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Fernando Aristeguieta : « J’ai l’ambition de publier un roman »
El Vikingo, qui a quitté Nantes pour le CD Nacional (Portugal) au mercato hivernal, n’est pas qu’un joueur de football, c’est aussi un fin lettré qui passe beaucoup de temps le nez dans des bouquins. Un homme de goût capable de citer Vargas Llosa ou Javier Cercas et qui prend même le temps d’écrire des nouvelles sur son temps libre et ambitionne une éventuelle carrière d’écrivain quand il en aura fini avec le foot.
Comment est venue l’idée d’écrire une nouvelle, c’est quelque chose que tu fais depuis longtemps ? En fait, j’écris depuis longtemps pour moi. Je consigne souvent mes réflexions ou des petits textes que j’envoie à des amis. Et puis j’ai commencé à écrire des petites histoires, des souvenirs de mon adolescence. Et un jour, j’ai franchi le cap, j’avais écrit un texte un peu plus long que d’habitude, et je l’ai partagé avec des amis et avec mon frère. Mon frère m’a dit que ce texte était génial et que je devrais le publier. Du coup, je l’ai travaillé et je l’ai publié.
Ta nouvelle Veterana parle d’une histoire d’amour fugace entre un adolescent vénézuélien et une femme mûre autour d’une piscine. C’est autobiographique ?
Non, c’est de la fiction. Une fiction inspirée de la réalité, il y a quelques éléments qui me sont arrivés à moi et à mes amis, mais c’est une fiction.
C’est la première nouvelle que tu as publiée ?
Oui enfin, j’avais déjà publié une sorte de conte, une réflexion politique postérieure aux premières élections gagnées par Nicolas Maduro au Venezuela. J’avais fait une sorte d’allégorie entre l’hiver en France qui m’avait été inspirée par un déplacement à Châteauroux et la situation au Venezuela. Une comparaison entre les arbres qui perdent leurs feuilles, ont l’air tristes pendant l’hiver, mais finissent par se renouveler, renaître au printemps et le Venezuela qui allait dans une mauvaise direction, mais finirait bien par se relever. Je l’ai envoyé à ma mère qui m’a demandé de le publier. Et le texte est devenu viral et a été lu par 50 000 personnes.
Tu as prévu d’écrire d’autres nouvelles ?Oui, mais sans aucune pression ou précipitation. J’aime surtout lire, et évidemment j’aimerais écrire, mais je crois qu’il me manque encore beaucoup de technique et de travail. Je n’ai pas véritablement commencé à travailler dessus, mais j’ai l’ambition un jour de publier un roman. J’ai aussi suivi des cours de créativité littéraire. La femme de mon partenaire Oswaldo Vizcarrondo qui a vécu en Argentine a suivi ce cours là-bas et me l’a recommandé. C’est un atelier que j’ai suivi par internet depuis la France. Ils te donnent des conseils sur comment commencer une histoire, acquérir quelques techniques, une science de l’écriture, prendre des idées. Je crois que l’écriture est quelque chose qui s’acquiert progressivement.
En parlant de littérature, tu lis beaucoup ?
Je lis énormément. Le mois dernier, j’ai lu six livres. En fait, nous, les footballeurs, nous avons énormément de temps libre, et de temps à la maison. Il y a des gens qui regardent des matchs de football, d’autres sports, qui jouent à la Playstation, qui écoutent de la musique. Moi, je fais un peu de tout, mais c’est vrai que je lis beaucoup sur mon temps libre.
Quel est ton auteur favori ?Sans aucun doute Vargas Llosa. C’est mon auteur favori de loin, j’ai lu quasiment l’ensemble de son œuvre même si en Europe, c’est parfois difficile de lire tous ses bouquins en espagnol. Au Venezuela, quand je suis en vacances, ça n’est pas forcément évident non plus de mettre la main sur tous les livres que j’aimerais lire.
Quel est ton livre préféré ?Un de mes livres favoris de Vargas Llosa est le Poisson dans l’eau. Ce sont les mémoires partielles de Vargas Llosa. Dans la première partie, il évoque son adolescence et les débuts de sa carrière littéraire et dans la seconde partie, il raconte sa campagne politique pour devenir président du Pérou en 1990 et sa défaite face à Alberto Fujimori. C’est excellent et la situation politique du Pérou avec la montée du populisme est très semblable à la situation que vit le Venezuela. Son texte et son expérience sont très facilement transposables à la réalité vénézuélienne. En Amérique latine, l’histoire s’est répétée un million de fois et les deux pays ont connu des situations politiques très similaires. Quand j’ai lu ce livre, je me suis dit que le Pérou d’il y a trente ans qu’il décrit ressemble beaucoup au Venezuela d’aujourd’hui.
Les derniers romans de Vargas Llosa t’ont plu aussi ?Non pour te dire la vérité, ces deux derniers romans m’ont paru assez mauvais. Le héros discret et Cinco esquinas sont pour moi bien en deçà du reste de son œuvre. Mais bon, Vargas Llosa a déjà 80 ans, le meilleur de sa carrière est derrière lui, je pense. On ne peut pas attendre des livres aussi bons qu’auparavant. Surtout après sa défaite aux élections péruviennes en 1990, il a écrit une série de livres très impressionnants, notamment Lituma dans les Andes. J’espère qu’il pourra à nouveau écrire une œuvre majeure, mais les deux derniers ne sont en rien comparables avec ses œuvres plus anciennes.
