brésilien », mais c’est normal qu’avec la langue et la culture communes, on passe plus de moments entre nous. On est par exemple allés chez Bruno (Guimarães) jouer au ping-pong et profiter de la piscine ces jours-ci. Pour quelqu’un comme lui qui vient d’arriver à Lyon, même s’il s’est fait tout de suite une place dans l’équipe grâce à ses excellentes performances, c’est plus facile de pouvoir s’appuyer sur nous pour bien s’intégrer. Ce sont des choses toutes simples, comme dans quel supermarché trouver du feijao (des haricots) ou du Guarana (boisson énergisante), mais qui sont importantes.
Il y a aussi la religion. Beaucoup de joueurs brésiliens, dont toi et la majorité de tes compatriotes à l’OL, sont aujourd’hui évangélistes. Vous pratiquez cela ensemble ?D’une manière générale, nous les Brésiliens sommes assez proches de Dieu et pensons qu’il nous accompagne dans nos vies. Ici à Lyon, chacun le pratique à sa façon. Moi je vais à une église de Chassieu, le pasteur est Brésilien, ses messes sont traduites en français. Marcelo et Rafael vont à une église du centre-ville, près du Hard Rock Café. Thiago Mendes et Jean Lucas vont au Centre d’Accueil Universel (une puissante église évangélique brésilienne présente partout dans le monde, N.D.L.R.). Bruno, lui, est catholique.
Le Brésil est l’un des pays les plus touchés par le coronavirus, avec plus de 100 000 morts. Quel regard portes-tu sur la situation, toi, à distance ?C’est une situation difficile, dans le monde entier. Au Brésil, tout d’abord, c’est un pays très grand et très peuplé, donc c’est normal qu’il y ait un nombre
important de contaminés. Ensuite, je crois que le problème principal, c’est la volonté qu’ont certains de politiser la maladie. Des gouverneurs, des préfets, des sénateurs, le Tribunal suprême fédéral (la plus haute instance du pouvoir judiciaire brésilien, N.D.L.R.) utilisent le coronavirus pour essayer de déstabiliser un gouvernement qui a été légitiment élu par le peuple brésilien. Le gouvernement distribue de l’argent aux différents États pour couvrir les nécessités de la population, pour avoir des meilleurs hôpitaux, etc., mais il est trop déstabilisé par cette politisation du virus par certains. C’est triste, parce que c’est un pays qui a de l’argent, qui pourrait avoir beaucoup moins de morts. D’ailleurs, je pense qu’il y en a bien moins que ce que l’on dit. Certaines personnes sont mortes d’un arrêt cardiaque, ou d’autre chose, mais ont été inscrites comme victimes du coronavirus, pour que l’État concerné touche plus d’argent de la part de l’État fédéral.
Pour revenir au football, après la Juve et Cristiano Ronaldo, tu vas désormais avoir droit à Manchester City et à ton compatriote Gabriel Jesus. Tu as étudié son jeu ?On étudie le jeu de City en général, pas un seul joueur, mais c’est sûr qu’on va devoir être très attentifs. Pas seulement à lui d’ailleurs, mais à Sterling, De Bruyne. Des joueurs qui vont nous poser problème, c’est sûr. Contre la Juve, on a joué d’égal à égal. On avait face à nous Cristiano Ronaldo, le meilleur joueur du monde de ces dernières années, et on l’a battu. Donc on peut affronter n’importe qui. Ce sont des matchs à qualification directe, sur terrain neutre, sans public, donc nos chances de passer sont plus grandes qu’avec le format traditionnel.
Après ce Final 8, le mercato commencera pour de bon. Sais-tu de quoi ton avenir sera fait ?Pour cette saison, je compte bien rester ici à Lyon. Après, on verra. Je n’ai pas particulièrement envie de terminer ma carrière au Brésil. Si je finis ici en Europe, je serai aussi content. En fait, mon idée après ma carrière est de m’installer au Portugal. En revanche, j’aimerais faire au moins une saison dans le championnat brésilien, pour être plus reconnu là-bas, et pour pouvoir dire que j’ai joué dans mon pays. Palmeiras, Grêmio, Flamengo, je n’ai pas de préférence. Les grands clubs, ce n’est pas ce qui manque au Brésil.
Par Léo Ruiz, à Lyon