- Italie
- Serie A
- 6e journée
- Inter Milan/Fiorentina
Felipe Melo, au nom de la méchanceté nécessaire
Felipe Melo est de retour en Italie. Et alors que la presse transalpine lui avait prédit un petit second rôle dans cette Inter toute neuve, le Brésilien a sorti ses plus beaux costumes et ébloui toute la salle. En trois matchs dont un derby, Melo a déjà convaincu et estime carrément qu'on devrait l'appeler « Il Commandante ». Non, Melo n'est pas revenu pour jouer au tennis.
Lorsque Roberto Mancini a exprimé sa ferme intention de faire signer Felipe Melo cet été, l’Italie a montré deux visages. Le premier était vêtu d’un énorme sourire prêt à exploser de rire au moindre carton jaune ou faux pas du Pitbull. Le second, lui, portait un front dubitatif. Un front qui cachait une réflexion intense : après tous les Felipe Melo que l’Italie a connus, du métronome florentin au bulldozer turinois en passant par quelques humeurs incontrôlables, que pouvait être devenu ce joueur après quatre saisons en Turquie (et huit titres) ? Qu’allait pouvoir faire une Inter en construction avec un joueur en travaux perpétuels ? Aucun de ces deux visages ne pouvait prévoir l’arrivée d’un personnage aussi accompli.
Sneijder, bons et mauvais souvenirs
Évidemment, il fallait que tout commence avec le derby, cette scène milanaise à l’envergure internationale qui ne se laisse dompter que par les plus grands esprits, et quelques Schelotto. Il y a six ans, en 2009, Wesley Sneijder – ex-coéquipier de Melo à Istanbul – avait lui aussi fait ses débuts nerazzurri lors du derby. En deux frappes pleines d’espoir, un crochet sur Gattuso et quelques ouvertures qui allaient en appeler tant d’autres, l’Hollandais avait charmé la Scala. Felipe Melo, lui, n’est pas aussi esthétique que Sneijder. Melo, c’est la sueur plutôt que le parfum, le sang plutôt que le maquillage et la faute tactique plutôt que le petit pont. Mais le Brésilien a lui aussi un certain sens de la grande performance. Et il avait tout réservé pour le Milan : placé derrière Kondogbia et Guarín, et devant un Medel replacé en défense centrale, Melo a mis en scène une distribution intéressante du jeu, une présence permanente au duel, une domination aérienne et même quelques provocations aux oreilles de Balotelli. En clair, Melo a dominé le milieu rossonero et convaincu un peuple intériste étonné. Le lendemain, les plus romantiques croyaient avoir acheté une force de la nature, mais les autres mettaient cette performance sur le compte de la passion du derby. Parce que Melo se surpasse lorsque la tension monte.
Mais depuis, le Brésilien n’a cessé d’élargir son répertoire. Contre le Chievo, le numéro 83 a incarné à lui tout seul l’esprit de combativité des Milanais. Alors qu’une partie de l’Inter semblait prête à subir et reculer, Melo gagnait duel après duel, allant jusqu’à fracturer la pommette de Paul-José Mpoku. De quoi faire passer Gary Medel pour un berger allemand bienveillant. Contre le Hellas à San Siro, le Brésilien a même marqué le seul but de la partie. Une tête de boxeur dans le style le plus Felipe Melesque possible, pleine de rage et de puissance. En cours de route, il avait aussi eu le temps de faire sortir innocemment Pazzini sur blessure. Trois matchs, deux cartons jaunes et cette punchline : « Si mes adversaires ont peur des contacts, qu’ils jouent au tennis. Dans le football, il y a des contacts, c’est comme ça. En plus, aujourd’hui il n’y a eu aucune intervention risquée, j’ai simplement joué au football. » Mais attention. Melo est déjà tombé du haut de ses déclarations de boxeur. À la Fiorentina en 2008, il avait été l’un des joueurs les plus fascinants du championnat avant d’être élu Bidon d’or en 2009 à la Juve. En quart du finale du Mondial 2010, il avait signé une merveilleuse passe décisive pour Robinho contre les Pays-Bas, avant de marquer contre son camp et d’être expulsé. Sous les yeux de Sneijder, tiens.