En tant que Sud-Américain, tu as été marqué par l’auteur colombien Gabriel Garcia Márquez ? J’ai lu au collège Cent ans de solitude. J’ai relu son œuvre récemment, j’ai acheté cinq ou six de ses romans. Ce n’est pas mon genre favori, je ne suis pas fan du réalisme magique de manière générale. Je trouve le genre un peu utopique, ce n’est pas la littérature que je préfère. Mais en revanche, j’ai adoré Chronique d’une mort annoncée. Ce coté tragédie classique, la description qu’il fait de la fatalité, comme si tout était écrit, c’est brillant.
Tu lis d’autres choses que des auteurs sud-américains ? L’an passé, j’ai décidé de lire des auteurs classiques qui ont marqué leur époque, que je ne connaissais pas bien. Par exemple, j’ai acheté tous les bouquins d’Hemingway que j’ai trouvés. J’ai adoré. J’ai lu Truman Capote, José Saramago. Des auteurs qui ont marqué leur époque, qui décrivent des réalités révolues différentes de celles d’aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus facile de s’informer sur ce qu’il se passe dans le monde avec internet. Mais ces écrivains ont fait un travail qui n’a pas de prix en décrivant leurs réalités, les ambiances d’une époque où il était beaucoup plus difficile d’avoir accès à ce qu’il se passait dans le monde.
Et au Venezuela, il y a des écrivains contemporains intéressants, qui racontent le pays ?Oui, il y en a, mais je dois dire que je n’aime pas trop lire sur le Venezuela actuel. Disons qu’il y a une surcharge émotionnelle à propos de la situation actuelle, que le pays est polarisé et que toutes les conversations dérivent vite sur des sujets politiques. Tous les Vénézuéliens ont un peu ce sentiment pesant. La littérature, je l’utilise un peu aussi comme une échappatoire, ou une manière de découvrir des choses nouvelles. Disons qu’il y a quand même quelques auteurs vénézuéliens que j’aime beaucoup, l’un d’entre eux est Francisco Suniaga. Le problème, c’est aussi qu’avec le manque de ressources et la situation actuelle, la littérature vénézuélienne a du mal à s’exporter. Elle n’a pas le rayonnement que j’aimerais qu’elle ait.
Grâce à tes passages à Nantes et au Red Star, tu as lu quelques auteurs français ? Non pas trop, en fait j’ai du mal à lire les traductions. J’essaie de lire dans la langue originale de publication. C’est vrai que les grands auteurs ont souvent bénéficié de traduction de très bon niveau, mais même ainsi, je crois que la grâce se perd un peu. Il y a des modismes qui ne peuvent pas être traduits. C’est comme voir un film qui a été doublé, tu perds un peu du jeu de l’acteur, de la richesse de la langue de la saveur originelle.
Tu parles français, mais pas suffisamment pour lire un livre ?Non, non. Je peux lire un journal en français. Mais j’ai un vocabulaire bien trop limité pour être capable de lire un livre. Et même en anglais, alors que je le parle bien, ça reste difficile. J’ai lu Hemingway en anglais, mais cela m’a pris du temps. C’est pourquoi je lis surtout des livres en espagnol.
Il y a d’autres livres qui t’ont marqué récemment ?En ce moment, je suis en train de lire les livres de Javier Cercas, un auteur espagnol. C’est excellent. Il y a un livre qui s’appelle À la vitesse de la lumière qui est génial, c’est le meilleur que j’ai lu récemment. Ça aborde le thème de la culpabilité, du succès et de l’échec et c’est passionnant, car je crois qu’en ce moment, le monde a une vision erronée du succès. Dans ce livre, il touche brillamment le sujet. Il a aussi écrit Les soldats de Salamine qui est excellent, et Anatomie d’un Instant sur la tentative de coup d’État raté et la fin du franquisme. J’ai aussi lu tous les bouquins d’Ildefonso Falcones qui écrit des romans historiques.
Et tu lis un peu sur le sujet du football ?Oui, aussi. Je lis aussi pas mal sur le sujet. Étant un amoureux du football, je peux tout à fait lire la biographie d’un entraîneur qui m’intéresse, ou d’un joueur qui m’a marqué par exemple.
Cette passion de la littérature ne te fait pas passer pour un intellectuel dans le vestiaire ?Non ! Je crois que l’idée que les footballeurs n’aient pas d’activité intellectuelle est un cliché. Le footballeur ou le sportif en général est mal vu par la société parce qu’il n’a pas étudié. Mais étudier ne devrait pas être vu comme une obligation, mais comme une chance.
Si j’avais eu la possibilité de faire des études supérieures, j’aurais été ravi, mais à dix-sept ans, j’ai dû arrêter et travailler, car il fallait faire un choix. Et ma profession de footballeur ne me permettait pas autre chose. Puisqu’à 30, 35, 40 ans maximum tout est fini, le footballeur a une durée utile très courte. Donc le footballeur n’a pas eu la chance d’étudier et les études encouragent la lecture, développent l’appétit pour la lecture. La lecture comme n’importe quelle autre habitude est une construction, un acquis social. Pour cette raison, les personnes qui ont étudié tendent à lire davantage que celles qui n’ont pas étudié. Mais il y a beaucoup de footballeurs qui aiment lire. Et par exemple moi, j’ai vingt-quatre ans et je suis certain que proportionnellement, il n’y a pas plus de gens de vingt-quatre ans qui lisent que de footballeurs de vingt-quatre ans qui lisent. Prenons mes amis au Venezuela, presque tous ont fait des études supérieures et très peu lisent, c’est aussi une question de sensibilité. Je crois qu’il y a une perception erronée qui fait du footballeur quelqu’un d’idiot ou en tout cas de quelqu’un de complètement déconnecté de toute considération d’ordre intellectuel. C’est faux et assez dur pour le footballeur.
Propos recueillis par Arthur Jeanne