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Felipe Saad : « Le Brésil a compris »
Felipe Saad ne s'attendait pas à passer des vacances aussi agitées dans son Brésil natal. Le défenseur de l'AC Ajaccio est aux premières loges pour observer les manifestations qui agitent son pays depuis la semaine dernière. Il nous livre depuis Santos son regard sur ce mouvement historique. Derrière le rêve brésilien vendu depuis quelques années, il y a une autre réalité. Et c'est cette réalité qui émerge à un an de la Coupe du monde.
Malgré une image plutôt positive depuis quelques années partout dans le monde, on voit que les principaux problèmes du pays n’ont pas changé. En France, depuis un certain temps, les gens me parlent du Brésil comme le pays de l’avenir, celui qui est en pleine croissance. Beaucoup de Français me disent qu’ils veulent venir ici pour la Coupe du monde, ou même pour s’y installer. Ils me disent que c’est un pays qui fait rêver. Mais les Brésiliens, eux, connaissent les problèmes chroniques qui se cachent derrière le miracle économique dont on nous parle souvent.
Depuis le 13 juin, le monde a ouvert les yeux à son tour depuis que des centaines de milliers de Brésiliens défilent dans les rues de différentes villes pour manifester leur mécontentement général. Ce qui a déclenché les protestations a été la décision d’augmenter le prix des tarifs des transports publics dans la ville de São Paulo en vingt centimes de real. Comme on dit en France, c’est juste la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. À partir de là, d’autres revendications sont apparues. Les gens manifestent pour une meilleure éducation, pour un meilleur système de santé publique. Il existe des hôpitaux et des écoles privés de qualité au Brésil, mais il faut payer cher pour y accéder. La corruption reste aussi un problème, la corruption non seulement politique mais aussi dans les secteurs de l’économie. Il faut savoir que malgré la croissance économique de ces dernières années, l’indice de développement humain reste très faible au Brésil. C’est l’autre réalité du miracle brésilien.
Maintenant, je crois que le peuple brésilien s’est réveillé : « O Brasil acordou » . « Le Brésil a compris » comme on peut lire sur les pancartes des manifestants. Aujourd’hui, une semaine après, le mouvement non partisan a réussi à rejoindre les citoyens de toutes les catégories sociales. Lors des premiers jours de la manifestation, les médias ont beaucoup montré la répression policière, ce qui a contribué à faire adhérer au mouvement des personnes moins concernées par ces problèmes socio-économiques.
David Luiz et les « manifestations passives »
Pour en revenir au foot, ce mouvement historique est en train d’éclipser médiatiquement la Coupe des confédérations, le grand test pour le pays avant la Coupe du monde de 2014. En ce qui concerne les footballeurs, la surprise est qu’ils ont donné leur avis et ont même pris position pour certains. Souvent avec une certaine maladresse. Mardi lors de la conférence de presse de la Seleção, Hulk et David Luiz ont soutenu les manifestations et le peuple brésilien. Mais ce dernier a défendu une « manifestação passiva » (manifestation passive) quand il a sans doute voulu dire « manifestação pacífica » (manifestation pacifique). Luis Felipe Scolari lors de la même conférence de presse a assuré une totale liberté à ses joueurs de parler sur n’importe quel sujet. Libre à eux d’assumer les conséquences de ces déclarations. C’est déjà ça…
L’autre dérapage du jour a été la déclaration de Ronaldo, le vrai, comme on dit par ici. Dans une vidéo posté par le journal O Lance!, il dit que « la Coupe du monde ne se fait pas avec des hôpitaux, elle se fait en se construisant des stades. » Dans ce contexte déjà très tendu depuis plusieurs jours, cette déclaration déplacée et surtout risquée n’aide guère à l’apaisement de la situation. J’ai envie de lui dire que même au pays du football roi, on a besoin d’hôpitaux qui fonctionnent. C’est la moindre des choses quand on prétend être une grande puissance mondiale.
par Felipe Saad à Santos