« Mieux vaut avoir un joueur fou qui fait la différence qu’un joueur sain qui ne fait rien sur le terrain »
Avec pas moins de 10 recrues, l’Inter s’attendait à un début de saison bancal. Une animation offensive portée par l’art inconstant de Jovetić, Ljajić et Perišić, ses perles des Balkans, et un fonds de jeu en état d’alerte entre l’adaptation de Kondogbia, l’inconstance de Guarín, le pompier Medel et le mystère Felipe Melo. Mais aujourd’hui, c’est le visage de Roberto Mancini qui s’illumine. Parce que le Mister savait, lui. Interviewé pour So Foot Club à Istanbul alors qu’il entraînait encore Galatasaray en mars 2014, le Mancio avait évoqué son milieu brésilien : « Felipe Melo est un super joueur. Je ne l’avais jamais entraîné avant, et comme tout le monde, j’avais entendu certaines choses, comme quoi il était trop agressif sur le terrain et se faisait souvent expulser. Mais non, c’est un grand joueur, avec un très bon caractère, une bonne technique. En Italie, il était très bon à la Fiorentina, et je pense qu’il n’est pas arrivé au bon moment à la Juve. De toute façon, mieux vaut avoir un joueur fou qui fait la différence qu’un joueur sain qui ne fait rien sur le terrain (rires). Et attention, Felipe Melo s’entraîne bien et travaille très dur. Cela arrive d’avoir un joueur avec une tête faite un peu différemment (rires), il peut y avoir des petits conflits, mais tant qu’il y a le travail derrière… » Alors que l’Inter de la saison dernière ne savait pas se prendre en main dans les moments de difficulté, Mancini savait qu’il allait injecter de la personnalité à ses milieux avec l’ajout de Melo. Mieux vaut un joueur moyen avec du caractère qu’un talent sans personnalité. Mieux vaut un Felipe Melo qu’un Kovačić, alors ?
Aujourd’hui, toute l’équipe semble envoutée, le capitaine Icardi en première ligne : « Ce qui m’a le plus surpris chez les recrues, c’est la grinta de Felipe Melo. Elle est contagieuse. » Avec pas moins de 2,3 tirs et 3,3 duels aériens gagnés par match, le Brésilien semble même en surchauffe. Et forcément, la presse aussi. Alors que les comparaisons pleuvent entre cette Inter de 2015 et la première Inter 2004-2008 de Mancini, Felipe Melo est comparé à Vieira dans l’organigramme. Si le talent du Brésilien n’ose même pas se comparer à celui que la Curva nord appelait Patrizio, c’est bien leur « méchanceté » commune qui les rapproche. Cette méchanceté nécessaire qui manquait tant à une Inter perdue dans le vide entre le départ de ses anciennes gloires et la recherche de jeunes prodiges. Après tout, la Serie A moderne a récompensé les formations capables d’aligner du mouvement autour du muscle. À la Juve, celui-ci était incarné par Vidal et Pogba. À Naples, c’était Inler et la paire Zúñiga-Maggio. À Rome, c’était Nainggolan et Strootman, quand il était là. Avec Melo, Kondogbia, Guarín, Miranda, Murillo et une équipe d’une taille moyenne d’1m84 (sans Ranocchia), Mancini a levé une armée. Et ça tombe bien. Il y a trois semaines, au moment du retour de Melo en Italie, alors qu’un journaliste lui demandait s’il pouvait l’appeler Pitbull, le Brésilien a répondu : « Pourquoi pas. Mais tu peux aussi m’appeler le Commandant. Parce que je guide le milieu de terrain. »
Par Markus Kaufmann
Propos de Roberto Mancini recueillis par MK, à Istanbul
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Le site Faute Tactique
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