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« Federico Valverde va être une référence majeure des années 2020 »
Si Federico Valverde est désormais l’un des milieux de terrain incontournables du Real Madrid de Zinédine Zidane, cela est en partie dû à sa formation au sein de Peñarol. Président quadragénaire des sections de jeunes au sein du mythique club de Montevideo, Pablo Torres explique en détail l’avènement de Valverde au plus haut niveau.
Quand et comment avez-vous rencontré Federico Valverde pour la première fois ? Au-delà de mon statut de professeur de mathématiques, je m’occupe de la formation des jeunes de 5 à 23 ans à Peñarol. J’ai connu Fede à partir du mois de février 2012, quand il faisait partie de la septième catégorie d’âge. Il avait treize ans et il était déjà au club depuis trois saisons, c’était lors d’un match avec les U14.
Quelle était votre première impression, au moment de le rencontrer ? J’ai vu un joueur très mince, mais nous savions déjà que ses capacités de croissance allaient être importantes : il ferait au moins 1,80 m. Aussi, nous savions qu’il devait passer par un travail musculaire. Au niveau de ses qualités, tu sentais qu’il avait le don de faire la bonne passe au bon moment. Lors de la première année où je l’ai vu évoluer, il jouait numéro dix et il organisait tout le jeu de l’équipe. Il avait une capacité incroyable à marquer sur coup franc, sa manière de frapper dans le ballon était très contrôlée.
Comment jugez-vous son évolution, à Peñarol ? Quand il est passé en sixième catégorie puis en U16 et U17, il a terminé la saison en tant que champion d’Uruguay à chaque fois. Dans le vestiaire, Fede reste toujours le même : il est attentif et à l’écoute, humble et courtois avec ses partenaires. De fait, il est apprécié par ses coéquipiers à l’unanimité. Depuis son intégration à Peñarol, Fede sortait du lot de sa catégorie d’âge. À ses côtés, il y avait deux autres joueurs pour constituer un triangle dévastateur : Diego Rossi (aujourd’hui au FC Los Angeles, N.D.L.R) et Franco Martínez (prêté par Peñarol au FC Dallas, N.D.L.R). Ensemble, ces trois-là ont apporté des titres à Peñarol. Franco avait trois poumons et ne laissait personne passer, Diego était notre buteur attitré, et Federico était notre chef d’orchestre.
Avant d’intégrer Peñarol, Federico avait-il déjà une cote de popularité importante à Montevideo ?Au départ de son aventure avec Peñarol, Federico n’était pas encore reconnu à l’échelle nationale. À Montevideo, tu as dix divisions différentes pour faire jouer ton équipe, et chaque championnat contient dix à douze équipes. L’Estudiantes de Montevideo, c’est le tout premier club de Federico quand il avait six ou sept ans.
Ensuite, il est parti à Siete Estrellas jusqu’à ses dix ans, puis il a intégré Peñarol. En réalité, sa cote de popularité s’est mise à grimper quand il s’est fait appeler en équipe d’Uruguay U15. C’était en 2013, il avait réalisé une saison pleine au poste auquel il joue actuellement. Je me souviens qu’il avait notamment remporté un tournoi en France, à Limoges. À partir de l’année suivante, tu pouvais clairement voir qu’il se détachait du reste de l’équipe. Il se chargeait de frapper les coups de pied arrêtés, car sa technique de frappe et sa vision du jeu étaient bien supérieures aux autres. Chaque match de sa part devenait très agréable à regarder, parce qu’il affichait un niveau impressionnant.
Là, il devait forcément attirer l’œil… Oui, il était devenu un espoir à l’échelle internationale. En fin d’année 2014, nous avons reçu au siège du club une invitation personnelle d’Arsenal pour Federico afin d’effectuer une semaine d’immersion à Londres début janvier. J’ai donc eu l’opportunité de l’accompagner pour cet événement, où nous sommes partis à trois avec son frère. À ce moment-là, Federico est U16 à Peñarol. Dans l’avion, nous imaginions qu’il allait évoluer avec des jeunes de sa catégorie ou peut-être avec les U18. Juste avant de commencer le dîner, nous avons appris qu’il s’entraînerait avec le groupe professionnel. Le lendemain, il effectuait les mêmes ateliers que Robert Pirès, Mesut Özil ou Alexis Sánchez. Cela faisait à peine six mois qu’Özil venait d’être sacré champion du monde !
Et comment cela s’est passé ? Federico ne s’est pas seulement entraîné un jour avec eux, mais toute la semaine. Le plus dingue dans tout ça, c’est qu’il parvenait à se faire une place dans l’effectif. Sincèrement, il faisait partie de la moyenne haute au moment de dresser le bilan sur cinq jours. Un des gardiens de l’époque était argentin (Emiliano Martínez, N.D.L.R) et au fur et à mesure des exercices, il avait expliqué à Federico qu’il était beaucoup apprécié par le groupe.
Depuis le bord de la pelouse, je voyais Arsène Wenger faire traduire les consignes à Fede et se réjouir de ses prises de décision dans les matchs d’entraînement. Nous sommes retournés en Uruguay la semaine suivante, et les dirigeants d’Arsenal ont transmis leur offre dans la foulée. C’était très simple : ils ont offert la somme maximale pour un joueur de cet âge, ce qui devait correspondre à trois millions de livres. La seule contrainte, c’était l’arrivée imminente du tournoi international sud-américain U17 au Paraguay un mois plus tard. Nous étions convaincus qu’il allait très bien jouer, et cela s’est avéré exact : Fede était le meilleur joueur de son équipe et le meilleur buteur de son équipe, alors qu’il évoluait au milieu du terrain. Durant le tournoi, il recevait déjà des offres de plusieurs clubs européens comme le Barça ou le Real Madrid. Au-delà du fait que Valverde soit parti dans le club le plus offrant, nous avons toujours pris en compte sa volonté car il s’agissait avant tout de sa propre vie.
