- Italie
- Juventus
Federico Bernardécevant
C'est fait, Federico Bernardeschi est un Bianconero. Une jolie promotion pour le jeune prodige de la Fiorentina qui y gagne financièrement, sportivement et en notoriété, mais qui a carbonisé en un clin d'œil tout l'amour que lui portait le peuple de Florence. Un peu comme un certain Roberto Baggio vingt-sept ans avant lui.
L’un porte une queue de cheval frisée, l’autre flambe avec des tatouages qui lui couvrent les bras de la main aux épaules. Le premier incarne une certaine idée de la classe version années 1990, l’autre les canons de la mode des années 2010. Mais le jeu des sept différences s’arrête là, et les photos vont plutôt dans le sens de cet adage un peu bateau qui voudrait que l’histoire soit un éternel recommencement. En moins de temps qu’il n’a fallu à Federico Bernardeschi pour se faire draguer par la Juve, les petits malins ont ressorti les clichés de Roberto Baggio vingt-sept ans plus tôt.
D’un côté, Il Divin Codino à la Fiorentina, sponsor La Nazione sur le torse et numéro 10 dans le dos. De l’autre, le même joueur en tenue rayée noir et blanc, toujours numéro 10 dans le dos, mais avec le maillot de la Juve. C’était en 1990, et Roberto Baggio, 23 ans à l’époque des faits, traumatisait Florence en rejoignant la Juventus, aussi vieille dame que vieille ennemie de la Fio. Vingt-sept ans plus tard, Federico Bernardeschi commet le même crime au même âge en abandonnant son numéro 10 à la Viola pour rejoindre Turin, où il a de grandes chances de récupérer le numéro 10 vacant depuis le départ de Paul Pogba. Et la méchante grogne des ultras florentins en apprenant la nouvelle a bien montré que les relations entre les deux clubs ne s’étaient pas apaisées en un peu plus d’un quart de siècle.
L’enfant du pays
La ville de Florence est habituée aux merveilles. Le Palazzo Vecchio, le Duomo, les jardins de Boboli, le Ponto Vecchio, Santa Croce, la Galerie des Offices… La cité est un écrin dans lequel l’histoire, le bon goût, les Médicis et la Renaissance ont fait naître une quantité incroyable de chefs-d’œuvre. Un décor de luxe dans lequel l’élégance balle au pied de Bernardeschi se fondait parfaitement, comme celle de Baggio avant lui, et les fans de la Fio tenaient avec lui le dernier joyau made in Tuscan en date. Car à la différence de Baggio, né dans les environs de Venise et arrivé à Florence à dix-huit ans, Bernardeschi est un pur produit de la Fiorentina.
Né en Toscane à Carrare, la ville des carrières de marbre et de Buffon, il a avalé la centaine de kilomètres qui sépare les deux villes pour réserver son casier au centre de formation de la Fio dès ses neuf ans. Biberonné et choyé chez les Violets, Bernardeschi y a reçu un traitement de qualité. Le petit Federico a une puberté tardive et ne grandit pas ? La Fiorentina ne s’affole pas, continue de lui faire confiance, et attend que le jeune fasse une grosse poussée de croissance à ses seize ans. Il se blesse à la cheville dès sa première saison professionnelle ? On l’opère, on lui laisse le temps de revenir, puis on le réintègre au groupe. Et quand il a fallu lui trouver un tremplin juste avant de le lancer dans le grand bain de la Serie A, la Fio a fait les choses intelligemment en l’envoyant une saison en prêt à Crotone, alors en Serie B, où il joue trente-neuf matchs et s’offre douze buts. Alors forcément, le fait que Bernardeschi refuse un nouveau contrat en début d’été pour se barrer à la Juve passe mal auprès du peuple florentin.
Le bossu de m*rde
En 1990, le départ de Baggio avait créé des remous. Les ultras avaient pris les rues d’assaut, fait cramer quelques pneus, puis s’étaient dirigés vers la maison de Pontello, alors propriétaire du club, pour le secouer un grand coup. Mais Baggio et la Fiorentina avaient réussi à retrouver des relations quasi normales en peu de temps, et le joueur avait habilement géré son image. « Je ne suis pas parti, c’est le club qui m’a vendu » , balançait-il dès qu’il le pouvait, donnant du grain à moudre à des fans qui pointaient déjà du doigt la direction. Lors de son premier match à Florence, Baggio refusera même de tirer un penalty, avant de ramasser à la fin de la rencontre une écharpe de la Viola que lui avait lancée un supporter pour la serrer contre lui. Bernardeschi devrait avoir un chouia plus de mal à se refaire une cote de popularité. La volonté de départ était clairement de son côté, et ses derniers jours en violet ont été presque grotesques, le club allant jusqu’à avancer une gastro-entérite à laquelle personne n’a cru pour justifier son absence à l’entraînement il y a quelques jours. La Fio pensait tenir son nouveau Giancarlo Antognoni, les fans ont répondu en scotchant cette banderole en face d’Artemio-Franchi : « Qui n’aurait pas envie de te cracher au visage, Bernardeschi, bossu de merde ? » , « Bossu » étant le surnom moqueur donné par les Florentins aux Turinois. Des Turinois qui, de leur côté, se foutaient pas mal de tout ça et étaient heureux d’accueillir leur nouveau jouet à 40 millions d’euros comme l’a prouvé la foule qui l’attendait hier à sa visite médicale. Où on ne lui a détecté aucune gastro.
Par Alexandre Doskov