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Touche pas à ma pote !
Les révélations autour du harcèlement et des agressions sexuelles au sein du stade Bollaert ont jeté une ombre sur la fin de saison idyllique du RC Lens. Toutefois, au-delà de ce cas qui défraye la chronique, l’ensemble des clubs pros, et de leurs supporters, vont devoir se remettre - enfin - en question.
Comme souvent pour les droits des femmes, les premiers bruits se sont fait entendre sur les réseaux sociaux. Des échos repris par le quotidien La Voix du Nord alors que le RC Lens, tout juste auréolé de sa qualification en Ligue des champions, annonçait officiellement mener « une enquête et collecter des témoignages afin de prendre la mesure de ces actes délictuels dont il n’a jamais eu connaissance jusqu’alors. » Parmi les exemples cités dans les colonnes du quotidien régional, une femme racontait sa frayeur lorsqu’elle fut bloquée devant les toilettes par trois hommes. « L’un d’entre eux bloque la porte, les deux autres sont collés à moi. Je sentais l’alcool dans leur respiration. Ils me disaient : “T’es bonne, qu’est-ce que tu fais là ?” J’ai fini par crier. » Elle sera secourue par un steward. Autre « classique » dont de nombreux comptes Twitter ont rendu compte, les attouchements lors des mouvements de foules ou de liesse (l’équivalent du « frottage » des transports en commun), notamment pendant le « Tous ensemble », où à l’unisson les tribunes chantent ensemble. Une certaine Wendy avouait, du coup : « Voilà pourquoi je ne le fais plus. » On la comprend aisément.
Le monde des tribunes s’avère effectivement assez peu féminisé, et reste dominé par des codes ultras (à tous les sens du terme) masculins. Dans les virages populaires, tenus par les associations et avec un public plus jeune, la tendance s’avère souvent encore davantage accentuée. De fait, l’espace public reste souvent périlleux pour les femmes, surtout seules, et d’autant plus dans des lieux où la foule offre à certains un sentiment d’anonymat, d’impunité ou de toute-puissance, voire d’assentiment collectif. Les mêmes tristes réalités s’observent dans les salles de concert par exemple. Temple de la masculinité exacerbée et exacerbante, le stade doit donc cesser d’être un endroit où être avec son compagnon attitré ou entourée d’amis sûrs paraît le seul gage de protection. Et nul doute que cette pesanteur culturelle n’est pas propre à Lens.
La bonne réaction lensoise
La libération de cette parole n’est pour une fois pas sans effets. Le RC Lens ne semble pas se réfugier derrière la politique de l’autruche ni minimiser les faits comme on a pu le ressentir trop souvent dans le foot tricolore sur d’autres sujets (jets d’objets, racisme, etc.) : « S’il y a un signalement et que les faits sont avérés, ces personnes ne mettront plus les pieds à Bollaert. Il n’y a pas l’ombre d’une place pour des gens comme ça. Lens, c’est la ferveur joyeuse, et ça doit le rester. » Franck Haise a remis une couche en conférence de presse d’avant-match : « Comme dans tous les niveaux de la société, que la parole des femmes se libère sur ce genre de délits, c’est évidemment une très très bonne chose. Le club est avec nos supportrices, avec les femmes en général. Maintenant, j’invite nos supportrices à porter plainte, c’est ça qui fera bouger les choses je l’espère. »
De même, le comité Sang et Nord a rendu public par communiqué officiel sa décision d’exclure un membre auteur « de propos plus que déplacés et pouvant relever du harcèlement sexuel de la part d’un adhérent de l’association envers plusieurs femmes. Ce comportement va totalement à l’encontre des valeurs prônées par notre association ». De toute manière, plus largement que d’éventuelles poursuites pour des actes répréhensibles aux yeux de la loi, il s’impose une prise de conscience et des actes de la part de l’ensemble des membres de la grande famille du football. L’exemple de la lutte contre l’homophobie illustre la difficulté d’une telle démarche, aussi bien ponctuellement que sur le long terme. Il faudra par exemple cesser de banaliser ce qui passe encore trop souvent comme de la simple gaudriole, tel ces chants sexistes rapportés par une supportrice lors d’un retour en bus : « Vas-y, Camille montre-nous tes fesses, vas-y Camille, montre-nous ton cul. » Montrez votre cerveau plutôt…
Par Nicolas Kssis-Martov