Le Real Madrid était donc le club de cœur de Federico ?Ce que je vais te dire, peu de personnes le savent. Quand Federico était encore un gamin, il s’est mis à faire un rêve dans son sommeil. Dans ce rêve, il était au milieu d’un stade rempli de personnes qui parlaient un espagnol bizarre. Ces personnes-là étaient tout en blanc, et scandaient son nom de famille. Dès dix ans, Fede était un grand passionné de football. Son passe-temps favori était de regarder du football à la télévision, il n’aimait pas tellement jouer à la Playstation. Mais si tu lui parlais de Bundesliga à quatorze ans, il était capable de te donner les équipes qui jouaient le haut de tableau ou les joueurs emblématiques de chaque club… Il était complètement intoxiqué par le football. Dès l’enfance, il était très admiratif de Zidane parce qu’il correspondait à son poste sur le terrain.
Le premier à avoir mis le nez sur le joueur, c’est Néstor Gonçálves. À l’époque, il avait expliqué que Valverde avait été caché par ses soins pour que Peñarol puisse le recruter. À neuf ans, il aurait arrêté le football, ne jouant que de manière clandestine… Qu’est-ce que Valverde vous raconte, à propos de cette anecdote ? Dire qu’il jouait de manière clandestine, c’est un peu exagéré ! (Rires.) En réalité, l’histoire est différente. Peñarol est un club très important à l’échelle continentale, il s’est fait élire plus grand club sud-américain du XXe siècle pour ses performances sportives. Le fait est qu’au niveau économique, le Brésil et l’Argentine possèdent des clubs très puissants.
Avant de faire signer Fede à Peñarol, Néstor avait déjà repéré Rodrigo Bentancur et il en parlait beaucoup. Néstor l’avait même emmené visiter les installations de Peñarol, pour qu’il puisse s’entraîner au club avant son recrutement officiel à treize ans. Un mois avant sa treizième année, le père a voulu que son fils fasse un essai à Boca. Finalement, il est resté là-bas pour signer son premier contrat. L’année suivante, il est resté beaucoup plus silencieux vis-à-vis de Federico, car il ne voulait pas qu’il se passe la même chose. C’est de là que vient l’histoire, selon laquelle Fede aurait été caché… Mais en vérité, ses parents n’auraient pas accepté que Fede parte, car ils sont de vrais fanatiques de Peñarol. Je crois même que sa maman, Doris, est plus fan que le papa ! Pendant quatre ou cinq ans, les deux s’asseyaient à côté de moi pour observer les matchs de l’équipe première. Encore aujourd’hui, ils m’appellent au moment de rentrer en Uruguay pour obtenir des billets pour le prochain match. Peñarol coule dans leurs veines, ils sont supporters à vie.
Il y a eu des débats autour de « Pajarito » (Petit Oiseau, en VF), le surnom de Valverde, car cela faisait référence à ses pieds très longs et fins. Comment est-il passé au-dessus de cela ? C’était plutôt certains entraîneurs qui trouvaient cela réducteur, ça ne dérangeait pas Fede, car il savait que cela était affectueux. Ce n’est vraiment pas le genre de personne à se prendre la tête pour ce genre de choses avec un coéquipier, il est beaucoup trop sociable pour cela. En revanche, il est capable d’avoir du caractère dans un match de football. Quand tu prends des coups d’un adversaire, par exemple, tu ne vas pas te laisser faire. Mais je me souviens qu’Eduardo Del Capellán, l’entraîneur adjoint de l’équipe U15, avait décidé de l’appeler « El Halcon » (Le Faucon, en VF) au bout de cinq jours ensemble. Il considérait que Pajarito était trop mignon et doux, pour un joueur de sa trempe. Mais en fin de compte, cela a duré deux semaines : tout le monde l’appelait Pajarito, et c’était déjà ancré dans la pensée collective. Quand je parle de lui à quelqu’un, je dis Pajaro.
Après José Emilio Santamaría, Juan Alberto Acosta, Federico Magallanes, Pablo García et Carlos Diogo, Federico Valverde est le sixième footballeur uruguayen à porter le maillot du Real Madrid. Jusqu’où est-ce que vous le voyez aller ? C’est le joueur du futur, pour le Real Madrid. Quand vous êtes dans la jeune vingtaine au Real et que vos principaux coéquipiers au milieu du terrain sont le capitaine de l’Allemagne et le Ballon d’or 2018, vous arrivez à un stade où votre marge de progression se bonifie grâce à l’environnement dans lequel vous évoluez. Je connais Valverde pour l’avoir formé, son comportement est exemplaire et sa passion pour le football est immense. Il réunit les conditions parfaites pour devenir un milieu de terrain d’exception. Je vous l’assure : Federico Valverde va être une référence majeure des années 2020. À Peñarol, nous sommes extrêmement fiers d’avoir participé à son éclosion et de le voir désormais dans un top club européen. D’une certaine manière, c’est aussi notre réussite.
Propos recueillis par Antoine Donnarieix